dimanche 28 juillet 2019

Macron, l'ami des Tunisiens


Le père a trépassé. Toute la famille tunisienne est rassemblée. Devant la mort, les querelles et les animosités s'effacent. Même les plus farouches rivaux d'hier s'inclinent. C'est dans le deuil que se mesure l'humanité des vivants. Derrière le cercueil on compte les défections. Le négligeant sera à jamais méprisé. 

Si Mohamed Béji Caïed Essebsi, Président vénéré de la nation est mort le jour anniversaire de la fondation de la République. Ce n'était pas un hasard, seulement l'ultime élégance d'un homme bien élevé respectueux des convenances républicaines. Les intégristes impénitents auront noté qu'Allah ne lui a pas permis d'expirer un saint vendredi et qu'il n'a pas été enterré dans les délais prescrits. Qu'importe, pour avoir de son vivant abondamment cité le coran à bon escient, l'homme était en règle avec sa conscience. Il était au sens propre du terme, un séculier, un homme de son époque que le grand âge n'avait pas enfermé dans le conservatisme et l'aigreur des bigots. Il a éclairé le peuple et défendu la cause des femmes ; l'Histoire dira la part de lumière qui lui revient de l'héritage de Bourguiba.

Si Béji devait son charisme à son sourire toujours bienveillant et à sa bonne humeur permanente. L'homme n'était jamais maussade, il donnait l'impression d'aimer pareillement les bonnes et les mauvaises surprises de la vie. Ce comportement fataliste qui est une règle de bienséance dans l'aristocratie tunisoise s'était bonifiée avec l'âge. Ses mimiques, sa gestuelle, son vocabulaire, absolument tout chez lui était authentiquement tunisien. Aucun homme politique - pas même Bourguiba - n'a jamais partagé cette intime complicité avec son peuple. Son comportement trahissait avec fierté son identité, sa nationalité, sa tunisianité. Pour le comprendre, il faut aller le surprendre – dans une séquence filmée après une interview au studio de Shems FM – fredonner l'hymne à la vie de la célèbre et regrettée diva Oulaya dont il proclamait que « jamais elle ne mourra ». Dans les pensées de chaque Tunisien, Béji aussi vivra éternellement.

Les Tunisiens ont suivi à la loupe les détails des funérailles nationales à l'organisation impécable. Ils ont compté les amis présents et jugé la sincérité de leur comportement. À l'exception notable de l'Italien, aucun chef d'État ou de gouvernement du voisinage ne manquait à l'appel. L'Algérien, le Libyen, le Maltais, l'Espagnol, le Français et même le plus lointain Portugais. Du Proche Orient ne s'étaient déplacé que le Président Palestinien et l'Émir du Qatar. Bien entendu, ces présences à haut niveau ou a minima ont une signification éminemment diplomatique. Pour les Tunisiens, elles dessinent le cercle de leurs amis au nombre desquels il faut ajouter tous les pays qui ont décrété un deuil national et mis leur drapeau en berne comme la Jordanie, l'Égypte, le Liban, la Mauritanie et même Cuba.

Les discours d'hommages prononcés par les chefs d'États avaient valeur d'engagement envers une Tunisie en situation d'incertitude politique et de détresse économique. De ce point de vue le message du Président Algérien Ben Salah qui assure l'intérim d'une transition délicate et celui du Président Libyen Sarraj qui affronte une guerre civile auront été malgré ces circonstances, très réconfortants. Celui de Felipe VI s'exprimant en français fut sans surprise celui d'un grand d'Espagne. Celui d'Emmanuel Macron fut en tous points exemplaire. Dans une courte improvisation il a rendu hommage à l'homme, son pays, sa famille et complétant la parole par le geste, il a embrassé comme du bon pain sa veuve. À la mode tunisienne.
Il connait nos usages, ils est des nôtres ont pensé tous les Tunisiens en le voyant sur les écrans de télévision. 

https://www.facebook.com/ShemsFm.PageOfficielle/videos/1123270561196265

jeudi 11 juillet 2019

Ben Salman, Salvator Mundi et Donald Trump

Que peut-il y avoir de commun entre le Prince Mohamed ben Salman d'Arabie, le Christ Sauveur du Monde et Donald Trump ? Un tableau à 450 millions de dollars pardi.
C'est l'histoire d'un petit morceau de bois peint à l'époque de la Renaissance, oublié pendant cinq siècles d'indifférence puis restauré à grands frais par des marchands malins. En 1958, il est cédé pour 45 £, en 2005 il est revendu 10 000 dollars. En 2013, Dmitri Rybolovlev un richissime cardiologue russe reconverti dans la potasse l'achète pour 127 millions de dollars à Yves Bouvier un négociant suisse qui venait de l'acquérir pour 75 millions. Belle plus-value nette fiscale ! Il faut dire que dans l'intervalle, l'oeuvre a été attribuée à Léonard de Vinci par des experts formels aussitôt contredits par quelques uns de leurs collègues grincheux qui reniflent l'embrouille : « provenance spéculative, attribution optimiste, restauration abusive, prix exorbitant.. » 

