mercredi 30 décembre 2020

Tunisie, la Révolution en mode suicide



Il y a 2 500 ans, Amilcar vaincu, se suicida en se jetant dans le brasier qui consumait les dépouilles de ses soldats. 

Et Carthage le célébra en héros. 


Il y a dix ans, c’est le même sentiment de honte qui poussa Bouazizi giflé sur la place du marché par une policière à s’immoler par le feu. 

Et la Tunisie se révolta.


Depuis, il n’est pas de semaine sans que des désespérés choisissent le même sort. Ils affrontent la mort lente dans d'atroces souffrances accusant Allah et les vivants de les avoir abandonnés. D’autres - 15 000 cette année - tentent de gagner l’Italie au péril de la noyade, d’autres enfin - 6 000 -  se sont enrôlés comme mercenaires en Syrie ou en Libye. La même contagion a gagné les élites, ingénieurs, médecins, techniciens…qui partent s’installer à l’étranger. 

Faute de perspective, la jeunesse tunisienne fuit la vie de son pays. De ce point de vue, la révolution est un échec. Le prix de la liberté est trop élevé. La démocratie n’est pas un vaccin contre les misères des hommes.


Un peuple en souffrance

Depuis 2010, le revenu par tête d’habitant a chuté de 4 070 à 3 370 $ (banque mondiale).

À de rares exceptions, comme pour le tabac et la bière, la plupart des indices de production ont dévissé. Les secteurs lucratifs comme le tourisme ou les phosphates sont totalement sinistrés. 

Cette paupérisation désespérante est cause de rage et de révolte. Sporadiquement, les routes sont bloquées, les usines assiégées. Les jeunes réclament le droit au partage des richesses spoliées par les maffias dont les pouvoirs paraissent désormais hors d’atteinte. Le SMIG horaire frôle les 2 dinars, soit 60 centimes d’euros (10,25 euros en France). Il permet tout juste de subsister en se nourrissant de produits de base subventionnés (pain, huile, semoule…)


La Covid

La pandémie dont la première vague printanière avait été esquivée grâce à des mesures précoces appropriées n’avait fait que 50 victimes, la seconde qui s’est abattue cruellement depuis la fin de l’été dénombre à ce jour plus de 4 000 décès pour 12 millions d’habitants. Ce drame absolu emporte les plus âgés donc les plus vénérés de la société. Il bouscule les rites religieux et les traditions du deuil. Il perturbe les esprits les plus rationnels. Le pays confiné, recroquevillé sur lui même, souffre de l’absence de perspective et dresse le constat de l’échec de sa révolution.


Une administration paralysée

Pour amadouer la colère et s’assurer une clientèle, les gouvernements successifs (un par an en moyenne) ont embauché massivement des fonctionnaires et assimilés. Leur nombre est passé de 400 000 à 800 000 en moins de dix ans. Ces privilégiés jalousés absorbent la moitié du budget de l’État. Mal payés, ils entravent le bon fonctionnement de l’administration par l’usage quasi généralisée de la corruption. 

L’enseignement public continue de se déliter et l’érosion du français - réservé aux enfants de nantis - produit des diplômés monolingues d’une médiocre pensée, finalement frustrés de ne pouvoir immigrer en Europe. Les cliniques privées prospèrent grâce à l’afflux des réfugiés libyens fortunés, mais aucun hôpital public n’a été inauguré à l’exception de celui de Sfax, financé par la Chine. Les promesses françaises, saoudiennes, qataris n’étaient que fumée. 

L’agriculture attend toujours la redistribution des quelque 500 000 hectares hérités de la colonisation que l’État a nationalisés en 1964 ! 

Les infrastructures citadines et routières ne sont plus entretenues, les banlieues de la capitale ressemblent à des déchèteries à ciel ouvert, les eaux usées des hôtels de luxe se déversent dans la mer. 

Chaque semaine, la presse relate un fait divers atroce comme celui de la mort accidentelle d’un médecin dans la cage d’ascenseur d’un hôpital ou d’une enfant tombée dans une bouche d’égout…

L’ensemble du secteur public est sinistré. Le pays présente au visiteur surpris l’image d’un pays en voie de sous développement.



La pagaille

Salué dans le monde entier pour les vertus qu’il affiche à chaque élection le processus démocratique a enfanté d’un système qui paralyse toute gouvernance. C’est le retour « des vieux démons de la pagaille, de la division, de l’individualisme, de l’anarchisme, et du tribalisme… » (Bourguiba Monde Diplomatique mai 1969)


L’assemblée législative, mosaïque fidèle de toutes les tendances politiques peine à s’entendre sur l’essentiel. Pour l’année écoulée, les lois votées se comptent sur les doigts d’une main. Une minorité de députés abusent de leur immunité, accaparent les travées, profèrent des incongruités en séance, assomment leurs collègues dans les couloirs. De véritables batailles rangées de collégiens opposent les représentants du peuple sous les caméras d’une nation affligée. Leurs divisions ne portent pas sur l’avenir du pays mais sur des incongruités. Pour le groupe des 18 députés  d’Al Karama les femmes sont des objets animés qui doivent rester à la maison; le blasphème mérite la décapitation; Allah d’abord, la République ensuite !… Les islamistes modérés d’Ennahdha qui se définissent comme « démocrates musulmans » louvoient pour conserver les avantages d’une précaire majorité. Leur leader Ghannouchi qui préside l’Assemblée ménage ses « frères » d’extrême droite. Les islamistes sont contrariés par le Parti Destourien Libre de la vibrillonnante avocate Abir Moussi qui  se revendique de l’héritage séculier de Bourguiba. 

Pendant que les législateurs se chamaillent, près d’un million d’oubliés cherchent un emploi.


Une gouvernance sans bousole

Le Président de la République Kaïes Saïed dont les pouvoirs constitutionnels réservés sont la défense, la sécurité et les affaires étrangères, parait totalement dépassé par. Il professe, il dogmatise, il esquive l’échange et le dialogue, il discourt en arabe littéraire, abusant de formules impériales et péremptoire d’un ton tranchant qui n’admet pas le doute.

Sans doute frustré que son pays compte pour peu sur la scène internationale il vient de se faire remarquer par la reprise de la déclaration sentencieuse qu’il avait lancée pendant sa campagne électorale: « Toute normalisation avec Israël est une trahison » 

Ce nouveau pois chiche dans la chorba tunisienne a éclaboussé Washington et Paris alors même que les deux capitales multipliaient les avances et les promesses pour que la Tunisie rejoigne les Émirats Arabes-Unis, Bahrein, le Soudan et le Maroc dans « le pacte d’Abraham » avec Israël.

