mercredi 13 décembre 2023

"Ferme ta gueule !" Conesa

L’injonction « ferme ta gueule ! » lancée par Gérard Larcher à Jean-Luc Mélenchon est un avertissement qui s’adresse pareillement à tous ceux qui osent dénoncer l’épuration ethnique à Gaza.


Pierre Conesa est un personnage singulier dans le paysage médiatique des experts français en géostratégie. Spécialiste reconnu pour ses analyses et ses thèses sur les radicalismes de tous bords, la vingtaine d’ouvrages qu’il a publiés sont pour la plupart traduits et diffusés dans les universités du monde entier.

Jeune agrégé d’histoire, ce travailleur boulimique et curieux de tout passe un diplôme de mathématique, un autre de chinois et pour meubler ses insomnies…il prépare l’ENA. Reçu. Parmi les fils-à-papa empesés sortis de Sciences-Po, le jeune pied noir surdoué détonne par son calme, sa nonchalance et son apparente absence de passion. Est-il de droite ? De gauche ? Seule certitude, c’est un farouche républicain. À sa sortie de l’école, il part ronronner quelques années dans un tribunal administratif avant d’être chargé de la stratégie au ministère de la Défense. Dans ce poste qu’il conservera jusqu’à la retraite, ses analyses sont des perles rares que s’échangent un petit cercle d’habilités « confidentiel défense ». Conesa ne prend jamais de gants, il est factuel, dépouillé de tout préjugé. Chaque ministre pense à lui pour de très hautes fonctions dans l’armement ou le renseignement avant de renoncer car l’homme trop indépendant refuse toute allégeance politique. En quittant le ministère de la Défense, il pantoufle dans une société d’intelligence économique, puis délivré de son devoir de réserve il publie un livre fracassantdans lequel il accuse la dynastie des Saoud d’Arabie d’être le « géniteur de radicalisme » et de nourrir le terrorisme islamiste dans le monde. Dire que cet ouvrage a contribué à changer la perception qu’avaient les décideurs occidentaux sur le royaume de la duplicité et de la terreur n’est pas exagéré. Se demander si la thèse de Conesa est à l’origine des changements observés en Arabie Saoudite, c’est poser la question d’Edward Lorenz: « le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »

Nous avons oublié notre l’histoire  « Les cadavres jonchaient encore les rues. Des terroristes arrêtés, hébétés, demeuraient accroupis sous la garde des soldats…. Alignés sur les lits, dans des appartements dévastés, les morts, égorgés et mutilés (dont une fillette de quatre jours) offraient le spectacle de leurs plaies affreuses. Le sang avait giclé partout… À l’hôpital, des femmes, des garçonnets, des fillettes de quelques années gémissaient dans leur fièvre et leurs cauchemars, des doigts sectionnés, la gorge à moitié tranchée. » Le gouvernement soutenu par son opinion indignée déclare qu’il ne négociera jamais avec « ces terroristes ». Gaza ? Non. C’était en août 1955 en Algérie. C’est ainsi que Jacques Soustelle décrivait l’horreur. Le FLN venait d’appliquer à son tour, dix ans après le gouvernement français, le principe de « responsabilité collective » pour punir sans discernement les femmes et les enfants. Sept ans plus tard, en mars 1962, après d’innombrables massacres de civils de part et d’autre, la France signait la paix d’Evian avec une délégation de « terroristes ». Comparer les « terroristes » du Hamas avec ceux du FLN - que l’armée française désignait alors comme « hors la loi » -   n’est pas politiquement correct car chacun sait qu’aucun gouvernement israélien ne négociera jamais avec les « terroristes », ben voyons ! Il ne faut pas confondre les juifs de Palestine avec les pieds-noirs, aucun ne fera jamais sa yérida,  ben voyons !

Nous ignorons la géographie   La bande de Gaza c’est la superficie du Territoire de Belfort où vivent 200 000 habitants contre plus de 2 millions à Gaza. Il faut imaginer Belford sous des bombardements que la presse sans objectivité désigne comme des « frappes ciblées » qui sont en fait des tirs de missiles air/sol de trois cents kilos à dévastation spécifique largués depuis des drones ou des avions. 400 à 800 raids par jour. Plus de 100 000 victimes. La proportion 1/3 d’enfants, 1/3 de femmes est inégalée dans les guerres de l’histoire du monde. Comment qualifier cette boucherie sinon de génocide.

La Cisjordanie c’est la superficie de la Creuse ou des Yvelines. Trois millions de Palestiniens environ et un million d’Israéliens cohabitent vaille que vaille. Les Palestiniens administrent seulement 18% du territoire qui est un labyrinthe entrecoupé de routes murées et de barrages de sécurité qui rendent les déplacements kafkaïens. Encouragé par la droite radicale au pouvoir, des centaines de milliers d’Israéliens se sont appropriés par la force les meilleures terres palestiniennes. Chaque jour des fermiers sont expulsés sous l’oeil passif des autorités. Chaque jour des jeunes insurgés sont tués.

Ghetto ou pas ghetto   Il n’est pas politiquement correct d’assimiler le ghetto de Gaza à celui de Varsovie où vivaient « seulement » 380 000 juifs, ni de rappeler que ceux-ci finirent par se révolter. On ne peut pas laisser dire que des descendants de cette population martyre, chassée au lance flamme, déportée et en partie exterminée sont aujourd’hui la honte des démocraties occidentales.  Pourquoi pas ? Aux Etats Unis des rabbins organisent des rassemblements pour exiger « l’arrêt du massacre ». En France, des intellectuels juifs qui savent l’histoire, s’élèvent courageusement contre la réplique actualisée des ghettos du siècle dernier et donnent l’exemple à des dizaines de milliers de pétitionnaires indignés. À Paris, les manifestations de rue sont interdites par le gouvernement. Plus sioniste tu meurs ! De son coté, le président transgresse sa fonction, viole la constitution et tous les usages de la Vème république. Il encourage la tolérance à l’illégalité au point que même le CRIF, qui n’est pas un mouvement insoumis s’est indigné qu’il ait pu organiser une cérémonie religieuse juive à l’Élysée. Pour marquer définitivement la caducité de la loi de 1905 et apaiser la colère des musulmans des « ghettos du 93 » qui menacent de chahuter les JO, un mouton sera-t-il rituellement égorgé à la grille du Coq en juin prochain pour célébrer l’Aïd el-kébir en présence de Brigitte Macron ?

« Ferme ta gueule ! »   Cette sortie préméditée très médiatisée du Président du Sénat Gérard Larcher n’a pas pour objet de discréditer un opposant politique; elle est la réponse à toute tentative de débattre sur Gaza. C’est une injonction familière de comptoir employée par ceux qui sont à court d’argument. Elle vaut avertissement et précède souvent le geste de violence… toutes les épouses de machos vous diront qu’un « ferme ta gueule ! » précède la gifle. Cette insulte  calquée sur le célèbre « casse toi pauv con » de Sarkozy est indigne d’un personnage se réclamant de l’héritage moral de Charles de Gaulle. 

Cette instrumentalisation de l’antisémitisme qui est mis à toutes les sauces vise à paralyser la classe politique tout entière. Ainsi, voici l’ancien ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, Dominique de Villepin, vilipendé pour avoir oser dire « la domination financière sur les médias et sur le monde de l’art et de la musique pèse lourd ». Lourd de sous-entendus pour certains médias qui ont traduit dans leur langage « domination juive ». Bientôt on ne pourra plus monter sur un plateau de télévision sans avoir présenté un mot d’accréditation de Meyer Habib, le député ami de Netanyahu !