Art et business
Ouvrons une première parenthèse sur le célèbre vendeur russe qui, entre autres exploits, a généreusement permis en 2008 à Donald Trump de faire une jolie culbute en lui achetant 95 millions de dollars une villa que le futur Président avait acquise quatre ans plus tôt 42 millions (seulement). Seconde parenthèse sur le très avisé homme d'affaires suisse, patron de ports francs à Genève, Singapour, Luxembourg. Ces établissements sont des entrepôts où les marchandises séjournent en suspension de taxes et droits. Les immeubles dédiés aux objets d'art sont de véritables coffres forts implantés près des aéroports. Ils permettent aux fortunés du monde entier d'y déposer des valeurs et des objets à couvert du fisc du tous les pays; ils peuvent venir les contempler, les vendre ou les échanger en toute sécurité et discrétion. Rappelons accessoirement que les transactions sur les objets d'arts sont de commodes échappatoires aux lois sur le blanchiment d'argent.
Fermons ces parenthèses qui mériteraient mille pages de détails effarants sur ces cavernes d'Ali Baba. Également sur les frasques de ces deux hommes hors du commun qui se livrent une guerre judiciaire avec une armée de juristes ayant réussi à les conduire à tour de rôle en prison à Monaco en Suisse ou à Singapour.

Le jack pot
Revenons au « Léonard de Vinci » vendu 127 millions en 2013. Son prix le met désormais comme les grandes banques, à l’abri de la décote et des soupçons :  to big to fail. Le 15 novembre 2017, Rybolovlev le remet en vente chez Christie's à New York. Les prix s'envolent portés par des enchérisseurs mystérieux. Quelle est l'identité cachée du dégonflé qui s'est couché à 400 millions hors taxes et frais ? Le Vatican peut-être. Qui a servi de lièvre ? Qu'importe, très vite on apprend que Mohamed ben Salman est l'heureux adjudicataire du chef d'oeuvre. La transaction a été réalisée sous le nom d'emprunt d'un prince comparse qui a bonimenté à la presse que le tableau le plus cher du monde était destiné au Louvre d'Abu Dhabi et qu'il serait dévoilé au public à l'occasion de son inauguration par Macron. Las, depuis 18 mois, le chef d'oeuvre reste introuvable. Un bobard prétend qu'il est accroché dans un des salons du yacht de MBS. Il y serait en sécurité car le précieux morceau de planche vermoulue par les siècles doit être conservé à 45 degrés d'humidité constante. Selon une autre rumeur plus vraisemblable, il serait tout simplement retourné au port franc de Genève.

Pourquoi cet achat ?
Décidément, rien ne résiste à la volonté de Mohamed ben Salman qui collectionne les titres d'horreur : chef des équarrisseurs de Khashoggi, génocideur de yéménites, coupeur de têtes dissidentes, fouetteur de blogueurs, emprisonneur de femmes pensantes... Le voici amoureux des arts et amateur d'images pieuses. Il y a quelques jours, il paradait au premier rang des grands au sommet du G20 à Tokyo ; dans un an, il présidera l'assemblée des chefs d'États les plus puissants qui se tiendra dans sa capitale Riyadh. Exhibera t-il alors son trophée précieux pour épater la galerie ?
On peut s'interroger sur ses motivations d'acheteur compulsif ; ce tableau n'est pas un bateau de luxe ni un château français. Le Salvator Mundi est une représentation de Jésus sauveur du Monde. Pour un bon musulman, cet icône ne vaut pas même un coup de cidre sans alcool. Rappelons que la branche la plus rigoriste de l'islam est le salafisme sectaire dont MBS est le protecteur. En Arabie, quiconque s'avise de suspendre une croix ou une médaille religieuse autour du cou ou au mur de son living est passible de prison et baston s'il est chrétien et du sabre s'il est musulman. Ben Salman a t-il voulu une fois de plus exhiber sa totale impunité ? Montrer qu'il pouvait transgresser ses propres lois et braver toutes les suspicions, y compris celle d'apostat ? 

Un monde de fous
L'État saoudien se confond avec la propriété personnelle de MBS. L'État, c'est lui. Que l'État islamiste d'Arabie, le plus intolérant du monde, ait acheté un tableau figuratif impie dépasse l'entendement de tous les musulmans. Si Mohamed ben Salman a ordonné l'achat de ce coûteux chef d'oeuvre de l'art sacré , ce n'est pas pour être tombé à genoux en grâce devant le Christ Sauveur du Monde. En fait, il a acheté un prix, un mythe, un summum de la spéculation mondiale. Le revendra t-il un jour ? Certainement pas. L'a t-il détruit comme le poète Gainsbourg qui allumait sa Gauloise au feu d'une grosse coupure ? Que non ! Plus vraisemblablement il en a fait cadeau. À qui ? À son épouse, maitresse ou concubine ? C'est exclu : MBS n'est pas Aragon on ne lui connait pas d'Elsa. Non, le seul récipiendaire digne de ce fabuleux objet, le seul qui soit à la hauteur de la reconnaissance qu'il lui doit pour avoir sauver sa dynastie: c'est Donald Trump. Il est le bienfaiteur des Saoud, l'évangéliste de tous les instants, le plus mégalo Président de tous les temps. Trump en rêvait, MBS le lui a offert. 
On peut imaginer que dans un port franc mieux protégé que Fort Knox, celui qui est encore le Président des Etats Unis d'Amérique se fait parfois enfermer dans une pièce blindée. Là, devant le tableau éffleuré par Léonard de Vinci, Donald Trump soliloque dans un tête à tête imaginaire avec son précurseur le Sauveur du Monde « Jesus, omy God ! »