Pragmatique, le Premier ministre tunisien Hichem Mechichi s’est précipité à Paris pour tenter de modérer cette position en mettant dans la balance l’urgence d’un besoin de 5 milliards d’euros. Il a été aussitôt recadré par Carthage dont l’alignement sur Ankara, Doha, Alger et Tripoli ne fait à présent plus de doute. 

C’est la première fois dans son histoire que la Tunisie tourne simultanément le dos à Washington et à Paris. Pour autant, les liens avec les États-Unis et l’Europe au plan militaire et sécuritaire ne semblent pas pour l’instant altérés. Mais ce coup de menton aura des conséquences sur l’avenir de la Tunisie qui ne dépend pas seulement de facteurs internes, mais aussi de la bienveillance de ses protecteurs étrangers. 

Le choix diplomatique honorable
de Carthage d’une suprême audace, est celui d’une révolution qui n’a plus rien à perdre que d’être contrainte à s’immoler par le feu.


vendredi 4 décembre 2020

Giscard d'Estaing Palestinien


Sa grande taille et sa façon de se tenir raide avec le nez relevé lui donnait une allure hautaine qui déplaisait aux Français ; surtout lorsqu’il tentait de se la jouer modeste à l’accordéon, ou de partager un petit déjeuner avec des éboueurs immigrés. 


Les arabes eux, avaient perçu dans son maintien et son humeur impassible, des signes de sagesse et de dignité. En djellaba sous un keffieh, il n’eut pas été ridicule. C’est d’ailleurs sous cet accoutrement imaginaire que le percevait le Président algérien Houari Boumedienne  « Il cache un poignard marocain sous sa gandoura ». 

Les deux hommes se détestaient. 


À l’opposé, le Président Giscard d’Estaing entretenait avec le roi Hassan II du Maroc, une complicité amicale sans nuage et avec le Président tunisien Habib Bourguiba une confiance et une estime sincère qui depuis n’ont jamais été égalées entre Carthage et l’Élysée.




Bourguiba & VGE


Sa visite en mai 1975 au Koweit et dans les Émirats nouvellement indépendants marque l'ultime prolongement positif de la politique arabe du Général de Gaulle. Il réaffirme à cette occasion « le droit du peuple palestinien à disposer d’une patrie ». Avec l’émir du Koweit, il lance le projet de construction de l’Institut du Monde Arabe à Paris qui sera inauguré dix ans plus tard par Mitterrand.


À Tunis en novembre 1975, il reprendra à son compte « l’initiative de paix » de Bourguiba de créer un État palestinien reconnaissant Israël. Il rappelle que la France réclame « l’évacuation des territoires occupés ». 

C’était il y a quarante cinq ans !


Le 31 octobre 1975 grâce aux talents de persuasion d’une petite équipe de militants français et tunisiens et de diplomates arabes, le Président français reconnait officiellement la représentation de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) à Paris.

Ezzeddine Kalak, le Directeur du Bureau d’Information et de Liaison de l’OLP n’est pas accrédité comme ambassadeur, mais à toutes les réceptions de l’Élysée, il est traité en Excellence.

Cette décision courageuse attise la rage d’Israël et des extrémistes palestiniens partisans de la lutte armée.

Le 3 août 1978, Ezzeddine Kalak dont le prédécesseur Mahmoud Hamchari avait été  assassiné en décembre 1972 à Paris par les services secrets israéliens, est exécuté à son tour par des tueurs d'Abu Nidhal: le Ben Laden de l’époque.


Giscard est furieux. Pendant son septennat, il ne mettra pas les pieds en Israël. Menahem Begin le premier ministre israélien persifle « M. Giscard d'Estaing n'a aucun principe, excepté celui de vendre des armes aux arabes »  

En mars 1980, Tribune Juive lance un avertissement prémonitoire: « La fameuse conscience juive…peut opérer des retournements capables de surprendre le plus orgueilleux des archanges ». 

Pendant la campagne électorale de 1981, les médias algériens aussi appelleront leurs binationaux à voter Mitterrand.


Dès lors tous les prétendants à la succession de Valéry Giscard d’Estaing retiendront la leçon. Ils se souviendront que pour gagner les élections, il vaut mieux ne pas se mettre à dos Alger et Tel- Aviv.

mercredi 25 novembre 2020

de Mac Mahon, de Gaulle...de Villiers ?


En 1873, Patrice, comte de Mac Mahon, entrait à l’Élysée. Héros auréolé de blessures et de victoires sur les champs de bataille, il avait été fait quelques années plus tôt, duc de Magenta et Maréchal de France. Ensuite, après une expédition peu glorieuse en Algérie, il avait pris la tête des Versaillais et réduit la Commune de Paris. Ce palmarès lui avait valu d’être élu Président par une assemblée où siégeait une majorité de royalistes. Pour la première fois de son histoire, la République était conduite par un authentique militaire. Pour la première fois, succédant au bourgeois Adolphe Thiers, ancien ministre de Louis Philippe 1er, un sang bleu devenait chef de l’État Républicain.


De Gaulle lui,  n’était pas issu de la noblesse, mais il en avait le port et le patronyme. Comme Mac Mahon, il était général victorieux, il était l’homme du recours d’une France à genoux et divisée. Ces deux hommes avaient en commun leur attachement à la foi chrétienne et leur formation à la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr qui instruit depuis 1802 les officiers de l’armée de terre.


Il se pourrait bien qu’en mai 2022 le Général d’armée Pierre Le Jolis de Villiers de Saintignon, dit Pierre de Villiers soit le troisième de la lignée d’officiers généraux à s’installer à l’Élysée. 

Les circonstances qui s’accumulent le rapprochent de ce destin.


La pandémie a mis en évidence le désarroi d’une gouvernance qui s’agite dans tous les sens pour parer au plus pressé en oubliant l’essentiel. La bonne volonté des hommes n’est pas en cause, c’est leur capacité d’anticipation et de savoir commander qui fait défaut. Un énarque sait expliquer une crise, il ne sait ni la prévoir, ni la gérer. L’ENA qui éduque toutes les élites de la politiques et de la fonction publique n’est pas celle du pragmatisme; gouverner n’est pas seulement administrer, c’est prévoir, mobiliser, encadrer, organiser, fixer des objectifs, répartir les missions, c’est agir.  

