Peut-on survivre sans pain ni eau ? Nul ne se pose la question. Sauf en Tunisie où un pouvoir surréaliste semble désemparé devant cette tragique perspective.
Si de prime abord les rivages de Carthage ressemblent à ceux de la Côte d’Azur, on se rend vite à l’évidence, qu’à une heure de vol de Nice on atterrit dans le tiers monde.
La dégradation des services publics est perceptible dès la sortie de l'avion où par une journée torride la climatisation de l’aérogare est en panne. Quelques mauvaises heures à passer avant la plage !
La course au pain
De nature fataliste, le Tunisien accepte habituellement les petites misères de la vie quotidienne sans trop d’acrimonie et même parfois avec humour; mais là, c’est sérieux. Le pain habituellement disponible dans les fournils populaires est rationné, alors le peuple qui ne peut s’approvisionner dans les boulangeries « de luxe » est en colère. Khobz également appelé aïch, (la vie) est une denrée sacrée, un droit fondamental dont même le pire des salauds jeté au cachot ne sera jamais privé. Pour l’équivalent de cinq centimes d’euro, le boulanger vous tend une miche. Alors, même les mendiants sont toujours rassasiés par cette aumône dérisoire à la porté de chacun. Bien entendu ce prix de vente ne couvre pas le prix de revient. La farine destinée à certaines boulangeries est généreusement subventionnée par l’État. C’est normal, car le devoir premier du hakem, du gouvernant, du juste, du très haut…n’est-il pas de nourrir les humains ? Depuis les phéniciens, le pain en Tunisie est une denrée sacrée offerte en abondance qui ne saurait être rationnée et dont nul ne peut être privé. En 1984, le gouvernement Mzali avait tenté de mettre fin au système de compensation des denrées de première nécessité mais devant les émeutes ayant entrainé plus de cent morts, Bourguiba dans un discours retentissant avait donné l’ordre de revenir sur cette décision. Depuis, en Tunisie, le pain n’est pas un gain mais un dû qui n’a rien à voir avec la sueur du front.
Le FMI à la boulangerie
Les idéologues de la loi du marché qui gouvernent le monde combattent la subvention, une hérésie au regard des agences de la finance internationale. Pour juguler la descente aux enfers de son économie, la Tunisie doit emprunter en assurant les banques étrangères que sa bonne gouvernance permettra de les rembourser. Le FMI serait d’accord pour accorder 2 milliards de dollars contre la promesse d’abandon du soutien aux denrées de première nécessité. Ce que refuse catégoriquement le Président Kaïes Saïed. Alors par des tas de subterfuges, le marché tente de le contraindre: l’approvisionnement en blé est entravé - pas seulement à cause de la guerre d’Ukraine - les syndicats de meuniers lèvent le pied, les mitrons pétrissent à minima; certains boulangers éteignent leur four ou mettent carrément la clé sous la porte. Pour le consommateur, la course à la baguette charbiya (du peuple) est devenue jeu de piste quotidien. Le pouvoir qui s’en est aperçu a réagi.
Ministres sans parole
Le Président est apparu à la télévision du soir. Assis devant la Première ministre et la ministre des Finances, toutes deux muettes comme des carpes, il a reconnu la pénurie et, fidèle à sa méthode « bouc émissaire », il a stigmatisé les « cartels » de profiteurs. Il confond verbe et pouvoir et croit que l’incantation remplace l’action. Sans doute déçu par l’absence d’effets à son discours, 24 heures plus tard, en pleine nuit comme à son habitude, il a limogé sa Première ministre. Au petit matin, elle a quitté son bureau, un bouquet de fleurs dans les bras, sans un mot, sans qu’aucun journaliste depuis deux ans n’ait jamais pu entendre le son de sa voix. Elle a été remplacée au pied levé par l’ancien DRH de la Banque centrale, un muet lui aussi semble t-il, qui coulait une retraite paisible de joueur de belote avant d’être sommé par le Président de venir faire le ménage dans la fonction publique. Déjà il y a quelques années le journaliste Benoît Delmas prédisait que le mammouth de 800 000 fonctionnaires qui ponctionne 46% du budget de l’État était une bombe à retardement.
Mais quel rapport avec le pain ?