Censure   Pierre Conesa est un habitué de BFMTV. Après avoir été invité deux jours de suite, il apprend qu’il est désormais interdit d’antenne. Le présentateur Yves Calvi aurait reçu des consignes de son rédacteur en Chef lequel aurait suivi des instructions venues d’en haut… De là à imaginer que Patrick Drahi le propriétaire israélien de la chaine ait mis son grain de sel, tous les antisémites sautent le pas. 

En Israel,  la chaine est regardée par quelques uns des  530 000 francophones qui n’apprécient pas tous le parler « cash » de Pierre Conesa. À propos de Gaza, celui-ci a osé aborder « l’épuration ethnique » rappelant l’expulsion des Arméniens par l’Azerbaidjan. Il a comparé le ghetto de Gaza à celui de Varsovie. Il a dit que deux extrémismes se faisaient face…Enfin, il a évoqué l’Algérie, rappelant qu’en son temps,  le FLN tout comme le Hamas avait été qualifié de « terroristes ». Que n’avait-il pas dit ! Il y a 15 000 000 francophones algériens dont quelques milliers de chatouilleux qui traquent les propos pour et anti de BFMTV.

Qu’on se le dise, la Palestine et l’Algérie sont des sujets tabous parmi beaucoup d’autres, et tous ceux qui s’écartent des éléments de langage de la « domination financière » sont  censurés. 

Alors,   « ferme ta gueule ! » Conesa.

jeudi 30 novembre 2023

Palestine/Israel: la dictature des mots

 Écrire sur les abominations de Gaza est un exercice soumis à la dictature des mots. Cette sourde inquisition à bas bruit interdit tout débat et partant, entrave la liberté d’expression. 


Au préalable, il faut répondre à la question : condamnez-vous-le-Hamas ? Puis choisir un identifiant : extrémiste, islamo-fasciste, terroriste, bachibouzouk… Enfin, pour preuve que la réponse n’émane pas d’un robot il faudra bientôt  joindre son profil Linkedln et scanner son QR code comme pour les JO.


Fourberies

Pour autant, cet interrogatoire n’écarte pas totalement le soupçon de « takîya », fourberie religieuse bien connue qui autorise la dissimulation de sa foi pour éviter les persécutions. Elle n’est pas exclusive à l’islam. C’est même ainsi que les judéo-chrétiens ébionites et les crypto-juifs marranes ont survécu aux persécutions.

Heureusement, les subtilités de la langue française permettent de débusquer les « takîyati » parmi les plus malins dissimulateurs ! Je veux parler des juifs ou musulmans qui détournent la loi de leur religion pour se gaver de fruits de mer et de cochonnailles au prétexte d’apaiser les soupçons des inquisiteurs de tout ce qui pénètre ou sort d’entre les lèvres. 

Car il suffit d’un mot pour dévoiler ses convictions !


Israel

Il convient de dire « Israel » et non pas « l’État hébreu » car des esprits octogénaires pourraient connoter l’État de Tel Aviv avec celui de Vichy d’autant qu’un blagueur de France Inter a traité Netanyahu de « nazi sans prépuce ». Indignation générale et publicité imméritée !

En Europe sur les étalages de fruits et légumes on affiche la provenance « Israel ». En pays arabe on mentionne les mêmes produits mais avec l’origine  « territoires occupés » et dans les discussions au café, dans les médias, dans les déclarations de chefs d’États le nom du pays honni est remplacé par « occupant sioniste ». 

En taisant les mots, on les ignore, on esquisse, on évite de les combattre. 

Tout aussi insupportables sont les formules imposées. Ainsi en France, chaque membre du gouvernement qui parle d’Israel doit obligatoirement ajouter: « qui-a-le-droit-de-se-défendre » 


Droit de se défendre

Savoir si ce droit est légitime dans sa disproportion vengeresse est une question que posent quelques laïcs dotés de discernement. Les théologiens pour leur part,  sont divisés sur l’interprétation de la formule « oeil pour oeil » issue de la nuit des temps et dont on trouve la trace dans les textes sacrés des religions juive, chrétienne et musulmane. Le « droit-de-se-défendre » sous entendu de riposter sans mesure est  le retour à l’instinct primaire des bipèdes. Le fort vit du faible. Il impose sa loi. Mais la loi du talion dans l’empire de Babylone avait justement pour fonction d’individualiser la sanction et d’empêcher la punition collective. Avec l’adoption de cette loi, la tribu d’un animal tueur n’était plus exterminée, la famille de l’assassin n’était plus exécutée. Aujourd’hui, le spectacle des massacres de civils par les commandos du Hamas et la boucherie perpétrée par Israel à Gaza est une transgression de la loi du talion, c’est une régression de l’humanité de 5 000 ans !


Tsahal, Tel Aviv et l’ONU

L’armée israélienne se désigne comme une force de défense dont l’acronyme en hébreu est « Tsahal ». Ce nom est un marqueur pour celui qui l’emploie. Il est rarement écrit dans les journaux arabes qui lui préfèrent: « armée sioniste » ou « armée des forces d’occupation »


« Tel Aviv » est certes la capitale d’Israel  reconnue par l’ONU;  mais pas pour l’Amérique de Donald Trump et quelques pays affidés qui ont approuvé la décision du gouvernement israélien de transférer la capitale  à Jerusalem dite al Qods (le Saint) en arabe. 


Ne dites plus ONU, dites Doha. Lors d’une assemblée générale à New York,  le représentant d’Israel, étoile jaune au veston a réclamé la démission du secrétaire général de l’ONU qui avait osé rappeler une règle fondamentale: « aucune partie à un conflit armé n’est au-dessus du droit humanitaire international » 

Conséquence: pour négocier une trêve et l’échange de captifs, Netanyahu et Biden ont mandaté en lieu et place de l’ONU l’Émir de la monarchie gazière du Qatar. Ce choix n’est finalement pas saugrenu au constat que la guerre depuis l’Ukraine jusqu’à Gaza, en passant par le Yémen, le Soudan, le Liban, l’Afghanistan… est affaire de gaz dont Doha est incontestablement la capitale mondiale.


Génocide etc…

Doit-on utiliser le mot holocauste emprunté du grec plutôt que Shoah qui en hébreu veut dire la même chose mais avec une majuscule ? Shoah est exclu du dictionnaire arabe. 

Le terme génocide est tout aussi délicat à manier. Il fait référence aux exterminations de juifs par les nazis en Europe mais aussi au « pogrom » à l’envers commis par les supplétifs de l’armée israélienne à Sabra et Chatila au Liban en 1982. 

Faut-il parler de crimes de guerre plutôt que de crimes contre l’humanité ? Ces notions juridiques sur l’injustice humaine nourrissent les commentaires de la vision d’horreur des crânes fracassés et des nourrissons carbonisés diffusée sur les médias arabes et occidentaux. 

Faut-il écrire Palestinien au singulier avec majuscule ce qui sous entend « la cause »,  plutôt qu’au pluriel avec minuscule ? Peut-on occulter les exécutions sommaires quotidiennes de jeunes palestiniens en Cisjordanie par les colons bénéficiant d’une totale impunité en écrivant qu’Israel est en guerre avec le seul Hamas ?