Brillant esprit et talentueux rhéteur, Macron a qualifié la pandémie de guerre sans pour autant mobiliser les combattants: armée, protection civile, réservistes, associations, ONG, collectivités locales…Toutes les énergies citoyennes ont été délaissées. Le Président, les ministres et des comités siégeants à huit clos se sont arrogés l’exclusivité de la conduite des batailles qui sans exceptions ont été perdues. Il n’est pas étonnant de constater qu’aucun des artisans de cette débâcle n’est issu de nos écoles d’ingénieurs. Aucun ne sort de Saint Cyr: « Ils s’instruisent pour vaincre » 

Devant la Covid, la France avec 50 000 victimes est à terre. Le pouvoir énarchique et jacobin ne s’en remettra pas car les électeurs se souviendront des mesures mesquines , des approximations, des mensonges, des voltes face et surtout de l’arrogante campagne d’infantilisation massive de la population.


À 16 mois des élections Présidentielles, tous les prétendants sortent du bois. Ils sont dix, ils sont vingt, ils seront cinquante à réclamer leur quart d’heure de gloire. La plupart ont échoué dans l’exercice du pouvoir, d’autres ont été dans le passé retoqué aux élections, peu de noms sont crédibles. 

Alors, comme en 1873, (comme en 1940) comme en 1958, qui mieux qu’un général pour apaiser les angoisses de la débâcle post-Covid qui s’annoncent ?


Injustement abaissé devant ses troupes par le Président Macron la veille du 14 juillet 2017, le Général de Villiers Chef d’État Major des armées démissionna quatre jours plus tard. Abattu mais pas vaincu, il a pris la plume pour expliquer sa France aux Français. Chacun de ses livres « Servir » «  Qu’est qu’un Chef ? » « L’équilibre est un courage » publiés chez Fayard s’est vendu à plus de 180 000 exemplaires. 

Le prochain sortira peut-être à point nommé pour annoncer sa candidature à la Présidence de mai 2022.


En attendant il court les interviews et soigne sa communication. Il sillonne la France, va au devant des oubliés. Il se fait applaudir dans les librairies de Versailles et de Montpellier mais aussi dans les quartiers « difficiles » des Mureaux où il s’est impliqué dans le tissu associatif sportif et humanitaire. L’armée est populaire chez les jeunes, le Général n’est jamais raillé, les marginaux lui serrent la main en le regardant droit dans les yeux. 

L’ancien Lt-Colonel qui négociait sur le pont de Mitrovica au Kosovo connait sur le bout des doigts la force du verbe et de l’adjectif. Avant de devenir le Chef d’État Major des trois armée en 2014, il avait rodé ses talents de communiquant dans les cabinets des Premiers ministres Raffarin et Fillon. Pour avoir trop fort réclamé des sous pour ses troupes, il a été remercié sans ménagement par un Président fraîchement élu, peu familier des choses militaires, qui inaugura par ce « fait d’arme » sans précédent, la première gaffe de son quinquennat. 

La défense nationale est une communauté de plus d’un demi million de femmes et d’hommes à laquelle aucune élection nationale n’a jamais résisté. 


Après Patrice de Mac Mahon et Charles de Gaulle, Pierre de Villiers emportera t-il l’Élysée ? 

Sans même être candidat, il est aujourd’hui crédité par l’IFOP de 20% des intentions de vote. Quelle que soit sa décision, il sera pendant la campagne présidentielle le boulet que Macron trainera en pénitence d’avoir humilié le Chef des armées.

mardi 24 novembre 2020

La guerre des sables aura-t-elle lieu ?

La ronde des diplomates masqués qui font la tournée des capitales est révélatrice des tensions qui agitent l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. À Tunis, Alger et Rabat, deux ministres français, Intérieur et Affaires étrangères, se sont déplacés à une semaines d’intervalle, puis, le Président tunisien s’est précipité au Qatar pendant que le secrétaire d’État américain s’invitait à l’Élysée avant d’aller faire sa tournée d’adieux chez ses amis du Golfe. 


Les amis arabes de Trump et les autres

Jusqu’à la fin de l’année, Trump est encore le patron. Et il y a fort à parier qu’il s’emploiera à allumer des feux que son successeur aurait peine à éteindre.

Son grand dessein est de contraindre tous les pays arabes à pactiser avec Israël. Il y a partiellement réussi mais a minima: les Émirats Arabes Unis 600 mille ressortissants, Bahrein 500 000 nationaux ont signé le 15 septembre dernier à la Maison Blanche « l’accord Abraham ». Un mois plus tard, Trump claironnait que le Soudan affamé avait rejoint l’accord et que d’autres pays arabes suivraient. Las, l’Égypte la Jordanie, Oman… sont en apparence bien intentionnés, mais ils traînent des pieds. De son côté, le Prince saoudien MBS  tétanisé par la victoire de Biden tente de négocier son impunité pour le meurtre de Khashoggi. Il redoute la vengeance de ses quelque 380 compatriotes milliardaires séquestrés en novembre 2017 au Ritz Carlon de Jeddah et qu’il a rançonnés. Tous étaient des associés et des amis démocrates américains et de Biden ! En Arabie, la vengeance est un plat qui se mange froid sur le corps de son ennemi. Alors pour tenter de sauver sa famille, MBS osera toutes les manoeuvres désespérées, y compris celle d’un bombardement saoudo-israélien de l'Iran.


En Afrique du Nord, les plus farouches opposants de « l’accord Abraham » sont la Tunisie et l’Algérie. Ils sont pourtant les plus éloignés du conflit, mais leur mémoire est longue. La Tunisie a été par deux fois agressée par Israel (bombardement de Hammam Chott en 1985 et commando sur Sidi Bou Saïd en 1988); quand à l’Algérie, elle identifie le souvenir de son épopée anti coloniale avec celle des Palestiniens.

À l’inverse, le roi du Maroc entretien des relations informelles sans complexe avec l’État hébreu notamment par le biais de ses sujets juifs. Mais de là à officialiser une relation qui pourrait heurter la population et ébranler la couronne, le roi ne franchira le pas que le couteau sous la gorge.


Dans la course à l’échalote israélienne que Trump impose aux arabes en leur brandissant carottes et bâtons, le Maghreb est vulnérable.


Les maillons faibles: Libye, Tunisie, Algérie

La Libye est le théâtre d’une guerre mondiale à l’échelle miniature. Les grands s’y affrontent par milices privées interposées et forces spéciales déguisées. L’enjeu du pétrole se dissimule derrière l’idéologie salafiste belliciste étrangère qui tente de convertir une population pratiquant le dogme soufi pacifiste. 

