dimanche 29 novembre 2009

« Where is Granny ? » ou l'identité nationale à la Maison Blanche

Chaque année, depuis trois cents ans, les puritains rescapés du Mayflower rendent grâce à la fée coloniale qui leur permit de mettre la main sur le plus fabuleux des butins. Hier toutes les familles américaines étaient réunies autour d’une dinde toute joufflue d’orgueil et de farce odorante. Elle est servie avec des sauces confites et des brèves prières. Le peuple yankee tout entier déguste avec dévotion ce moment de communion : Thanksgiving !

Moi, j’ai dîné à Versailles rue de la Paroisse chez des Américains logés comme le roi soleil. La volaille était énorme, le Bourgogne à température et le cheese cake à la patate douce sans aucun commentaire.Tout en débitant des babillages de circonstance, je pensais à Hussein, le gardien de la Maison Blanche célébrant lui aussi la civilisation du dindon rôti.

Il est entouré de sa belle épouse, de ses enfants radieux. Les têtes s’inclinent vers les assiettes on murmure le bénédicité, le silence délicieux se prolonge… Mais sous la table le présidentiel toutou jappe, mettant un terme au recueillement. La petite dernière Obama interpelle son papa : « Daddy where is Grand-Ma ? » L’absence de mémé Obama est en effet inhabituelle. Le Président explique : « Well ! ta grand-mère est partie en pèlerinage à La Mecque. Je viens de l’avoir à l’iphone. Elle va bien. Elle partage la ferveur des deux millions de frères et sœurs en serviettes blanches qui cheminent vers la grâce. Il pleut à torrent là-bas. On n’a jamais vu autant de pluie en Arabie….Oh Yeah ! La mauvaise grippe porcine semble épargner les croyants, moins d’une trentaine ont été rappelés par Allah… » Daddy Barak dévie ensuite la conversation sur le disque de rap produit par le fils d’un collègue européen qu’il a reçu ce matin par la valise diplomatique. « C’est nul cacaboudin ! » La sobre critique de la gamine efface le sujet. L’aîné des fils Abou Barak relance habilement le propos sous l’angle gastronomique : « Whaouf Dad ! Cette dinde est tellement super-whopper ne serait-il pas possible d’en faire porter une cuisse par Air Force One à Grand-Ma sur le Mont Arafat ? » Un conseiller-lèche-botte se précipite à l’oreille présidentielle pour lui chuchoter « Yes we can ! » Le Président ferme les yeux pour mieux déglutir la gelée d’airelle et la farce au marron, il se concentre, cherche une issue diplomatique à la crise qui s’annonce et que les historiens qualifieront de « crash de la dinde ». Il sent que l’Amérique est à un tournant de son destin. Il se reprend enfin, lève les paumes, le geste du pasteur impose le silence. « Ma chère famille, sachez que pendant que nous sacrifions la dinde, notre Grand-Ma a égorgé un agneau selon le rite de l’Aïd. Elle en a distribué les meilleurs morceaux aux pauvres et nous a fait parvenir par F 117 quelques tranches furtives de la bête sacrée. Elle a aussi ajouté une outre pleine d’eau bénite de Zemzem ! » C’est le signal qu’attendaient des serviteurs en smoking et gants blancs de la CIA qui font alors irruption et déposent cérémonieusement sur la table le méchoui, le mosli et la carafe précieuse. « La Ila Illa Illah…Good bless America ! »

mercredi 25 novembre 2009

La rose et le prisonnier, pensées pour Taoufik Ben Brik

Au pays d’Hannibal, une tradition née de l’inspiration d’un combattant pour l’énergie durable, veut que chaque année la fête de l’arbre soit célébrée par la plantation de millions de pousses. Enfant, j’allais accomplir le rite de novembre aux côtés de mon père, et c’’est ainsi que l’obstination des générations a vaincu une partie du désert.
On peut rêver que dans quelques jours à Copenhague, le grand conclave des écolos décidera d’universaliser ce rite et ordonnera que désormais sous peine de taxe carbone, tous les autres hommes du monde partiront une fois l’an boiser la terre suivant le sage exemple des carthaginois.

Sur le marché de Saint-Patelin, j’ai choisi un plan de rosier. Trois petites tiges arrogantes dépassant d’une motte de glaise sombre. L’étiquette illustrée d’une fleur diaphane précisait « effluve persistant et délicat ». Il y avait aussi une autre variété, grimpante celle-là, à fleurs rouges mais inodores. J’ai hésité à prendre les deux car pour respecter la tradition, la fête du buisson ne doit célébrer qu’un seul scion. Et puis la rougeaude était sans épines, ce qui est signe de tare, d’absence de vigueur, et comme pour me décourager le pépiniériste en mal d’imagination l’avait baptisée « Michel Drucker » ce qui évoqua en moi la perspective de contemplations dominicales fort ennuyeuses. Non, décidément je suis resté sur mon premier coup de cœur : la rose « Françoise Sagan » auteure amoureuse et fragile, intelligente, fulgurante, femme-amante-sœur-confidente, pas maman pour un sou, mais enfant jusqu’au bout. « La Sagan » est une vraie plante de France avec de la sève et des épines. C’est la promesse pour le printemps prochain de la floraison nouvelle de la « vague » aujourd’hui à bout de souffle.
Je me souviens de la petite Françoise regardant tout avec l’air désabusé, avec ses yeux tristes qui soudain sans prévenir se plissaient dans un éclat de rire entre deux déprimes, entre deux brunes ou deux blanches. Sagan était une entichée de livres, une dévoreuse de lignes, de mots, de traits noirs avec ou sans ponctuation.