Hamas

Hamas: prononciation en français: Amas, prononciation en arabe : Hhamas, prononciation en hébreu: Khaamas.  Pour les pays arabes, africains, asiatiques, d’Amérique latine, la Suisse… c’est un mouvement de libération nationaliste islamiste. Pour les autres: USA, Canada, Europe, Japon, Australie…  c’est une organisation terroriste dont la fréquentation est toxique. Pourtant, la  branche « politique » du Hamas tient pignon sur rue à Doha au Qatar à moins de 30km de la plus grande base militaire américaine du Moyen-Orient. Pourtant, sous protection diplomatique, ses représentants font la navette avec Gaza et discutent avec tous ceux qui traitent leurs frères de terroristes. Il y aurait donc des gentils Hamas.


Sioniste et islamistes

Le sionisme est le mouvement à l’origine de la fondation d’un état juif autour de la colline de Sion près de Jérusalem. Depuis, les fondamentalistes sionistes soutenus par les évangélistes américains, ont élargi leur prétention à la souveraineté de toutes les terres comprises entre le Jourdain et la mer. Les islamistes palestiniens ont exactement la même revendication. Les uns veulent déporter les arabes, les autres bouter les juifs hors de Palestine. Chacun campe sur la divine volonté et comme le dit Pierre Conesa, « Avec Dieu, on ne discute pas » Impuissants, les modérés  prêchent - dans le désert - en faveur d'une cohabitation ou du partage en deux états qui devient de plus en plus illusoire.


Les sémites

« L’antisionisme est une des formes modernes de l’antisémitisme » a dit Emmanuel Macron . En France l’antisémitisme est un racisme passible des tribunaux.

Les sionistes, largement représentés au parlement et au gouvernement considèrent toute critique d’Israel comme antisémite. Cette paranoïa contagieuse cherche à diviser la nation à des fins électoralistes. En chaque arabe, ils soupçonnent le « terroriste ». 

En Afrique du Nord, la stigmatisation est inverse. Ainsi, la Tunisie a envisagé d’amender sa constitution pour criminaliser toute relation - même culturelle ou sportive - avec « l’entité sioniste ».


Les peuples phéniciens, arabes, hébreux… à l’origine des trois religions monothéistes étaient tous des sémites. 

Descendant d’eux, Amin Maalouf le secrétaire perpétuel de l’Académie française est libre, indépendant, immortel…il connait l’Histoire profonde, il sait peser ses mots.  Au constat que les hommes déshumanisés ne savent plus faire la paix il alerte :  « Nous marchons comme des somnambules vers un affrontement planétaire » 

samedi 28 octobre 2023

Ni Hamas ni Likoud

Faut-il ajouter un commentaire aux images d’horreurs qui inondent les médias invitant le téléspectateur à rejoindre une équipe de supporters comme si Israël-Palestine se jouait entre Darmanin et Benzema sur grand écran devant une bière-frites ? C’est la guerre avec son cortège d’horreurs et d’atrocités.  Il n’y aura pas de gagnants.Tous les survivants seront perdants, les vainqueurs comme les vaincus.


Vengeance: les « animaux humains » du Hamas seront exterminés ont promis Gallant et Netanyahu ivres de colère. Ils ont délibérément entrainé vers la mort ou des souffrances indicibles 2,3 millions de civils prisonniers du ghetto de Gaza. Injustice et ignominie. Après le Bataclan et Charlie nul à part l’irresponsable  Éric Zemmour n’a songé aller punir les habitants de Molenbeek coupables d’avoir couvé des terroristes ! A-t-on jamais suggéré d'aller en représailles raser les quartiers où vivaient l’assassin de Samuel Paty ou de Dominique Bernard ? La sidération fait perdre la raison. Approuvé par les alliés d’israël, le droit à la légitime défense est devenu celui de la légitime vengeance. La spirale des abominations ne fait que commencer, batailles médiévales sans merci, oeil pour oeil, dent pour dent. Depuis le siège de Jérusalem par Godefroy de Bouillon, il semblerait que le bon dieu et les hommes aient sur cette terre sainte renié toute compassion. 


Arrogance et ignorance: en France, les va-de-la-gueule accoudés aux comptoirs des télés-infos s’en sont donné à coeur joie. Les « experts » qui hier encore nous assénaient des vérités sur l’invasion de l’Ukraine, décryptent aujourd’hui l’Orient compliqué avec l’assurance  des ignorants. Dans la précipitation, nos responsables politiques hâtivement briefés par des conseillers techniques sous influence ou nés de la dernière pluie ont multiplié les bévues. Les médias et les réseaux sociaux occultant l’analyse et la réflexion ont saturé l’information d’émotions. Ils ont monté en épingle la diatribe d’un élu en mal de notoriété qui réclamait la déchéance de nationalité d’un sportif et fustigé un autre qui pinaillait sur le sens d’un mot en tournant autour du pot. 

Au lieu de porter le deuil de nos compatriotes assassinés en drapant de noir les trois couleurs en berne, on a hissé sur des mairies le drapeau d’Israël. Au nom de qui et de quel droit ? Parmi tous les hommes politiques seul Dominique de Villepin s’est immédiatement exprimé avec justesse hauteur et dignité en s’étonnant que l’on ait pu « inventer l’enfer sur terre » cependant que la plupart des élus ont dans un méprisable élan égoïste cherché à conforter leur clientèle en prenant le parti du plus grand nombre d’électeurs juifs ou arabes de leur circonscription. 


La France n’est pas Israël : la nation française dénombre 600 000 juifs. L’appartenance à cette religion leur confère automatiquement le droit à la nationalité israélienne. La France compte aussi plusieurs millions de citoyens musulmans ayant pour la plupart hérité du droit à la nationalité d’origine de leurs aïeux par agnation. Plus d’un Français sur dix est donc directement affecté dans sa culture par la guerre en Palestine.

Que dans leur ensemble, les juifs de France soient solidaires d’Israël se comprend, que les musulmans le soit de Gaza pareillement. Pour autant, ils ne sont pas en guerre: aucun d’entre eux n’est parti s’engager. À travers leur communauté ils portent simplement le deuil et l’indignation de la nation. 


Garder raison: brimer la liberté de penser et de s’exprimer conduit à monter les Français les uns contre les autres. Il a fallu recourir au Conseil d’État pour permettre qu’un rassemblement favorable à la Palestine soit autorisé place de la République à Paris le 22 octobre dernier. La police craignait. Pourtant, des manifestations distinctes dans des lieux différents derrière des banderoles opposées n’ont pas provoqué les violences redoutées. À Sarcelles et dans le 19ème arrondissement de Paris les communautés juives et musulmanes se côtoient sans se chamailler. Hélas les va-t’en-guerre n’ont pas dit leur dernier mot. Que pèsent les messagers de nos intelligences nationales comme celles d’Étienne Balibar, Sophie Bessis, Amine Malouf… face au déferlement de propagande des médias inféodés qui diffusent des points de vue biaisés


La France n’est pas Gaza: la plupart des binationaux sont attentifs aux nouvelles de leur pays d’origine. Ils regardent les chaines françaises d’information en continu mais zappent en parallèle vers les télés arabes. Ils ont l’avantage de pouvoir mesurer le parti pris et les mensonges des deux mondes. 

Le Maroc signataire des accords d’Abraham a exprimé sa « préoccupation », l’Algérie a dénoncé « une agression sioniste barbare » le Président tunisien a réitéré « le soutien total et inconditionnel de son pays à la cause palestinienne », il a ordonné qu’en signe de solidarité, les écoles hissent les drapeaux tunisiens et palestiniens et que les élèves entonnent les deux hymnes avant d’entrer en classe. 

Par l’observation de ces postures politiques, la perception de la situation depuis la France  par les binationaux est sans doute plus équilibrée que celle des français de mono-culture. Mais hélas d’aucuns cherchent à attiser les braises.