En Tunisie, contre vents et marées, le Président Saïed tente d’imposer à ses voisins son plan de paix avec le consensus des tribus libyennes qu’il a plusieurs fois rassemblées. Son rival Ghannouchi, leader du parti Islamiste tunisien, appuyé par ses  « frères » de Turquie et du Qatar lui met des bâtons dans les roues

En diplomate tenace, le Président tunisien a récemment atterri à Doha pour une visite officielle de trois jours. Il était accompagné du ministre de la Culture. L’émir qui est un familier du gendre de l’ex-dictateur Ben Ali, ne s’est pas déplacé pour l’accueillir à l’aéroport; il a dépêché son ministre de la Défense. Ambiance. Mais compte tenu de la situation économique désespérée de la Tunisie, comment repousser la main de l’émir du Qatar, second investisseur étranger derrière la France ?


Alger n’est pas en meilleure santé. Comme à Tunis, la Covid, la corruption, l’injustice, la récession et les chikayas politiques font des ravages. Symbole de la décadence de ce grand pays « riche », le Président de la République, testé positif, a été transféré en soins intensifs dans un hôpital … en Allemagne. 

Qui gouverne ? Qui commande ? Sempiternelles questions qui animent depuis des décennies les débats des « spécialistes » de la destination. C’est le « système » disent-ils sans être capable de nommer les éléments de la petite communauté de connivence censée diriger le pays. Les généraux, tout puissants mènent entre eux à huis clos une « guerre des képis » qui conduit les perdants à la prison. Les gagnants ont-il le temps de s’occuper de l’avenir de la nation ? 

L’armée algérienne est forte d’un demi million de soldats. Elle est quasi exclusivement équipée de matériel russe, elle vient d’acquérir pour 2 milliards de dollars 14 d’avions chasseurs furtif Sukhoï SU-57.  La plupart de ses officiers supérieurs ont été formés à Moscou. Sa mission est de défendre l’intégrité de 6 500 km de frontières terrestres avec le Maroc, la Mauritanie, la Libye, la Tunisie, le Mali, le Niger et des frontières maritimes avec le Maroc, la Tunisie, l’Espagne et l’Italie.


Le risque d’une guerre fratricide

Le 1er novembre dernier, à l’issue d’un scrutin boudé par les trois quarts des inscrits, la constitution algérienne a été amendée. Elle autorise notamment désormais l’armée nationale populaire à sortir de ses frontières « dans le cadre du respect des principes et objectifs des Nations Unies, de l’Union Africaine et de la Ligue des États Arabes…  (car)  L'Algérie est solidaire de tous les peuples qui luttent pour la libération politique et économique, pour le droit à l’autodétermination… » 

Ce texte sera promulgué dès que le Président sortira de son coma. Il est lourd de sens dans le contexte de regain de tension au Sahara occidental. 


Cette ancienne colonie espagnole a été proclamée République Arabe Démocratique Sahraouie par le Front Polisario en 1976. Son territoire est disputé par le Royaume du Maroc qui revendique la souveraineté de la totalité du pays dont il occupe les trois quarts. Au nom du principe d’autodétermination des peuples, l'Algérie soutien inconditionnellement les sahraouis. 

La communauté internationale divisée, n’a jamais été capable de se prononcer sur l’identité de cette étendue saharienne qui borde l’Atlantique. Il y a trente ans, sous l’égide de l’ONU les parties ont convenues d’en appeler à la population par voix de référendum. En attendant ce scrutin qui tarde indéfiniment à s’organiser, une force multinationale civilo-militaire d’interposition la Minurso, « forte » de 700 hommes patrouillent le long d’un no man’s land de 2 700km de dunes qui séparent les belligérants.

Il y a quelques jours, le cessez-le feu qui perdurait depuis 1991 a été rompu.  Nul ne connait la nature ni l’intensité des combats car aucun journaliste indépendant n’a pu approcher le théâtre d’opération. Les diplomates s’activent. Rabat et Alger recensent leurs soutiens. Les monarchies arabes et la ligue islamique sont solidaires du Maroc, les Africains penchent vers l’Algérie. L’ONU regarde ses chaussures. Paris ne sait pas sur quel pied danser.

Si la situation dégénère en guerre conventionnelle, la France sera dans une posture d’arbitrage intenable par la probable propagation sur son sol de violences incontrôlables entre les populations d’origines algériennes et marocaines.


Décidément, de Dubaï à Tanger en passant par Tripoli et Alger, Trump pour quelques jours encore, peut em.. le monde !

jeudi 12 novembre 2020

Musulmans français ou Français musulmans ?

Il n'existe pas de mot pour traduire caricature dans la langue du Coran. Le blasphème n'existe plus en droit français. 

 Le 31 octobre dernier sur Al Jazeera la télévision du Qatar, le Président Macron a tenté de lever ce qu'il a appelé un «  malentendu  ». «  Ces dessins sont faits en France, ça n’est pas la loi de l’islam qui s’applique en France, c’est la loi du peuple français souverain...beaucoup de pays dans le monde ont renoncé à la liberté d’expression ces dernières décennies parce qu’il y a eu des polémiques, par la peur, par le chaos justement des réactions.  » Brillant plaidoyer bien argumenté qui aura peut-être contribué à réduire le fossé d'incompréhension entre le Président de la France et le «  monde musulman  »   
Dans ses questions le journaliste a évoqué les «  musulmans français  ». Dans ses réponses le Président a parlé des «  Français de confession musulmane  ».  
L'ordre de priorité des mots est révélateur de l'équivoque.   

Charlie intégriste 
Le 9 novembre 1970  Hara-Kiri, journal auto-qualifié "bête et méchant", offensait la mémoire du Général de Gaulle qui venait de décéder. Immédiatement l'hebdomadaire était interdit de parution sur ordre de Matignon  : «  dangereux pour la jeunesse  ». Il reparaissait quelques jours plus tard sous le titre de Charlie Hebdo. 
Le journal  faisait alors rire avec les dessins de Reiser et réfléchir avec les chroniques de Fournier qui éveillèrent à l'écologie toute une génération.  Pour attirer le lecteur, la page de couverture se devait d'être racoleuse, graveleuse, irrévérencieuse. Nul n'était n'épargné, pas même les handicapés.   
Charlie n'a pas changé il est toujours l'adolescent irresponsable qui fait tache dans le paysage de la presse «  convenable  ». 

Contrairement à Libé qui s'est embourgeoisé, il est resté gauchiste anti tout qui chie sur tout. Il dessine en couverture «  le cul des juives  » ou caricature le christ avec des yeux de couilles et un nez de pénis.... Les jeunes Gaulois du Quartier latin ricanent, les vieux bourgeois s'indignent. D'innombrables procès n'en viennent pas à bout. Souvent au bord du dépôt de bilan, l'hebdo a été sauvé par le prophète des musulmans qui lui a valu au lendemain du massacre de sa rédaction par Al Qaïda un tirage de cinq millions d'exemplaires  ! 
Le titre est désormais immortel, il est martyr, il appartient à la République. Aucun pouvoir ne saura le soumettre car il détient le bouton rouge d'une guerre entre les Francs et les Mohamétants. 
Pour Charlie, Dieu, que la République ignore, n'existe pas. Depuis cinquante ans, il le fait savoir. Sa croisade contre les religion est une sorte de radicalisme de la laïcité, idéologie tout aussi intolérante que celles qu'il combat. Ses coups de poings dans la plaie font mal, mais ils alertent  peut-être de maux plus grands encore.     