Une pensée s’envole vers le pays de Perpétue où un poète est vautré sur le grabat d’une geôle « il ne rit pas il aboie, il ne pouffe pas, il jappe » et puis entraîné par l’écriture de sa mésaventure, il comprend tout à coup que lui, le petit fait-divers de l’Histoire, il se glissera peut-être un jour dans les manuels scolaires.
Alors il se met à rire, à rire, mais à rire aux éclats … « preuve éclatante et irrésistible de ta liberté première » lui chuchote le fantôme de Sagan.

mardi 17 novembre 2009

Fait divers d'hiver

Une petite voix chuchote au téléphone « Allo l’émir ? ».
Je tombe du lit et cours vers la salle de bain m’asperger la figure. Hélas ce n’est pas un cauchemar. « Allo réponds moi c’est urgent ! » insiste le portable.
Dans ma tête aussi c’est urgent. Les souvenirs se bousculent. Il n’y a pas dix personnes au monde qui connaissent mon surnom auvergnat.

Il y a des lustres, j’avais rapporté d’Arabie un réveil qui faisait le muezzin. Le gadget lançait des « Allah akbar » déchirants. Ce cadeau avait fait sensation chez mon frère du Cantal.
Un matin qu’une voisine bigote lui rendait visite l’engin s’était déclenché à l’étage. Pour calmer la dame, on avait expliqué sur le ton de la confidence que l’on projetait de transformer le pigeonnier en minaret et la grange en salle de prière… C’était jour de marché alors la nouvelle s’était répandue à la vitesse de la poudre. A midi le maire en personne avait débarqué pour nous supplier d’aller dire bien haut au bistro que c’était une blague. L’affaire avait été prestement étouffée à la gnole et à la rigolade mais le surnom d’émir du canton m’était resté. Depuis, mon frère de vie a été rappelé à Allah et je n’ai plus jamais remis les pieds sur le Cézallier.

« Allo l’émir tu me reconnais ? » La petite voix s’enhardit : « c’est p’tit Chevrou ! » Me voila complètement réveillé, les vieux réflexes reviennent. Je lui lance « y’a gourance ici c’est Julien, je bosse dans deux plombes ! » et je raccroche précipitamment, certain que le môme a pigé le message subliminal.

Effectivement, deux heures plus tard, sitôt garé Boulevard Julien Coupat pt’it Chevrou se glisse à la place du passager. « Démarre l’émir, je vais t’expliquer le topo ». Le balaise de quarante balais tient son surnom de "p'tit" rapport à son père qui était un géant d’un quintal et son patronyme "Chevrou" à cause des plaisanteries qui circulaient, attribuant à la chèvre de Sekkinn la maternité du fils du bagnard (chacun connaît cette épopée révélée au grand public en juillet et août dernier ici même)

« Bon voilà, le fourgon des onze millions c’est moi ! » Je suis estomaqué par l’annonce. Pour masquer mon embarras je tente de plaisanter : « T’es gentil p’tit mais j’ai soldé mes crédits, j’ai une maîtresse frugale et une pension décente, j’ai de la chance, ça aurait pu être l’inverse. L’argent n’allonge pas la vie…. Alors, je te dépose aux resto du cœur ou au Secours Catholique ? » Silence.
Pour meubler je glisse le dernier CD de Diam’s. La môme explose les notes et les mots dans la sono. Le p’tit se détend.

Plus tard, assis devant un bol de Ricoré dans un rade de la place Beauvau il se met à table.
Il avait un boulot honnête de chauffeur-convoyeur de fonds dégoté il y a dix ans grâce au piston du filleul de son père un contrôleur général de la police. Il coulait des jours sans nuages entre le foot et la Kro mais il restait habité d’un inexpugnable désir d’égaler son père. Pour stigmatiser ses pulsions il avait entrepris un long travail de psychothérapie entrecoupé d’escapades de méditations transcendantales à l’Ibis de Biribi et au Thalassa-Mercure de Tataouine. En vain. Et puis soudain, tout s’est éclairé mardi dernier lorsque son collègue Jean Marc Lafegan un converti d’origine pachtoune, lui révéla que le camion renfermait onze millions et des poussières en talbins de cent euros. Ni une ni deux, P’tit Chevou, s’est fait la malle avec le coffiot à roulette.