L’huile sur le feu: à bas bruit, un sentiment d’hostilité à la France se développe en Afrique du Nord. Entre Paris et Rabat, Alger, Tunis les relations diplomatiques n’ont jamais connu semblable répulsion depuis la colonisation. Le Maroc tourne le dos, le roi boude ostensiblement Macron. Le Président algérien n’est pas plus aimable car sa visite d’état à Paris est repoussée aux calendes grecques depuis que l’Algérie a réintégré dans son hymne national un couplet révolutionnaire ouvertement hostile à la France qui ne saurait être entonné dans la cour des Invalides. À Tunis, une figure historique de la gauche proche du pouvoir n’a pas hésité à appeler le gouvernement à expulser l’ambassadeur de France dont le pays soutient l’entité sioniste. C’est du jamais entendu depuis la crise de Bizerte de 1961 !


Une diplomatie inerte: comment expliquer cette fâcherie qui risque à tout moment de se muer en hostilité  autrement que par l’ancrage du sentiment anti colonial exacerbé par la politique de restriction des visas, l’immigration clandestine, les difficultés économiques, mais aussi par la vertigineuse perte d’influence de la France sur le continent africain.

Depuis Sarkozy, la diplomatie de la France est à la dérive. Son message est brouillé, Paris dit tout et son contraire, cherche sans cesse à ménager la chèvre et le chou. Hormis quelques milliardaires nord américains, qui est l’ami de Macron ?  Pour les dirigeants étrangers la France est un fournisseur d’armement et une destination de villégiature de luxe. Point. Avec le gouvernement français on parle surtout business et foot confesse le proche d’un émir en rigolant.


La république en danger: m’ayant entendu parler arabe au téléphone à la terrasse d’un café parisien, un jeune attablé à coté m’adresse des paroles de sympathie. Sur la religion, il me dit des inepties que je parviens à contredire en me  demandant si son approbation n’est pas simple politesse due notre différence d'âge. Sur la politique. Je laisse filer. Chacun ses opinions. Puis ce descendant d’immigré qui sait quelques mots d’arabe et quelques préceptes de l’islam appris sur TicTok me déclare sur le ton de la connivence: « de toute façon, ils ne nous aiment pas »… Je sursaute: qui ils ? « mais les français bien sûr !.. » C’est la posture de victimisation des musulmans si bien décrite par Pierre Conesa il y a dix ans ! Mais il est probable que dans un autre quartier, le bi-citoyen d’une autre religion aurait tenu semblable discours car la guerre de Gaza ajoute à la discorde des Français. 

Le déni de nationalité gagne les ignorants de l’Histoire qui se sentent étrangers dans leur patrie. Alexandre Vialatte aurait pour une fois, bien été obligé d’en conclure que la République est en danger.

dimanche 15 octobre 2023

La chèvre de monsieur Sekkine

«  Allo M’sieu Lédi ? Ici René du café d’Anzagne . C’est au sujet d’Amédée. Oui, ben il est mort. On l’a enterré hier. Il allait coiffer les cent ans, il s’est éteint comme une bougie. Il a laissé un mot avec votre téléphone… alors faudrait venir chercher la chèvre  ! »
Je tombe des nues.  «  Heu, laissez moi votre numéro, je vous rappelle … »
C’est une histoire de fous.

Il y a longtemps, par le hasard de plusieurs conversations de bistro glanées au gré de mes voyages à Issoire, Marseille, Tunis, Alger… on m’avait révélé les détails de la vie d’Amédée l’Auvergnat dit  Sekkine (le couteau en arabe) né au début du siècle dernier,

Avant d’être appelé à l’armée où il avait rapidement gagné les chevrons de caporal, il avait confié à un collaborateur de confiance la gestion de son affaire très prospère grâce à l’ardeur d’une douzaine de demoiselles qui arpentaient les trottoirs de Clermont-Ferrand. Mais le partenariat avait tourné au vinaigre. Alors au printemps 1936, pendant une permission, il était revenu mettre de l’ordre dans ses affaires en assassinant le proxénète rival qui menaçait la réputation de son fond de commerce. Condamné à mort par un tribunal militaire, il avait été gracié par Pierre Laval,  natif comme lui de Châteldon.  Dispensé de guillotine Sekkine était voué aux travaux forcés à perpétuité. Boulet au pied il passa quinze ans sous le soleil du bagne militaire de Biribi dans le sud de l’Algérie. L’homme était craint et respecté car il n’avait pas son pareil pour transformer une boite de conserve en couteau. Un jour de mutinerie, il se rangea aux côtés des matons en trucidant dix huit de ses ex« camarades ». Alors en récompense, il fût relégué  au bataillon disciplinaire de Foum Tataouine dans le Sahara tunisien où il bénéficia d’un régime privilégié jusqu’à son élargissement quelques mois avant l’indépendance de la Tunisie grâce aux interventions d’une ancienne michetonneuse, d’une visiteuse des prisons et d’une jeune avocate qui deviendra une célébrité du barreau de Paris. Bref, Sekkine qu’une bonne vingtaine d’anciens bagnards avaient juré de faire la peau était un homme cherchant à se faire oublier. 
Dans ma jeunesse, il y a quarante ans, j’allais à sa rencontre dans un petit village des monts d’Auvergne où il s’était retiré comme ferrailleur.  

En cet après midi d’été brulant, l’homme corpulent et massif comme une statue de Rodin était figé dans un fauteuil en osier à l’ombre d’un figuier. Une énorme chèvre était couchée à ses pieds. 
Au lieu de pénétrer dans le hangar à bric à brac, je m’attardai dehors, marchant le nez en l’air. Agacé  Sekkine finit par m’interpeller d’une voix puissante «  qu’est-ce que tu cherches ?  » Je lâchai mystérieux «  des souvenirs…  » On se regarda dans les prunelles. «  T’es venu pour acheter ? » - « Non ! » « Alors t’es un flic ? » - « Non ! »  Toujours méfiant mais intrigué, il n’ajouta que des grognements.   
Je fis une diversion météo, prétexte à une invitation à aller se rincer le gosier au bistro sur la place. La chèvre nous suivit… Notre conversation surréaliste aussi: «  D’où tu viens ? » - « de l’autre côté … » « On se connait ?  » Je concédai l’air finaud : «  moi je te connais mais toi tu ne me connais pas…  » Silence. Ses yeux intrigués perçaient derrière le trait de ses paupières plissées.

Alors je prononçai en arabe sur le ton du serpent «  meskine elli mess ess sekkine » (malheur à celui qui touche au couteau !) Un moment pétrifié de stupeur, le géant bondit bousculant la table et les verres de gentianes ; il s’en fut à grands pas en gesticulant au milieu de la place suivi de la chèvre placide. Le bistrotier qui était sorti de derrière son comptoir l’entendit crier des incohérences. Au bout d’un moment il revint à peine apaisé «   tu es le Diable !  » me cracha t-il en hurlant.   
Comment pouvait-il en effet imaginer qu’un jeune chétif quidam au look de français moyen viendrait lui rappeler ses exploits sanglants. Meskin elli mess es sekkine, voilà que cet avertissement chuchoté pendant trois décennies dans les forteresses des bataillons d’Afrique du Nord était prononcé à nouveau au coeur de  l’Auvergne !
À force de canons et de confidences ça s’est arrangé. On est devenu copain. Il m’a entrainé dans sa caverne d’Ali Baba. Il voulait tout me donner. «  Tiens, prends, ça vaut des sous tu sais ! Je te le donne !  » Je refusai puis pour lui faire plaisir je finis par accepter des lettres de personnalités auxquelles il semblait particulièrement tenir. 
Plusieurs années de suite je suis retourné le voir. À chaque fois on buvait sec de la gnôle et de la gentiane, on bavardait,  il cherchait à me combler de cadeaux que je refusais. 
C’était devenu un jeu entre nous. Il allait fouiller dans sa grange, revenait avec une lampe, un fauteuil, un vase… «  Tiens prends !  » - «  j’en veux pas de ton truc !  » Un jour pour m’amuser je lui dis : «  Ce qui me ferait plaisir c’est ta chèvre  » Sekkine prit un air grave : «  Ce que tu me demandes, tu sais que je ne peux pas te le donner, prends moi tout le reste, mais pas elle !  » Je le rassurai en riant «  mais mon Amédée, c’était pour rigoler !  ». Sekkine était resté sérieux:  «  Quand je ne serai plus là, elle sera à toi!  » 
L’ancien bagnard a tenu sa promesse !