L'Islam est en crise 
Cette évidence proférée par Emmanuel Macron n'est pas nouvelle. Elle s'affiche dans la confrontation millénaire entre chiite et sunnite cristallisée depuis cinq ans dans la guerre par procuration entre l'Iran et l'Arabie Saoudite au Yémen. Elle s'exprime aussi en Libye où depuis dix ans par mercenaires interposés  le Qatar et la Turquie affrontent les Émirats Arabes Unis, l'Arabie Saoudite et l'Égypte. On pourrait ajouter à ces conflits une dizaine de points chauds en Afrique, en Asie et au Levant où les musulmans s'entretuent sous les yeux des marionnettistes évangélistes américains,  juifs israéliens,  orthodoxes russes, catholiques européens et mécréants de tous horizons. 
Les attentats de Conflans et de Nice commis par des immigrés errants solitaires et incultes sont aussi les conséquences d'une guerre froide secrète. Les caricatures de Charlie ont été montées en épingle dans les pays sous influence des Frères musulmans  : Turquie, Qatar, Tunisie, Pakistan, Bengladesh, Gaza, Tripoli ; elles ont été modérément diffusées dans les camps d'en face pourtant tout autant intolérants  : Arabie, Émirats, Égypte, Algérie mais qui sont les alliés de la France dans cette confrontation idéologique au sein de l'islam.   

Il y a 1,8 milliard de musulmans dans le monde. Seuls quelques petits millions d'entre eux vivent dans un espace de liberté, ceux de France en font partie. Ils n'ont pas bougé et ce n'est pas la peur de la répression qui les auraient empêché de descendre dans la rue. Ils ont à l'unisson de la nation été choqués par les assassinats et leurs infâmes motifs. Ils ont sans doute pensé comme l'islamologue tunisien Youssef Seddik, «  que le blasphème n'engage que celui qui le profère...que les musulmans cessent de pousser des cris d'orfraie pour des faits qui ne les concernent pas...  »  (Jeune Afrique 6 nov 2020)   

Les occidentaux aussi doivent faire le ménage chez eux 
Alors que la Chine, le Japon et la Russie ont leur propre moteur de recherche, l'alliance des opiums des peuples wahhabites et évangélistes diffuse en occident les messages de Google. Car Google est salafiste. Le chercheur  Hugo Micheron révèle   : « Si vous faites une recherche quelconque sur l’islam dans Google... huit pages sur dix correspondront à des orientations les plus orthodoxes, voire ouvertement salafistes.  » (audition du 21-01-20 au Sénat).   

Autre curiosité du paysage, au milieu de la tempête contre Macron, le Premier ministre canadien Trudeau a cru bon – pour faire plaisir à ses clients du Golfe - de déclarer que la liberté avait des limites  !... Sous-entendant celle du sacré. 
Trudeau retarde de cinq siècles. Ses ancêtres qui posèrent le pied sur les rives du Saint-Laurent, racontaient qu'à Paris en 1529, un bourgeois perdant une partie de dés  s'était s'exclamé «  merde à la Vierge Marie et à Dieu  !  ». Arrêté et jugé, il avait été brûlé en Place de Grève sous les yeux d'une foule satisfaite qui psalmodiait l'Ancien Testament  : «  celui qui blasphème au Nom du Seigneur sera mis à mort  : toute la communauté le lapidera  » (Lévitique 24, 13-16).   
Au nom de la liberté Trudeau voue au bûcher posthume Rabelais, Voltaire, Céline, San Antonio, Coluche, Desproges, Bedos...et d'autres milliers de milliers d'impertinents anonymes. A-t-il jamais visité Paris où chaque jour, 27 000 touristes se pressent autour du Sacré Coeur près duquel se trouve la statue du Chevalier de la Barre qui fut supplicié, décapité, brûlé en 1766 à l'âge de vingt ans pour avoir négligé d'ôter son chapeau au passage d'une procession  ? Quelques années plus tard, la tourmente révolutionnaire coupait la tête du roi puis guillotinait 30 à 40 mille suspects dont quelques milliers de prêtres réfractaires (les Bienheureux Martyrs), pendant qu'à Paris on pillait et détruisait les églises. Trois générations  plus tard, pour mettre un terme définitif à l'ingérence de dieu dans le gouvernement des hommes, la nation se séparait définitivement  de la religion.   

La laïcité est la France 
On ne peut comprendre la laïcité à la Française si on  ignore son histoire. Chaque français est d'abord un citoyen. Cette qualité prime sur les croyances et les pratiques religieuses. Les quelque 5 millions de citoyens musulmans s'y obligent car «  La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale...  ». L'article premier de la Constitution devrait être affiché au tableau de toutes les écoles de France. 
C'est à cause de cet ancrage singulier que les Français sont pris pour cibles par les intégristes qui ont pour «  mission  » d'islamiser le monde. En France, ils sont une minorité de criminogènes, mais le réservoir d'illuminés incultes est immense.   
En absence de toutes statistiques, plusieurs rapports d'études concordent pour dire que la moitié des musulmans vivant en France sont pratiquants. Ils se rendent régulièrement dans l'une des 2 600 salles de prières et mosquées. 
 L'inquiétude vient d'instituts de sondage qui révèlent que plus du quart d'entre ces pratiquants, soit plusieurs centaines de milliers pensent que «  la charia devrait s'imposer aux lois de la République  ». Ce chiffre ahurissant est alarmant car il révèle la faillite de l'éducation nationale.   

Musulman et étranger de naissance 
En France, on naît musulman par généalogie, on le devient par le regard de l'autre. 
La religion se transmet de père en fils. L'attribution du prénom est un marqueur social qui suivra le musulman toute sa vie. Face à  Kevin ou Aurélie religieusement anonymes, Abdallah et Fatma porteront le label de leur dieu. C'est pourquoi certains parents donnent à leurs enfants des prénoms «  séculiers  » Sonia, Eddy ou bi-religieux: Sarah ou Adam, Maryam ou Elias. Comme dans toutes les religions, croyance et ferveur se nourrissent ensuite de l'éducation des parents et de l'enseignement des catéchistes.   
Parce que les musulmans de France sont plus ou moins lointainement issus de l'immigration, leur citoyenneté est ouvertement déniée. Ainsi, au lendemain des attentats le ministre de l'Intérieur Darmanin est allé en tournée en Afrique du Nord pour soumettre une liste de fichés «  S  » à expulser vers leur pays d'origine. Alger et Tunis ont fait remarquer que la plupart des individus désignés étaient citoyens français, nés en France. 
Comment se démarquer de cette identité étrangère et de cette double suspicion d'allégeance à un pays étranger et à une religion prétendument hostile à la république  ?   

