A la recherche d’un livre de cuisine, je tombe sur un Bernard-Henri Lévy tout neuf vendu un euro. Ça ne vaut guère plus me dis-je en tendant la pièce au bouquiniste.
Je me souviens avoir rencontré le philosophe dans un restaurant improvisé au fond d’une cave éclairée à la bougie. Il s’était assis à ma table guidé par un colonel français. Dehors le mortier grondait. Sarajevo saignait.
Le sionisme de l’homme m’indisposait mais je n’étais pas insensible à son panache. L’adrénaline est une drogue mortelle. Peut-être l’aidait-elle à écrire ? Mais il n’était pas obligé d’être là. Beau, riche, intelligent, célèbre… Nous n’avions rien en commun si ce n’est d’avoir chacun une très belle femme restée à la maison.
BHL avait gagné mon indifférente indulgence et la soirée se prolongeait dans l'attente de l’accalmie de minuit, heure où les snipers ivres de crimes et de gnole s’assoupissaient.
Soudain, la porte s’ouvrit à la volée sur un homme en imperméable. Je reconnus un conseiller à la Mairie de Paris rencontré dans le vol agité de Maybe Airline du matin. Je l’invitai à notre table. A l’oreille il me dit qu’il ne voulait pas fréquenter le même établissement que BHL et s’en retourna aussitôt vers l’orage des mortiers.
Par la suite, au gré de mes emportements contre Lévy, en particulier quand il assista aux massacres de Gaza depuis la tourelle d’un char israélien en décembre dernier, je me suis reproché la lâcheté de ce dîner. J’aurais dû sortir moi aussi. J’aurais dû entre la peur des tueurs et le mépris de moi faire le bon choix.
Avec ce livre à un euro, je tenais enfin une vengeance froide et mesquine à l’image de l’auteur !
Un autodafé à ce prix, c’est pour rien ! Me dis-je devant la cheminée.
Je procédais méticuleusement car pour allumer un fagot de brindilles avec un livre, il faut d’abord en arracher les pages, une à une puis les froisser…Oui mais voilà, on ne peut pas demander à un gourmand d’ouvrir un pot de confiture sans y tremper le doigt ! D’autant qu’il s’agit d’un imposant volume de chez Grasset avec une belle couverture de couleur paille « Qui a tué Daniel Pearl?»
C’est l’histoire d’un juif qui enquête sur l’assassinat d’un autre juif. L’auteur, routard confirmé, nous décrit Karachi et Kandahar avec des détails surprenants. Il se met en scène, brave tous les dangers. Quel homme ! C’est mieux qu’un SAS de Gérard de Villiers…
Le feu attend. Une trentaine de pages suffisent pour embraser les bûchettes. Je m’allonge sur le canapé. Ma lecture devient paresseuse, la cheminée fume un peu, je lui lance les boulettes de papier comme des friandises. Le récit est très documenté mais les hypothèses tirées par les cheveux. L’écrivain a consulté des sources grises mais trop fréquenté les dîners d’ambassades. Au fil du roman-reportage, c’est parfois avec regret que je nourris le foyer qui maintenant ronronne. Quelques portraits sont saisissants de vérité. On se sent tour à tour égorgeur et égorgé. Il y a des lignes trop bien ! Je m’y attarde.
Et mine de rien, je dérobe à mes convictions quelques feuilles que je dissimule sous un coussin, pour relire plus tard, au cas où le feu viendrait à manquer…
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