Épilogue : une camionnette est venue livrer  la chèvre en Normandie. Croyant bien faire,  je l’ai mise dans l’enclos de luzerne avec l’âne lubrique. J’espérais que cette rencontre apaiserait le reste de son existence car le baudet a pour manie de s’amouracher aux nuits de pleine lune de tout ce qui passe au large de son enclos. Mais sitôt saillie il se bagarre avec celle qu’il a séduite. L’an dernier l’affaire a mal tourné avec un blaireau qui lui a emporté un bout de la queue. Bref, l’histoire se répète et il n’était pas passé deux jours que la chèvre et l’âne faisaient fait champ à part.

Et le baudet de me braire sa supplique «  toi qui mieux que moi sait faire l’âne, va lui parler, dis-lui que mon coup de pied était atavique, sans méchanceté aucune, j’avais brouté le cannabis que la voisine fait pousser en loucedé dans ma prairie… »
Alors, accroupi dans l’herbe aux pieds de la bique, lui tendant pour l’amadouer une cigarette sans filtre, sa friandise à mâchonner, je lui ai vanté les rares vertus du bourricot. Elle a écouté avec patience, pleurniché un peu sur son ânerie, puis relevant la tête, murmura «  je veux bien prendre l’âne pour compagnon mais ramène moi près de la tombe d’Amédée » 

mercredi 30 août 2023

Promenade littéraire de Bellême à Sidi Bou Saïd

Roger Martin du Gard est passé à la postérité par l'excellence de son œuvre littéraire dont l'inoubliable saga Les Thibault  lui valut le prix Nobel de littérature en 1937. Quelques années auparavant, avec l'argent de ses premiers succès en librairie, il avait racheté le domaine de son beau-père à Sérigny près de Bellème dans l’Orne. Le Tertre  était alors une grande maison bourgeoise sans charme mais édifiée sur un site tellement majestueux qu’en cet endroit, une simple bicoque eut mérité le titre de royale demeure.

Aujourd'hui, le château du Tertre est toujours caché au milieu de son parc de neuf hectares. Pour le découvrir, il faut comme aux champignons battre la forêt et tâtonner du bâton. Bien sûr, il y a un chemin d'accès discrètement indiqué par une flèche dans le troisième virage de la départementale qui va de Sérigny à Saint-Ouen-de-la-cour où somnolent 49 habitants et 300 bovins ; mais ce n'est pas par là qu'il faut aborder le Tertre, c'est par la forêt. 


D'abord suivre un sentier forestier qui sépare la chênaie des résineux, puis franchir les fondrières creusées par les forestiers malveillants.  Surtout, ne pas se laisser égarer par les bolets qui bordent à l'automne les talus mousseux ! Si vous arrivez au pâturage où ruminent des vaches aux yeux doux, c'est que vous avez pris le mauvais chemin qui descend du vallon. C’est l'autre, celui qui monte doucement qu'il faut prendre. 

En ce lieu reconnaissable à mesure qu'on avance. Les futaies sont plus grosses, les chênes centenaires là-haut frissonnent et sans s'en rendre compte, on est passé d'un chemin à une allée. Vous êtes arrivé. «  La grande avenue de tilleuls s’allongeait jusqu'à la forêt. Le soleil de quatre heures, déjà bas, s'insinuait entre les troncs, et couchait sur le sol de longues trainées flamboyantes  » 


On devine Martin du Gard  marchant sous les frondaisons de l'Histoire avec son confident André Gide, ses amis Gaston Gallimard, Georges Duhamel, Raymond Aron, Albert Camus, Jean Paul Sartre, André Malraux, et tant d’autres… Le Président de la République Paul Deschanel est peut-être venu en voisin depuis Nogent-le-Rotrou avant de tomber d’un train en marche… et aussi, depuis son fief de Mamers distant de 15 km le président du Conseil Joseph Caillaux: vous savez, l'époux d'Henriette, celle qui révolvérisa l'insolent patron du Figaro à la veille de la guerre de 1914. Elle fut acquittée par un jury complaisant cependant que son illustre mari, incarcéré sur ordre du Sénat pour intelligence avec l'ennemi était injustement condamné avant d'être amnistié et de redevenir ministre des Finances ! L'époque était turbulente, les hommes étaient meurtris par les guerres. Roger Martin du Gard est resté imperturbable, comme indifférent à l’agitation ambiante.


Il a consacré sa vie (1881- 1958) à observer ses contemporains se déchirer entre justice et raison d'État, science et religion, rationalisme et dévotion, socialistes et capitalistes, pacifistes et munitionnaires. La guerre de 1914 lui fait lever les pouces et comme tout bon français, il part abreuver les sillons de la patrie : 1,3 million de soldats portent sur leur tombe « morts pour la France »  !  Il en revient avec des souvenirs qui hanteront son écriture jusqu’à la fin de ses jours. Lt-col de Maumort sera publié à titre posthume. 


Martin du Gard fut soldat seulement par devoir car il était avant tout écrivain, maître de l'humilité, artisan besogneux « qui tourne autour du travail comme le chien qui cherche sa place », avouant trimer en forçat sur chaque page, capable de peaufiner le plan d'un roman pendant des mois mais de détruire un manuscrit imparfait après deux années d'effort. 

Il nous a laissé en héritage deux volumes de la Pléiade préfacés par Albert Camus qui se lisent le souffle coupé. Son oeuvre littéraire loyale et lucide éclaire dans le détail l’histoire du déchirement de la bourgeoisie française depuis l’affaire Dreyfus jusqu’à la seconde guerre mondiale. 

Dans son premier roman, il dialogue en miroir avec Jean Barois dont la vie porte l’intelligence du doute « j’en ai assez de me débattre dans une vie où tout m’échappe… toutes les injustices renaissent avec chaque génération… » Dès l’âge de trente ans Martin du Gard décrit  les états d’âme de la vieillesse avant même de l’avoir vécue. Champion de la libre pensée et de la tolérance, auditeur discret de toutes les confidences, il est le porte parole des consciences en recherche inlassable de parcelles de vérité.


Trois mois avant l'invasion Allemande de 1940, il reste optimiste et confie à André Gide «  j'ai grand espoir de voir naître une Europe moins absurde...  » Complicité d’idées politiques ? Entre Gide et Martin du Gard c’est surtout une histoire d'amour littéraire - l‘un et l'autre se lisaient à voix haute leurs manuscrits - une amitié caressante et affectueuse sans aucun doute, un amour charnel, c’est improbable. L'épouse de Martin du Gard haïssait Gide dont le mariage avec une bourgeoise naïve n'avait qu’un temps dissimulé son attirance pour les jeunes garçons. 

