Que
peut-il y avoir de commun entre le Prince Mohamed ben Salman
d'Arabie, le Christ Sauveur du Monde et Donald Trump ? Un
tableau à 450 millions de dollars pardi.
C'est
l'histoire d'un petit morceau de bois peint à l'époque de la
Renaissance, oublié pendant cinq siècles d'indifférence puis
restauré à grands frais par des
marchands malins. En 1958, il est cédé pour 45 £, en 2005 il est
revendu 10 000 dollars. En 2013, Dmitri Rybolovlev un richissime
cardiologue russe reconverti dans la potasse l'achète pour 127
millions de dollars à Yves Bouvier un négociant suisse qui venait
de l'acquérir pour 75 millions. Belle plus-value nette fiscale
! Il faut dire que dans l'intervalle, l'oeuvre a été attribuée à
Léonard de Vinci par des experts formels aussitôt contredits par
quelques uns de leurs collègues
grincheux qui reniflent l'embrouille : « provenance
spéculative, attribution optimiste, restauration abusive, prix
exorbitant.. »
Art
et business
Ouvrons une première parenthèse
sur le célèbre vendeur russe qui, entre
autres exploits, a généreusement permis en
2008 à Donald Trump de faire une jolie culbute en lui achetant 95
millions de dollars une villa que le futur Président avait acquise
quatre ans plus tôt 42 millions (seulement). Seconde parenthèse sur
le très avisé homme d'affaires suisse,
patron de ports francs à Genève,
Singapour, Luxembourg. Ces établissements sont des entrepôts où
les marchandises séjournent en suspension de taxes et droits. Les
immeubles dédiés aux objets d'art sont de véritables coffres forts implantés près des aéroports. Ils permettent aux
fortunés du monde entier d'y déposer des
valeurs et des objets à couvert du fisc du tous les pays;
ils peuvent venir les contempler, les vendre ou les échanger en
toute sécurité et discrétion. Rappelons accessoirement que les
transactions sur les objets d'arts sont de commodes échappatoires
aux lois sur le blanchiment d'argent.
Fermons
ces parenthèses qui mériteraient mille pages de détails effarants
sur ces cavernes d'Ali Baba. Également sur les frasques de ces deux
hommes hors du commun qui se livrent une guerre judiciaire avec une
armée de juristes ayant réussi à les conduire à tour de rôle
en prison à Monaco en Suisse ou à Singapour.
Le
jack pot
Revenons
au « Léonard de Vinci » vendu 127 millions en 2013. Son
prix le met désormais comme les grandes banques, à l’abri de
la décote et des soupçons : to big to fail. Le 15
novembre 2017, Rybolovlev le remet en vente chez Christie's à New
York. Les prix s'envolent portés par des enchérisseurs mystérieux.
Quelle est l'identité cachée du dégonflé qui s'est couché à 400
millions hors taxes et frais ? Le Vatican peut-être.
Qui a servi de lièvre ? Qu'importe, très vite on apprend que
Mohamed ben Salman est l'heureux adjudicataire du chef d'oeuvre. La
transaction a été réalisée sous le nom d'emprunt d'un prince
comparse qui a bonimenté à la presse que le tableau le plus cher du
monde était destiné au Louvre d'Abu Dhabi et qu'il serait dévoilé
au public à l'occasion de son inauguration par Macron. Las, depuis
18 mois, le chef d'oeuvre reste introuvable. Un bobard prétend qu'il
est accroché dans un des salons du yacht de MBS. Il y serait en
sécurité car le précieux morceau de planche vermoulue par les
siècles doit être conservé à 45 degrés d'humidité
constante. Selon une autre rumeur plus vraisemblable, il serait tout
simplement retourné au port franc de Genève.
Pourquoi
cet achat ?
Décidément,
rien ne résiste à la volonté de Mohamed ben Salman qui
collectionne les titres d'horreur : chef des équarrisseurs de
Khashoggi, génocideur de yéménites, coupeur de têtes dissidentes,
fouetteur de blogueurs, emprisonneur de femmes pensantes... Le voici
amoureux des arts et amateur d'images pieuses. Il y a
quelques jours, il paradait au premier rang des grands au sommet du
G20 à Tokyo ; dans un an, il présidera l'assemblée des chefs
d'États les plus puissants qui se tiendra dans sa capitale Riyadh.
Exhibera t-il alors son trophée précieux pour épater la galerie ?
On
peut s'interroger sur ses motivations d'acheteur compulsif ; ce
tableau n'est pas un bateau de luxe ni un château français. Le
Salvator Mundi est une représentation de Jésus sauveur du Monde.
Pour un bon musulman, cet icône ne vaut pas même un coup de cidre
sans alcool. Rappelons que la branche la plus rigoriste de l'islam
est le salafisme sectaire dont MBS est le protecteur. En Arabie,
quiconque s'avise de suspendre une croix ou une médaille religieuse autour du cou ou au mur de son living est passible de prison et baston s'il est chrétien
et du sabre s'il est musulman. Ben Salman a t-il voulu une fois de
plus exhiber sa totale impunité ? Montrer qu'il pouvait
transgresser ses propres lois et braver toutes les suspicions, y
compris celle d'apostat ?
Un monde de fous
L'État
saoudien se confond avec la propriété personnelle de MBS. L'État,
c'est lui. Que l'État islamiste d'Arabie, le plus intolérant du
monde, ait acheté un tableau figuratif impie dépasse
l'entendement de tous les musulmans. Si Mohamed ben Salman a ordonné
l'achat de ce coûteux chef d'oeuvre de l'art sacré , ce n'est pas
pour être tombé à genoux en grâce devant le Christ
Sauveur du Monde. En fait, il a acheté un prix, un mythe, un summum
de la spéculation mondiale. Le revendra
t-il un jour ? Certainement pas. L'a t-il détruit comme le
poète Gainsbourg qui allumait sa Gauloise au feu d'une grosse
coupure ? Que non ! Plus vraisemblablement il en a fait cadeau.
À qui ? À son épouse, maitresse ou concubine ? C'est
exclu : MBS n'est pas Aragon on ne lui connait pas d'Elsa. Non,
le seul récipiendaire digne de ce fabuleux objet, le seul qui soit à
la hauteur de la reconnaissance qu'il lui doit pour avoir sauver sa
dynastie: c'est Donald Trump. Il est le bienfaiteur des Saoud,
l'évangéliste de tous les instants, le plus mégalo Président de
tous les temps. Trump en rêvait, MBS le lui a offert.
On
peut imaginer que dans un port franc mieux protégé que Fort Knox,
celui qui est encore le Président des Etats Unis d'Amérique se fait
parfois enfermer dans une pièce blindée. Là,
devant le tableau éffleuré par Léonard de Vinci, Donald Trump
soliloque dans un tête à tête imaginaire avec son précurseur le
Sauveur du Monde « Jesus, oh my
God ! »
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