Bi-citoyen «  Malgré-nous  » 
Tout comme la religion musulmane, la nationalité dans les pays arabes s'acquiert automatiquement par filiation. Ainsi, de jeunes français descendants d'immigrés ont rarement ou jamais mis les pieds au pays de leurs ancêtres dont ils ne parlent pas la langue. Ils sont pourtant des nationalisés du destin, des   «  Malgré nous  » du nom des Alsaciens incorporés par les Allemands. Cette condition serait supportable si elle n'était pas source  de méfiance et de tracasseries. « J’avais sans cesse le sentiment d’être jugée. En France je m’exaspérais  que l’on me renvoie à mes origines, comme si j’étais étrangère. En Tunisie, on s’étonnait que je ne parle pas la langue de mon pays d’origine » confie  la journaliste Sana Sbouai (La Presse tn 19-07-19)   

La confusion entre nationalité d'origine et religion remonte à la colonisation. Ainsi en 1923, la France décide d'encourager l'intégration par la naturalisation des élites tunisiennes dans son protectorat. Pour endiguer le flot des candidats surtout attirés par le supplément de revenu, «  le tiers colonial  », les nationalistes parmi lesquels Bourguiba proclament avec les oulémas que la naturalisation vaut conversion et que par conséquent les nouveaux français ne peuvent prétendre au repos dans un cimetière musulman. Cette instrumentalisation de la religion réussit au-delà de toute espérance. Aujourd'hui encore, la confusion nationalité-religion continue de tourmenter les esprits.   

La terre française est t-elle mécréante  ? 
Des récentes statistiques concordantes révèlent que 80% des musulmans de France se font inhumer à l'étranger. Les intégristes prétendent que la terre française est mécréante mais restent muets quand on leur demande de définir ce qu'est une «  terre musulmane  ». Ils évoquent aussi le manque de place dans les rares carrés réservés des cimetières municipaux où comme les juifs, ils réclament d'être inhumés à part. Et les mairies ne font pas preuve de bonne volonté. Ce qui peut se comprendre. 

De l'autre côté  de la Méditerranée, on encourage le « rapatriement  » (de quelle patrie?) des corps. Ainsi, l'état tunisien prend à sa charge l'intégralité des frais dès la déclaration de décès au Consulat. Marocains et Algériens sont organisés en associations de solidarité plus ou moins efficaces. Sur le net, une entreprise de pompes funèbres affiche un prix d'appel de 4 050 euros pour un service vers la Turquie, 2 500 vers le Sénégal, 1 900 vers le Pakistan, 1 700 vers le Mali....Le business est florissant. Nul ne s'interroge sur la fuite des défunts. La mort emporte la citoyenneté française du  musulman.   

Un destin de Morisque 
En 1492 après la chute de Grenade les musulmans et les juifs recevaient l'ordre de se convertir ou de s’exiler, mettant fin à 800 ans de présence musulmane en Espagne. En 1609, ceux qui avait accepté de se convertir au prix d'incessantes persécutions de l'inquisition, étaient finalement expulsés. Près d'un million de Morisques s'installeront en Afrique du Nord et reprendront la religion musulmane ou juive que leurs grands parents avaient reniée. Certains de leurs descendants se sont installés en France au 20ème siècle. 
Musulmans de France où Français musulmans, qui pourrait prédire que leur sort ne sera pas finalement comme celui des Moriques,  les oubliés de l'Histoire.  

jeudi 22 octobre 2020

France-Tunisie, la même menace terroriste

Le prophète Mahomed débordé par ses intégristes a confié à Charlie: « c’est dur d’être aimé par des cons ». Un député tunisien d’extrême droite qui se revendique de la confrérie des Frères musulmans a justifié l’abject assassinat du Professeur Paty : « L’injure faite au prophète est le plus grand crime qui soit. Celui qui ose le faire - État ou groupe d’individus - doit en supporter les conséquences. » En France, tous les républicains outragés réclament que le propagandiste de la haine soit interdit ad vitam aeternam de fouler le sol où vivent ceux qu’il a insulté. À Tunis, cette déclaration a provoqué l’indignation mesurée de la classe politique. Le Premier ministre a sobrement présenté ses condoléances téléphonées à son homologue français. Puis pour calmer la colère parisienne, il a ordonné l’ouverture d’une enquête pour « apologie du terrorisme ». L’affaire sera probablement enterrée car le pouvoir est faible et incapable de faire face à la surenchère des extrémistes. Dans un communiqué de solidarité aux endeuillés, l’Association tunisienne des Femmes démocrates rappelle qu’en Tunisie aussi des enseignants sont régulièrement menacés pour oser braver l’ignorance. L’opinion est blasée. Plus aucune barbarie n’étonne. Elle se souvient qu’en novembre 2015, au nom d’Allah, des takfiristes avaient égorgé un jeune berger de quatorze ans, puis ils avaient mis sa tête dans un sac en plastique et demandé à son frère d’aller la rapporter à la maison. Le paquet sanglant avait passé la nuit au frigidaire. Le lendemain, les villageois avaient été chercher les restes du corps entamés par les chiens. C’était la veille de l’attentat du Bataclan à Paris qui fit 147 victimes. En Tunisie, comme au Levant, en Mésopotamie, au Pakistan, en Indonésie.. partout, les  soldats de l’inquisition islamique se sont imposés aux musulmans. Ils ont réussi à marginaliser la prestigieuse école de la Zitouna de Tunis qui depuis l’an 737 disait la loi. Ici comme ailleurs, les barbares imposent leur tempo, ils sont en train de gagner. La France républicaine, 8 millions de musulmans, la Tunisie démocratique, 11 millions, sont victimes des mêmes fascistes qui instrumentalisent la religion dans le seul but de prendre le pouvoir et établir un État islamiste, séparatiste des genres et exterminateur de mécréants. La France combat les foyers de terroristes au Mali alors que les manipulateurs de consciences sont en Arabie. À l’heure où elle pleure l’horreur de la décapitation d’un professeur, nul ne s’insurge que le G20 se tienne les 21 et 22 novembre prochain en Arabie Saoudite sous la présidence de celui qui a ordonné à un commando d’équarrisseurs de lui rapporter la tête de Khashoggi. La mondialisation de l’islam rigoriste a été encouragée par la lâcheté de la communauté internationale qui a abdiqué devant l’argent. Le terrible attentat du 11 septembre 2011 n’a pas même réveillé les consciences. Les États-Unis ont rasé l’Irak qui n’y était pour rien, pour sauver la dynastie des Saoud qui y était pour beaucoup. Depuis, tout comme leurs frères ennemis wahhabites du Qatar, les Saoudiens affichent une vitrine présentable qui dissimule leurs officines de prédications haineuses aux ramifications planétaires. On se souvient de la déclaration fracassante du ministre tunisien des Affaires religieuses Abdeljalil Ben Salem en octobre 2016 à la tribune de l’assemblée : oui, je dénonce l'influence néfaste du wahhabisme saoudien en tant que vecteur du terrorisme… Ce savant de la foi, ancien recteur de la Zitouna avait été immédiatement limogé par le Chef du gouvernement et le Président de la République, tous deux incapables de résister aux injonctions du roi d’Arabie. La guerre idéologique qui se joue au sein de l’islam doit être menée avec des outils religieux et politiques, souligne Hakim El Karoui (Institut Montaigne 22-10-2020), un proche de Macron. Il a raison, encore faudrait-il que le Président choisisse entre ses faux amis musulmans du Golfe et ceux sincères de France et d’Afrique du Nord qui luttent au quotidien pour faire reculer la barbarie.

