Je reçois un e-mail :
« Voilà l’interview d’El Watan parue le 15 août 2009. Peut-être pourriez-vous y jeter un coup d’œil ? Amicalement »
En réponse à cet écrivain aimable que je n’ai ni lu ni vu, mais entendu, je promets de courir acheter le dernier livre.
Après trois quart d’heure de route me voici rendu au Mans ; ville la plus laide de France et qui entend bien le rester. Il n'y a pas de librairies je crois, mais une FNAC dans le sous-sol d’une galerie commerciale. Je demande, j’obtiens, je me sauve. En longeant le fleuve, je lève le regard vers le ciel pour me distraire de la laideur des bétons. Des oies sauvages venues de l’île d’Aphrodite survolent la citée sarthoise… sur le dos ! Nobles bêtes qui après avoir contemplé tant de belles choses ont l’instinct de ne pas se salir les yeux.
Sitôt rentré, j’abandonne Anouar Benmalek sur la table basse près du canapé. Il faut le laisser reposer me dis-je, et attendre que la mauvaise humeur m’abandonne. Mais le souvenir de cet aller-retour au Mans vilain tarde à s’estomper. Benmalek (en arabe fils de propriétaire) aurait pu m’adresser son bouquin gratis en service de presse, ou attendre que je sois rentré à Paris. Peut-être veut-il que je lui fasse de la pub sur mon blog ? Mais je n’ai aucune influence sur personne. Seuls quelques amis alphabètes me déchiffrent du bout de l’écran, par indulgence et oisiveté. Ils ne sont pas du tout pressés, « Le rapt » en 515 pages chez Fayard peut attendre…
En vérité j’ai peur du syndrome Lévy. J’avais acheté pour un euro un BHL que je pensais illisible…Alors maintenant, je crains d’être déçu par un Benmalek à 23€. Je n’aimerais pas que son roman sitôt feuilleté rejoigne la cote de BHL dans les vide-greniers. Question de fierté familiale ! Sidi Anouar est un frère, Béhachel n’est qu’un lointain cousin.
Benmalek a déclaré au journal El Watan: « dans nos pays, les écrits littéraires qui ne dérangent personne ne valent même pas le papier sur le quel ils sont imprimés ». Illico mon mauvais esprit soupèse le papier Lévy à un euro et le papier Benmalek à vingt trois. Le handicap est sévère ! Je pense à l’éditeur d’un journal (((indépendant))) de « nos pays » qui, profitant des subventions sur le papier d’imprimerie, commandait une quantité dix fois supérieure au besoin de ses rotatives. Le magnat revendait ensuite avec gros bénéfice le surplus de papier vierge à des restaurateurs qui en faisaient des nappes, preuve de la supériorité de la feuille blanche sur la feuille de choux.
Pour me calmer, j’ai achevé la dégustation d’un petit bouquin formidablement dérangeant de drôlerie. Un livre de Poche à trois francs six sous signé Fellag, le comique qui est à la France ce que Pierre Desproges fût à l’Algérie. Lisez « L’allumeur de rêves Berbères », c’est un écrit littéraire (au sens Benmalekien), qui donne envie d’aller vivre en invivable Algérie. L’humble Fellag fait partie de la nouvelle école de littérature contemporaine française d’outre mer, il sort de la communale de Draa el Mizan. Benmalek aussi est allé à l’école postcoloniale mais il a choisi la voie de la facilité en devenant docteur d’Etat en probabilité et statistique (en arabe Inchallah & chouïa-barcha) spécialité atavique de nos peuples. Il serait donc enfant de Camus par accident ou tirage au sort.
Hier soir sous la couette, abruti de fatigue je lis quelques lignes du « Rapt » avec le secret espoir de m’endormir sur la page. Erreur fatale ! Nuit d’insomnie. Ce bouquin est fait de glue. Il épuise mais ne lâche pas. C’est un anti-Lexomil puissant. On le rêve en lunettes. C’est une prise de tête, un coup au foie. Ce roman vaut centuple plus que 23 euros. Il fallait l’éditer en quantité limitée ; enchères sur e-bay, cinq exemplaires sur vélin dont deux dédicacés. Tous droits de traduction et de reproduction interdits sauf pour la Sainte Arabie Saoudite. On aurait pu lire dans les petites annonces du Figaro littéraire : « échange bel appartement vue panoramique sur Paris contre Benmalek en bon état »
Anouar veux-tu que je te dise ? Ton « écrit littéraire » est un chef d’œuvre sans prix qui mérite calligraphie et enluminures à la feuille d’or. Ya Azizi Anouar ! Ton héros Aziz qui aime sa femme comme moi la mienne, sa fille pareil, ce qui lui arrive… C’est bien simple, j’en ai perdu la sieste pendant cinq jours !
Ton roman dérange le train-train quotidien, sa digestion est lente, parfois douloureuse. Moi aussi « J’ai dégluti une boule de pitié » (p 372).
Bien sûr, le thème du devoir de mémoire m’a ému. Mais laissons passer la grippe saisonnière et nous en reparlerons entre survivants. Je ne veux pour l’instant retenir seulement que la grande histoire d’amour, la petite histoire de notre humanité sordide attendra. Le décor est algérien, mais existe-t-il sur terre un paysage sans empreinte de l’ignominie des hommes ?
Après « Le rapt », j’avais besoin de passer à autre chose.
Le temps était beau, par la route des vallons, j’ai flemmardé jusqu’à Alençon. C’est une délicieuse petite ville, matière à écriture inépuisable. Pas de FNAC mais « Le passage » authentique librairie entre deux ruelles face à Notre Dame. J’ai emporté « Les mémoires d’un âne » et « Mort à crédit ».
Qui de la Comtesse de Ségur ou de Céline me délivrera du rapt de Benmalek ?
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