Bon sang ne saurait mentir me dis-je en commandant un chocolat et une baguette beurrée. Je fais semblant de m’intéresser à la une d’un journal du matin, redoutant déjà d’y trouver mon nom et la photo de mes pauvres parents crêpés de honte. Les nouvelles mauvaises vont si vite.
« Tu veux savoir où j’ai plaqué le fourgon l’émir ? » Je m’étrangle « surtout pas ! » Je mets à profit le silence pour tenter de me remémorer les articles du code pénal et les moyens lâchement inélégants de me sortir de ce pétrin. « Il est au chaud dans le garage du gouverneur militaire des Invalides ! »…….. Je hoquette mon cacao sans parvenir à interrompre son flot de confidences abracadabrantesques.
Comme l’armée a externalisé le boulot de sentinelle à sa boite, le fils de Sekkinn est rentré dans la caserne des Invalides comme dans un moulin en présentant son badge à un collègue endormi. Maintenant, le camion recouvert d’un filet de camouflage est sagement garé entre un VAB et un char Leclerc.
Je suffoque de chaud, je tremble de froid il me vient des palpitations. C’est l’effet Ricoré dis-je au confessé soudain inquiet. « Il faut que je m’allonge, tu vas me ramener chez moi ». Je lui tends la clé de mon cabriolet Dacia. On roule lentement, je regarde goulûment défiler Paris à travers la vitre. J’ai comme un pressentiment que le destin me privera bientôt de ce sublime décor. Mon oiseau de malheur ne parle plus. La Bartoli roucoule Haendel dans les baffles. Je me demande si les taulards ont le droit d’avoir un ipod !

Chez moi, le choureur du siècle me prépare une camomille et débouche un grand cru classé de 1975 que j’avais oublié dans l’armoire à pharmacie.
« L’émir tu me connais, je ne suis pas un voleur, j’ai fait ça pour rendre hommage à mon dab, dis moi ce que je dois faire du pognon, il n'est pas question de le rendre, ce serait trahir sa mémoire, tu vas bien me trouver une idée ? »
Onze millions en coupures de cent, ça fait cent dix mille billets, de quoi remplir la piscine de « Mélodie en sous-sol », de quoi faire pleuvoir des sous, et si tu les balançais du haut de la Tour Eiffel ?

P’tit Chavrou a bu la Mission Haut Brion, il avait les yeux qui brillaient à la perspective révélée de sa nouvelle haute mission.
J’ai claqué la langue, il a claqué la porte.



Post-scriptum : j’ai appris comme vous aux nouvelles qu’une émeute avait été réprimée au pied de la Tour Eiffel, 5 000 personnes le nez en l’air attendaient que de l’argent tombe du ciel ! Cela ne m’a pas surpris car la nuit dernière :
« Allo l’émir j’ai changé d'idée. Ce sera à la Saint Sylvestre, minuit à l’Arc de Triomphe. Dis-moi tu pourras te charger de l’opération car maintenant que je suis célèbre, j’ai décidé de me rendre ! »

samedi 14 novembre 2009

La fièvre du samedi soir

« Le ruban blanc » est un film en noir avec un peu de blanc. Dépressif s’abstenir. Mais c’est du très grand cinéma. La Palme d’Or l’a récompensé. J’imagine le jury meurtri par la projection de cette histoire sombre s’échappant vers l’éclatante croisette de Cannes pour aller se désaltérer. Moi qui suis sensible comme pas deux, j’ai dû prendre ma semaine au club Med pour m’en remettre !

« 2012 » est un film en couleur à grand spectacle. On rit beaucoup tant les acteurs sont mauvais et le scénario invraisemblable. C’est l’histoire du soleil qui a rendez-vous avec la lune. La fin du monde est programmée. En grand secret les puissants de la terre construisent des arches pour sauver l’espèce des milliardaires et leurs mammifères de compagnie. Ce navet a dû coûter bonbon à son producteur. J’espère qu’il fera faillite.

« A/H1N1 » est un festival auquel je viens d’être convié par Madame Narquin-Bachelot Roselyne, qui me précise dans sa lettre que les projections auront lieu « Salle des fêtes, rue Carnot » sic. Si j’ai bien compris, il s’agit de la série : Pandemrix, Humenza, Panenza,Celtura, Celvapan co-produite par la GSK-Sanofi-Novartis-Baxter Bros & Co dont la promo bat son plein depuis l’été. L’argument fort de cette invitation est écrit en caractères gras « Cette injection est particulièrement importante si vous êtes (je suis) amené à être en contact avec (mes) jeunes enfants ou (ma) femme enceinte ( ?) ».

Tout s’embrouille dans ma tête.

Dans « 2012 », on met à l’abri les forts et les puissants. L’héroïque US President himself refuse au dernier moment de monter dans l’arche salvatrice afin de céder sa place à un jeune.
Dans « Le ruban blanc » les ignobles chenapans sont sauvés par l’Histoire des adultes qui est encore plus abominable que la leur.
Dans « A/H1N1 » c’est l’inverse. La priorité est de sauver les vieux, les malades, les sans-espoirs. Il faut à tout prix les protéger de la maladie qui emportera les enfants et les mères. C’est quoi ce mauvais scénario qu’elle nous fait la Roselyne, ministre de l’opérette ? Elle n’a pas vu « Titanic » ?

Dois-je malgré tout virer ma cutie et aller me faire vacciner à la salle des fêtes ?

Je vais regarder dans Télérama.