Fuyant les Allemands qui réquisitionnent le château du Tertre, Martin du Gard s'installe à Nice en juin 1940 où il laissera passer la guerre dont l’angoisse assèche son inspiration.


Sans hostilité envers les occupants mais soucieux de bien manger sans privations, Gide part en 1942 à Tunis. La milice vichyste y est moins féroce envers « les déviants » et l’influent libraire Marcel Tournier lui facilite son installation. Gide connait bien la ville où il a séjourné 50 ans auparavant avec son compagnon Paul Albert Laurens « Tunis est merveilleux; nous y avons eu à chaque sortie d’irracontables ahurissements » écrivait-il alors à sa mère. 


Le septuagénaire y retourne avec ravissement. Il y abuse de l'hospitalité (et du jeune fils) d'un couple de notables qui possédaient une jolie villa  à Sidi Bou Saïd joyau de la Méditerranée. 

En ce lieu de grâce le paysage est délicieux: maisons blanchies à la chaux, et persiennes bleues  reflètent des couleurs du ciel. En bas de la colline la mer clapote doucement. Le panorama sur Carthage, le volcan à deux cornes d’Hammam Lif, le rocher de Korbous, la baie de Tunis… tout est magnifique. Une brise enivrante traverse les buissons de jasmin, de roses et d’acacias, caresse les fleurs d’orangers et de henné… « l’air si doux qu’il empêche de mourir » disait Flaubert. 


On imagine Gide assis sur un banc de pierre méditant dans ce cocon de félicité. Autour de lui, une bande de gamins jacassants l’arabe l’interpellent en riant. Il ne comprend pas mais il est aux anges. Il ignore qu’ils se moquent et le traite de tous les noms car les adultes ont mis en garde les enfants du village contre les mains baladeuses du vieux pervers à chapeau mou dont il est devenu l’attraction.

La conduite de Gide est ouvertement pédophile mais les Tunisiens du village sont tolérants envers les étrangers. Ils vénèrent leur marabout soufi Sidi Bou Saïd qui prêchait l’islam de l’amour et des lumières. Vite informé des penchants du vieux frankaoui, ils se sont contentés d’avertir leurs enfants. 


Gide partage avec Martin du Gard une vertu rare: celle de l’honnêteté. Il ne cache ni ses attirances charnelles ni ses opinions. Il a osé dénoncer crûment sans prendre de gants la cruauté coloniale dans Voyage au Congo publié en 1927 et son Retour d’URSS  publié en 1936 a été ressenti par les communistes qui l’avaient invité comme une abominable trahison. 

Pourtant, en s’installant à Tunis en 1942, Gide prend du champ avec la tentation de Vichy. Le poète algérien Jean Amrouche l’accueille fraternellement et le présente aux intelligences tunisoises qui sont nombreuses. Amrouche est redevenu simple instituteur depuis qu’il a été chassé de Radio Tunis dont le directeur Philippe Soupault, cofondateur du Surréalisme qui avait été nommé par Léon Blum en 1937, a été accusé de trahison et jeté en prison sur ordre de Vichy. Gide qui était pourtant un familier de Soupault avant guerre, ne lèvera pas le petit doigt pour le faire libérer  « Mais, madame, c’est très grave ! Je crains que je ne puisse rien faire pour Philippe ! » dira t-il a son épouse venu l’implorer de faire jouer ses relations. C’est le temps des assassins. Le brave Soupault ne tiendra pas rigueur au vieil homme qu’il continuera d’admirer malgré cette lâcheté.


Les ruelles du village de Sidi Bou Saïd en Tunisie comme les forêts du Perche, résonnent encore de l’écho de ces grands hommes. Sur une colline qui domine Bellême et le château du Tertre, une croix marque l’histoire du  siège de la ville en 1229 par Blanche de Castille accompagnée de son jeune fils le roi Louis IX, qui deviendra Saint Louis après d’être s’éteint en 1270 tout près de Carthage. Il est doux de penser que les deux saints Louis et Saïd se sont ici arrêtés pour l’éternité.  Il y a aussi dans ce joli cimetière marin de Sidi Bou Saïd mon ami d’enfance le cinéaste Aloulou Chérif qui n’était pas un Saint, mais dont tous ceux qui croisent le souvenir de sa bonne humeur ne peuvent s’empêcher d’être joyeux. 


Je suis retourné dans le parc du Tertre aux allées sommairement tracées dans les herbes folles. Enhardi par une averse, j’ai poussé la porte vermoulue d’un petit kiosque gréco-romain juché sur une grotte qui domine la vallée. Deux fauteuils, une table, une cheminée surmontée d’un trumeau sans charme, un balai… une odeur d’austérité et d’abandon qui n’invite pas l’intrus à méditer. 

Alors que je fuyais la mélancolie et les fantômes d’écrivains, je trouvais devant la grille du château, une aimable personne qui m’a tendu un prospectus m’invitant à m’inscrire à un atelier d’écriture collective.

Quelle bonne idée !... 


lundi 14 août 2023

Tunisie sans pain et sans eau

Peut-on survivre sans pain ni eau ? Nul ne se pose la question. Sauf en Tunisie où un pouvoir surréaliste semble désemparé devant cette tragique perspective.

Si de prime abord les rivages de Carthage ressemblent à ceux de la Côte d’Azur, on se rend vite à l’évidence, qu’à une heure de vol de Nice on atterrit dans le tiers monde. 

La dégradation des services publics est perceptible dès la sortie de l'avion où par une journée torride la climatisation de l’aérogare est en panne. Quelques mauvaises heures à passer avant la plage !


La course au pain

De nature fataliste, le Tunisien accepte habituellement les petites misères de la vie quotidienne sans trop d’acrimonie et même parfois avec humour; mais là, c’est sérieux. Le pain habituellement disponible dans les fournils populaires est rationné, alors le peuple qui ne peut s’approvisionner dans les boulangeries «  de luxe » est en colère. Khobz également appelé  aïch, (la vie) est une denrée sacrée, un droit fondamental dont même le pire des salauds jeté au cachot ne sera jamais privé. Pour l’équivalent de cinq centimes d’euro, le boulanger vous tend une miche. Alors, même les mendiants sont toujours rassasiés par cette aumône dérisoire à la porté de chacun.  Bien entendu ce prix de vente ne couvre pas le prix de revient. La farine destinée à certaines boulangeries est généreusement subventionnée par l’État. C’est normal, car le devoir premier du hakem, du gouvernant, du juste, du très haut…n’est-il pas de nourrir les humains ? Depuis les phéniciens, le pain en Tunisie est une denrée sacrée offerte en abondance qui ne saurait être rationnée et dont nul ne peut être privé. En 1984, le gouvernement Mzali avait tenté de mettre fin au système de compensation des denrées de première nécessité mais  devant les émeutes ayant entrainé plus de cent morts, Bourguiba dans un discours retentissant avait donné l’ordre  de revenir sur cette décision. Depuis, en Tunisie, le pain n’est pas un gain mais un dû qui n’a rien à voir avec la sueur du front.