jeudi 30 juillet 2020

Tunisie: Ben Brik, la rose et le jasmin sont en prison


Les clowneries de la vie politique tunisienne ont pour fonction première de satisfaire les égos d'acteurs insignifiants. Les péripéties parlementaires et judiciaires rocambolesques sont autant de signaux faibles qui prédisent des bouleversements. Mais la condamnation du poète Taoufik Ben Brik est d'une tout autre amplitude.
Le rosier Sagan 
Sur le marché, voici un plan de rosier : trois petites tiges arrogantes qui dépassent d’une motte de glaise sombre. L’étiquette illustrée d’une fleur diaphane précise « effluve persistant et délicat ». À côté, une autre variété grimpante à fleurs rouges magnifiques mais inodores. J’hésite entre les deux, la rougeaude sans épines est signe de tare, je reste sur mon premier coup de cœur. Ma rose s'appelle « Françoise Sagan » du nom d'une auteure amoureuse et fragile, intelligente, fulgurante, femme-amante, sœur-confidente, pas maman pour un sou, mais enfant jusqu’au bout. Sagan était une vraie plante de France des années soixante, elle embaumait, elle piquait. Tous ses lecteurs en étaient amoureux ; ils adulaient la petite Françoise à l'allure de garçonne qui contemplait le monde d'un air désabusé de ses yeux tristes qui soudain sans prévenir, entre deux déprimes, se plissaient de rire. Sagan était une entichée de livres, une dévoreuse de lignes et de traits fulgurants, de mots et de maux avec ou sans ponctuation, verbes et verve superbes. Quand elle riait, les nuages disparaissaient et tous les imbéciles se sauvaient. « Le rire est avant tout cette preuve éclatante et irrésistible de notre liberté première » disait-elle. Nul n'a jamais songé emprisonner Sagan !.. 
Le machmoum de Ben Brik
Les jasmins de Tunisie sont des petites fleurs blanches cueillies sur les buissons au lever du jour pour être serties en bouquet dans un fil qui les empêche jusqu'à l'heure de leur offrande d'éclore en une multitude d'étoiles odorantes. Les soirs d'été chaque Tunisien porte à l'oreille son « machmoum » pour s'enivrer jusqu'à son coucher du parfum de la liberté. Mes pensées voguent vers le journaliste-écrivain-poète tunisien Ben Brik privé de jasmin et de rose qui estive vautré sur le grabat d'une geôle de la banlieue de Tunis. Il a pris un an de prison ferme pour insolence; pour avoir dit tout haut avec des mots stridents ce que d'autres chuchotaient en allusions circonstanciées ; pour avoir vertement critiqué il y a dix mois une décision de justice qui plaçait « fort opportunément » en détention Nabil Karoui candidat à l'élection présidentielle ; pour avoir enfin lancé un appel  « aux armes citoyens ! » à la télévision que personne – sauf le glaive de la justice - n'avait songé à prendre au sérieux. Au surplus, il paraît qu'il aurait,à la barre du tribunal, proféré à l'adresse des magistrats et des gendarmes quelques propos bien sentis que Brassens n'aurait pas reniés. Ben Brik est une grande gueule courageuse. Il y a plus de dix ans, il avait été l'un des rares à défier publiquement le dictateur Ben Ali qui l'avait immédiatement jeté en prison sous une grossière fausse accusation. Peine perdue, car derrière les barreaux l'acharné avait continué d'insulter le satrape. C'est un irréductible insoumis, un cas rare, un résistant, un salutaire bouffon du roi, un réfractaire à ce que La Boétie appelait « la servitude volontaire » décrite avec talent par Allaa El Aswany dans son dernier ouvrage « Le syndrome de la dictature ». L'enfermement de Ben Brik montre la fragilité de la démocratie tunisienne qui est encore sous l'emprise des usages du passé et de la faction la plus réactionnaire de la société.
La législature en déconfiture
Le Président de la République Kaïes Saïed qui est fin juriste discourait le mois dernier à Paris sur la différence entre légitimité et légalité. Ce n'était pas une digression aimable mais l'énoncé du cœur du problème tunisien qu'il venait probablement d'exposer à Emmanuel Macron. Ben Brik est l'exemple : sa révolte pourtant légitime a entrainé une punition légale. La République souffre de cette contradiction. Alors que le pouvoir exécutif a été adoubé par un vote populaire massif ( plus de 70%), il est entravé par un pouvoir législatif composé de clans rivaux élus par une minorité du corps électoral. Cette assemblée hétérogène, souveraine « a minima » a été incapable de légiférer et d'amender les codes et procédures judiciaires hérités de la dictature. C'est la République qui s'accommode de l'Ancien Régime en attendant Bonaparte. Alors les incompréhensions sociétales se multiplient et s'aggravent. Récemment, une jeune intellectuelle qui s'exerçait au futile exercice de décrire la Covid sous forme de verset a été immédiatement condamnée à l'enfermement. Les magistrats appliquent la loi sans chercher à interpréter la légitimité des faits et les juges de la Cour Constitutionnelle n'ont toujours pas été désignés. Cette situation qui paralyse toute gouvernance perdurera tant que l'assemblée ne sera pas dissoute et renouvelée. 
Bis repetita placent
Le syndicat des journalistes tunisiens, la société civile, les réseaux sociaux, son épouse Azza Zarrad, ses enfants Khadija et Ali, ses amis... tous se mobilisent pour exiger la libération de Taoufik Ben Brik qui n'est plus tout jeune et de santé fragile. Ils savent l'homme intransigeant, intègre, dévoué à la cause de la liberté d'expression. "Il est fou il ira jusqu'au bout", disent ceux qui se souviennent qu'il harcelait sans relâche le dictateur dont il avait singulièrement prédit la chute. Après tout, l'histoire pourrait bien bégayer, bis repetita placent, une seconde révolution ne serait pas de trop. L'incarcération de Ben Brik est un signal fort à ne pas négliger.