Terres négligées
La Tunisie selon les années ne couvre qu’un ou deux tiers de ses besoins alimentaires de base. C’est une ineptie. Depuis la Rome antique « deux mille ans de labeur ont fait de cette terre un réservoir sans fin pour les âges nouveaux » (Charles Péguy). Qui donc est responsable de la stérilité de ces terres ? Le fonctionnaire pardi ! N’est-ce pas lui qui gère en dépit du bon sens plus d’un demi million d’hectares fertiles ? Les kolkhozes ont disparu de Russie, ils subsistent en Tunisie ! La République tunisienne qui dans le passé a entrepris avec succès de grandes réformes est incapable de mettre en valeur son territoire. Elle continue de délaisser l’agriculture. Les trois quarts des 800 000 hectares de terres des colons français et italiens nationalisés en 1964 n’ont toujours pas été redistribués. Au surplus, la prédation des domaines de l’État par la famille du dictateur Ben Ali entre 1996 et 2011 a contribué à aggraver la situation sans que justice soit rendue aux paysans. En démocratie, écrit Aziz Krichen dans Nawaat « l’Etat n’a pas le droit d’être un propriétaire foncier monopolisant le meilleur de la surface agricole utile d’un pays, et cela quels que soient les motifs juridiques ou idéologiques qu’il invoque ».
Aujourd’hui ce trésor mal labouré équivaut à la surface de la Beauce française à laquelle la Tunisie achète du blé ! Alors que d’innombrables rapports d’experts aboutissent tous aux mêmes conclusions, depuis 60 ans, aucun gouvernement n’a jamais voulu prendre de dispositions radicales qui ruineraient quelques familles de prédateurs. Kaïes Saïd va t-il s’attaquer aux « ennemis de la classe rurale » et engager une révolution agraire ? Il a limogé le PDG de l’Office des céréales.
Politique à vau-l’eau
Un autre spectre menace la vie des campagnes: celle de l’aridité des terres. Le réchauffement climatique, le gaspillage des nappes phréatiques, le mauvais entretien des barrages et des réseaux ont pour conséquence le rationnement d’une ressource qui était jadis abondante. Le bilan de décennies d’incurie est préoccupant. Alors que dans les hôtels les piscines sont pleines, 300 000 personnes n’ont pas accès à l’eau potable, une école primaire sur trois n’est pas reliée à un tuyau. À chacune de ses sorties publiques, le Président est bruyamment interpelé à ce sujet. Il explique que la société nationale de gestion de l’eau est…débordée, mais que ça va changer car il a décidé de limoger son PDG. Cependant qu’un expert de l’ONU dénonce sobrement que « la pénurie d’eau ne peut justifier le non-respect des droits humains à l’eau potable et à l’assainissement »
Périr de soif ou noyé
Pourtant, ce n’est pas à cause de cette pénurie que l’on refuse la charité d’un verre d’eau à l’étranger de passage, c’est à cause de la couleur de sa peau. En Libye et en Tunisie, les négriers sont de retour en terre d’islam. Ce fléau est pire que le terrorisme, il fait cent fois plus de victimes mais nul ne s’en inquiète. Aucun service action n’a reçu instruction de démanteler les filières. Aucune opération homo n’a jamais été lancée contre les barons qui ont sciemment condamné des milliers d’être humains à la noyade. Dix hommes poussés sur un radeau, c’est 25 000 euros d’empochés par le criminel soit cent fois le salaire mensuel moyen. Le business de « l’ébène » génère un chiffre d’affaires mensuel de 15 millions d’euros par mois. C’est colossal en Tunisie ! En juin dernier, selon les sources fiables du FTDES, 2 300 immigrés ont réussi à passer en Italie 3 500 ont été interceptés par les gardes-côtes tunisiens, une trentaine de corps ont été repêchés, combien de « portés » disparus ? Les ONG sont débordées. Au large de Sfax, l’horreur est quotidienne.
Les actes de racisme sont discrètement approuvés par les ultras de l’Union Européenne satisfaits que la Tunisie s’affiche en repoussoir à migrants et montre ainsi l’exemple de la fermeté. La photo de la maman et sa petit fille mortes d’épuisement sur une dune de sable a fait le tour du monde sans trop provoquer d’indignations sur les plages des estivants occidentaux. C’est malheureusement une bonne publicité murmure t-on à Bruxelles, Rome ou la Haye. Les immigrés clandestins sont désormais avertis des périls de la soif, de la noyade et surtout de l’indifférence qui les guettent.
Ce qui se passe en Tunisie devrait interpeler notre conscience, hélas, progressivement, insidieusement, l’inhumanité de l’opinion s'installe partout, y compris en France.
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