Le FMI à la boulangerie

Les idéologues  de la loi du marché qui gouvernent le monde combattent la subvention, une hérésie au regard des agences de la finance internationale. Pour juguler la descente aux enfers de son économie, la Tunisie doit emprunter en assurant les banques étrangères que sa bonne gouvernance permettra de les rembourser. Le FMI serait d’accord pour accorder 2 milliards de dollars contre la promesse d’abandon du soutien aux denrées de première nécessité. Ce que refuse catégoriquement le Président Kaïes Saïed. Alors par des tas de subterfuges, le marché tente de le contraindre: l’approvisionnement en blé est entravé - pas seulement à cause de la guerre d’Ukraine - les syndicats de meuniers lèvent le pied, les mitrons pétrissent à minima; certains boulangers éteignent leur four ou mettent carrément la clé sous la porte. Pour le consommateur, la course à la baguette charbiya (du peuple) est devenue jeu de piste quotidien. Le pouvoir qui s’en est aperçu a réagi.


Ministres sans parole

Le Président est apparu à la télévision du soir. Assis devant la Première ministre et la ministre des Finances, toutes deux muettes comme des carpes, il a reconnu la pénurie et, fidèle à sa méthode « bouc émissaire », il a stigmatisé les « cartels » de profiteurs. Il confond verbe et pouvoir et croit que l’incantation remplace l’action. Sans doute déçu par l’absence d’effets à son discours,  24 heures plus tard, en pleine nuit comme à son habitude, il a limogé sa Première ministre. Au petit matin, elle a quitté son bureau, un bouquet de fleurs dans les bras, sans un mot, sans qu’aucun journaliste depuis deux ans n’ait jamais pu entendre le son de sa voix. Elle a été remplacée au pied levé par l’ancien DRH de la Banque centrale, un muet lui aussi semble t-il, qui coulait une retraite paisible de joueur de belote avant d’être sommé par le Président de venir faire le ménage dans la fonction publique. Déjà il y a quelques années le journaliste Benoît Delmas prédisait que le  mammouth de 800 000 fonctionnaires qui ponctionne 46% du budget de l’État était une bombe à retardement

Mais quel rapport avec le pain ?


Terres négligées

La Tunisie selon les années ne couvre qu’un ou deux tiers de ses besoins alimentaires de base. C’est une ineptie. Depuis la Rome antique « deux mille ans de labeur ont fait de cette terre un réservoir sans fin pour les âges nouveaux » (Charles Péguy). Qui donc est responsable de la stérilité de ces terres ? Le fonctionnaire pardi ! N’est-ce pas lui qui gère en dépit du bon sens plus d’un demi million d’hectares fertiles ? Les kolkhozes ont disparu de Russie, ils subsistent en Tunisie ! La République tunisienne qui dans le passé a entrepris avec succès de grandes réformes est incapable de mettre en valeur son territoire. Elle continue de délaisser l’agriculture. Les trois quarts des 800 000 hectares de terres des colons français et italiens nationalisés en 1964 n’ont toujours pas été redistribués. Au surplus,  la prédation des domaines de l’État par la famille du dictateur Ben Ali  entre 1996 et 2011 a contribué à aggraver la situation sans que justice soit rendue aux paysans. En démocratie, écrit Aziz Krichen dans Nawaat « l’Etat n’a pas le droit d’être un propriétaire foncier monopolisant le meilleur de la surface agricole utile d’un pays, et cela quels que soient les motifs juridiques ou idéologiques qu’il invoque ».


Aujourd’hui ce trésor mal labouré équivaut à la surface de la Beauce française à laquelle la Tunisie achète du blé ! Alors que d’innombrables rapports d’experts aboutissent tous aux mêmes conclusions, depuis 60 ans, aucun gouvernement n’a jamais voulu prendre de dispositions radicales qui ruineraient quelques familles de prédateurs. Kaïes Saïd va t-il s’attaquer aux « ennemis de la classe rurale » et engager une révolution agraire ? Il a limogé le PDG de l’Office des céréales.


Politique à vau-l’eau

Un autre spectre menace la vie des campagnes: celle de l’aridité des terres. Le réchauffement climatique, le gaspillage des nappes phréatiques, le mauvais entretien des barrages et des réseaux ont  pour conséquence le rationnement d’une ressource qui était jadis abondante. Le bilan de décennies d’incurie est préoccupant. Alors que dans les hôtels les piscines sont pleines, 300 000 personnes n’ont pas accès à l’eau potable, une école primaire sur trois n’est pas reliée à un tuyau. À chacune de ses sorties publiques, le Président est bruyamment interpelé à ce sujet. Il explique que la société nationale de gestion de l’eau est…débordée, mais que ça va changer car il a décidé de limoger son PDG. Cependant qu’un expert de l’ONU dénonce sobrement que «  la pénurie d’eau ne peut justifier le non-respect des droits humains à l’eau potable et à l’assainissement » 


Périr de soif ou noyé

Pourtant, ce n’est pas à cause de cette pénurie que l’on refuse la charité d’un verre d’eau à l’étranger de passage, c’est à cause de la couleur de sa peau. En Libye et en Tunisie, les négriers sont de retour en terre d’islam. Ce fléau est pire que le terrorisme, il fait cent fois plus de victimes mais nul ne s’en inquiète. Aucun service action n’a reçu instruction de démanteler les filières. Aucune opération homo n’a jamais été lancée contre les barons qui ont sciemment condamné des milliers d’être humains à la noyade. Dix hommes poussés sur un radeau, c’est 25 000 euros d’empochés par le criminel soit cent fois le salaire mensuel moyen. Le business de « l’ébène » génère un chiffre d’affaires mensuel de 15 millions d’euros par mois. C’est colossal en Tunisie ! En juin dernier, selon les sources fiables du FTDES, 2 300 immigrés ont réussi à passer en Italie 3 500 ont été interceptés par les gardes-côtes tunisiens, une trentaine de corps ont été repêchés, combien de « portés » disparus ? Les ONG sont débordées. Au large de Sfax, l’horreur est quotidienne

Les actes de racisme sont discrètement approuvés par les ultras de l’Union Européenne satisfaits que la Tunisie s’affiche en repoussoir à migrants et montre ainsi l’exemple de la fermeté. La photo de la maman et sa petit fille mortes d’épuisement sur une dune de sable a fait le tour du monde sans trop provoquer d’indignations sur les plages des estivants occidentaux. C’est malheureusement une bonne publicité murmure t-on à Bruxelles, Rome ou la Haye. Les immigrés clandestins sont désormais avertis des périls de la soif, de la noyade et surtout de l’indifférence qui les guettent.

Ce qui se passe en Tunisie devrait interpeler notre conscience, hélas,  progressivement, insidieusement, l’inhumanité de l’opinion s'installe partout, y compris en France


dimanche 25 juin 2023

Algérie, sujet tabou

En France, l’Algérie est un sujet tabou. Tout est caché, tout est tu, surtout l’histoire qui est ensevelie dans des archives cadenassées où nul n’a le droit d’aller passer le doigt pour lire sous la poussière. 


Populations amalgamées

En Algérie, la légitimité politique repose toujours sur le récit de sa décolonisation, sur « la rente mémorielle ». Le récit officiel propage inlassablement une histoire composée de ressentiments, de haine et d’esprit de revanche. Il continue de nourrir la polémique et de pourrir la relation avec Paris. Certes l’occupation a été douloureuse mais, - comparaison n’est pas raison - c’est  comme si la France et l’Allemagne étaient encore revanchardes des guerres du passé dont les deux dernières ont saigné les populations par millions et ravagé leur territoire. Cette mésentente chronique est d’autant plus extravagante qu’il y a aujourd’hui cinq à sept fois plus d’Algériens en France qu’il y avait de Français en Algérie en 1962 et que la population algérienne vivant en France dépasse celle de l’Algérie au début de la colonisation. L’amalgame des peuples est une réalité tacitement et pareillement ignorée  par Alger et  Paris car elle pose l’épineuse question de la double allégeance des binationaux. La nationalité algérienne qui se transmet automatiquement de père en fils est pourtant une source  d’optimisme car dans moins d’un siècle, les dizaines de millions de citoyens français qui auront conservé de jure la capacité de voter en Algérie pourront enfin y imposer la démocratie. Cette perspective réjouissante qui n’est pas de tous les goûts est aussi un tabou.


Forteresse du passé

L’Algérie comme le Yémen, la Suisse, l’Afghanistan… est géographiquement une forteresse imprenable. Le Sahara, l’Atlas tellien qui s’étend du Maroc à la Tunisie, et surtout son rivage accidenté forment un triple barrage qui lui confère une redoutable protection naturelle. Tous les audacieux s’y sont cassé les dents.

 

Ainsi en 1541, au prétexte de réduire la domination des barbaresques en Méditerranée le « maître du monde » Charles-Quint Empereur d’Allemagne, roi d’Espagne, des Flandres, d’Autriche … prend la tête d’une expédition navale gigantesque composée de 75 galères de combat, 450 navires de transport de troupes: 12 000 galériens et marins, 22 000 soldats, 2 500 chevaux…L’armada qui se présente le 20 octobre devant Alger promettait de ne faire qu’une bouchée de la garnison de 6 000 hommes. Pourtant, on raconte qu’Hassan Agha et ses janissaires turcs restèrent sereins car une prophétie prétendait que la ville serait un jour prise par des soldats habillés de rouge. Les européens étaient en bleu. Alors malgré les premiers assauts meurtriers de la citadelle, le Régent de l’empire ottoman s’abstint de hisser le drapeau blanc. La victoire de Charles-Quint semblait certaine quand soudain, une tempête terrible se leva obligeant les assaillants à reprendre la mer pour mettre leurs bateaux à l’abri. Quinze jours durant, les vents souffleront en ouragan et les navires iront se fracasser sur al Jazair (les îles en arabe), un chapelet de 56 archipels hérissés d’écueils acérés. Pendants les rares accalmies, les intrépides qui parvinrent à débarquer furent massacrés. Charles-Quint abandonnera 12 000 cadavres. 

Et c’est ainsi que la Régence d’Alger, vassal de l’empire ottoman poursuivra pendant trois siècles la domination du commerce en Méditerranée. Louis XIV tentera bien quelques incursions timides puis les Danois, puis les Espagnols, enfin en 1816 et en 1824 les Anglais. Tous échoueront lamentablement.


Le blé d’Algérie

L’Algérie n’était pas seulement la base des barbaresques qui faisaient régner leur loi sur la Méditerranée, c’était aussi un pays agricole fertile qui commerçait avec l’Europe. Les premières fâcheries avec la France seront causées par de malencontreuses livraisons de blé au Directoire puis aux armées de Napoléon. Ces transactions à crédit conclues par l’intermédiaire des familles Bacri et Bushnash ne furent pas honorées. Si bien qu’après quelques années, par les intérêts accumulés, la dette atteignit des montants considérables. Les tractations étaient dans une impasse. Le Dey agacé coupa quelques têtes dont celle de David Bacri.  En vain. Au fil du temps, à Paris et Alger,  les souverains se succédaient sans qu’aucun ne parvienne à solder ce contentieux qui empoisonnera les relations bilatérales pendant trente ans ! 

Finalement, en 1827, le Dey Hussein excédé par les dénégations et les tergiversations du consul de France Pierre Deval lui balance son éventail à la figure. Scandale de lèse majesté ! Car à travers son représentant, c’est le roi de France Charles X qui est offensé. Sournoisement conseillé par un diplomate britannique, le Dey refuse de s’excuser. C’est la guerre. 


Le 14 juin 1830 le Maréchal comte Louis de Bourmont entreprend le siège d’Alger à la tête d’un corps expéditionnaire de 64 000 hommes, Il débarque ses troupes sur la langue de sable de Sidi-Ferruch, judicieusement repérée par l’espion Boutin. Le 5 juillet, malgré une résistance héroïque, Hussein Dey capitule acceptant de signer une convention qui le condamne à l’exil. Le corps expéditionnaire français triomphe, Paris exulte, et même les esprits chagrins conviennent qu’après tout, l’investissement était largement couvert par la saisie du trésor d’Alger. Quelques semaines plus tard à Paris, Charles X est contraint d’abdiquer après les « Trois glorieuses » et de Bourmont est limogé par le nouveau roi Louis Philippe. 


La colonisation

De Bourmont n’aura été « roi d’Alger » que quelques semaines. Il sera remplacé par des dizaines de généraux, la plupart avides de gloire facile. Il faudra 17 années de sangs coulés et de terres brûlées pour conquérir les plaines et les vallées fertiles où s’installeront progressivement un million de colons. Il faudra 72 ans pour vaincre les irréductibles touaregs du Sahara. Après une relative accalmie pendant les guerres mondiales, l’insurrection reprendra dès 1945 pour s’achever à l’indépendance en 1962. 

Combien de victimes civiles ? De 500 000 à 1,5 million. Autant d’abominations et de souffrances dont un Algérien sur dix fut victime. Tout comme chaque famille française qui porte le deuil d’un descendant tué à la guerre contre les Allemands en 1870, en 1914-1918, en 1939-1945, chaque Algérien est issu d’une lignée  de moudjahidines (combattant de la foi) qui remonte à 1830, à l’exception de la période 1914-1918 et 1939-1945 où les engagés modérément volontaires partirent aux côtés de leur ennemis d’hier combattre les nazis. Ils furent 175 000 en 1914 et 150 000 en 1940. Dans les cimetières militaires de France 42 000 d’entre eux reposent avec leurs frères d’armes que rien ne différencie sauf la forme de leur tombe.


Macron se tait

L’Algérie aujourd’hui importe du blé, l’agriculture est délaissée, l’industrie est sans performance, l’économie est totalement dépendante des exportations de gaz et de pétrole. C’est un pays riche mal gouverné qui gaspille sa rente. La population jeune fuit le chômage, la pagaille, l’iniquité et l’absence de liberté. Cette immigration n’est pas seulement celle des gens de peu, un demi-million de cadres, ingénieurs, médecins algériens seraient installés en France. Peut-on attribuer à la seule conjoncture la cause de cette immigration massive ? N’y a t-il pas aussi chez l’Algérien des liens historiques et culturels parfois subliminaux qui l’attire vers la France ? 

Le pouvoir d’Alger cherche à distendre ces liens. Il y est aidé par la droite ultra de France avec qui il partage cette affinité idéologique. Le logiciel  géopolitique algérien a l’âge de ses dirigeants septuagénaires, il se résume à la formule d’équilibriste d’antan: vendre le pétrole aux occidentaux pour acheter des armes à l’ex-URSS. « Poutine est un ami de l’humanité » vient de déclarer le Président Algérien qui nourrit le même culte de l’autorité soldatesque que son comparse russe. 

Tebboune et Macron feront-ils encore semblant de s’entendre ? C’est peu probable. Le Président Tebboune vient en effet de  rétablir dans l’hymne national algérien le couplet menaçant suivant: « O France, le temps des palabres est révolu, voici venu le jour où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! » Paris sans doute, se prépare au pire.

Une interrogation hante la nuit des gouvernants après l'évocation par Macron de "l'hypothèse d'un engagement majeur des forces armées" : si demain face à une menace de Poutine, la France mobilisait combien parmi les 9 millions de citoyens que l’origine attache à l’Algérie rejoindraient les casernes ?

Encore un sujet tabou !