dimanche 28 juin 2020

France-Tunisie, un après midi à l'Élysée


La visite officielle en rase-motte du Président tunisien en France lundi dernier est passée sous les radars de l’actualité. Il faut dire que le tempo et le protocole ont réduit l'événement à la mise en scène d’une déclaration tambourinante du Président Macron sur…la Turquie. Avec courtoisie, le Président tunisien s’est accommodé des manières françaises sans jamais paraitre s’en irriter. Décryptage. 
Protocole post-Covid  Arrivé dans l’après midi au Bourget, sans tapis rouge ni fanfare, ni salon d’honneur il s'est rendu à l’Élysée. On a alors pu contempler cette scène surréaliste d'un Président masqué dont le pays déplore 50 décès reçu nez au vent et main en avant par le Président d'un pays qui en dénombre 30 000 ! Après une imprudente accolade, Kaïes Saïed a escamoté sa bavette. Les deux hommes se sont ensuite isolé pour un entretien en tête-à-tête. Que se sont-ils dit de plus que dans les échanges téléphoniques de ces derniers jours ? Nul ne le sait. Une heure plus tard, dans les jardins du Palais, ils ont brièvement parlé devant un pupitre. 
L'arabophonie   À la surprise générale, le Président tunisien s’est exprimé en langue arabe. C’est du jamais vu dans les annales de la diplomatie franco-tunisienne. A t-il voulu manifester sa mauvaise humeur en contrariant l'exercice convenu des compliments protocolaires échangés dans ces circonstances ? Le français est la seconde langue de la Tunisie, elle est enseignée dés l'âge de huit ans. Kaïs Saïed a justifié l'emploi de l'arabe afin d'être mieux compris de ses compatriotes, l'explication est courte car on ne va pas à l'étranger pour s'adresser aux siens ! Dans son allocution, il a évoqué ses voyages en France quand il était universitaire et rendu hommage au doyen Georges Vedel de l 'Académie Française, éminent constitutionnaliste décédé il y a dix ans, dont quelques septuagénaires de Sciences Po se souviennent avec émotion. Puis il a brodé sur les concepts de « légalité » et de « légitimité » . L'homme que la démocratie a propulsé au sommet il y a seulement huit mois n'a pas encore quitté son habit de professeur. À moins qu'il n'ait voulu donner une leçon à son jeune collègue qui ignore les subtilités du droit public. Le tunisien a clôturé son propos en citant un axiome du Général de Gaulle « les régimes passent, les peuples ne passent pas » Dans ce premier exercice d'expression à l'Élysée, il a donné l'impression d'un orateur que la perte du texte de son discours contraint à improviser.
Condescendance   Saïed n'est pas un rhéteur ni un madré, mais « un homme de droit, intègre et dévoué au peuple tunisien » selon les mots choisis par Macron dans son propos de bienvenu. Il a ajouté maladroitement : « Dans ce moment critique, j’ai indiqué au Président Kaïs Saïed qu’il pouvait compter sur notre soutien pour faire face à la pandémie » C'est l'hôpital qui se moque de la charité car la Tunisie a enregistré seulement quatre décès par million d'habitants ; la France plus de 400. Statistiquement les Tunisiens de France ont été cent fois plus frappés que leurs compatriotes restés au pays. Macron aurait pu saluer le dévouement en première ligne des milliers de praticiens et soignants tunisiens qui exercent dans les hôpitaux français. Il aurait aussi pu annoncer la reprise des voyages sans barrière entre les deux pays.
Parenthèses hôpitaux et charité   En matière économique, Tunis avait enregistré sans trop y croire en avril dernier, l'engagement de Macron d'effacer l'intégralité de la dette de la France en l'Afrique. « Les promesses n'engagent que ceux les écoutent » (Henri Queuille). Le Président a rappelé (sans tact) l'engagements en cours (1,7 M€) et il a annoncé un « prêt » de 350 millions d'euros pour la construction (notamment par des entreprises françaises) de deux hôpitaux. La Tunisie est abonnée à ce genre de générosité de circonstance. Elle collectionne déjà les crédits pour hôpitaux de la part du Kuwait, du Qatar, de l'Arabie Saoudite... Nul ne connait le taux du prêt français, mais à contre- courant de la conjoncture, il ne sera assurément pas à taux négatif. Paris persiste présenter des offres de crédits comme des cadeaux (humanitaires). Le Président Saïed a remercié évoquant la perspective de projets plus ambitieux comme celui d'un TGV Tabarka-Gabès (en attendant Alger-Tripoli). Dans le registre des projets onirique, on s'étonne que celui de Ferdinand de Lesseps reliant le désert tunisien à la mer n'ait pas resurgi des archives.
Tête de turc  Comme au Kremlin de la belle époque, en guise de conférence de presse, deux « journalistes » ont posé deux questions supports à deux déclarations préparées. Ce qui a permis au Président Macron de vilipender « le jeux dangereux de la Turquie », et d'évoquer une conversation du jour avec Trump laissant supposer une concertation entre partenaires de l'OTAN. Impassible, le Président Saïed a confirmé que la Tunisie était « opposée à toute ingérence étrangère en Libye d'où quelle vienne » ajoutant que la partition de ce pays « serait un péril pour toute la région », posture partagée par l'Algérie. Bref France et Tunisie ont poliment et ouvertement affirmé leur profond désaccord sur la guerre de Libye qui menace d'embraser la Méditerranée occidentale par l'affrontement direct entre Turcs et Égyptiens. Dans cette crise grave où les puissants ont chacun de bonnes raisons d'en découdre - pétrole à partager, base militaire à occuper, confrérie musulmane à éliminer – la petite Tunisie s'oppose avec détermination à la France, répétant que la solution ne peut venir que de l'autodétermination du peuple libyen souverain. Si cette rencontre avait pour Macron l'ambition d'un alignement de la Tunisie sur la France et pour Saïed l'espoir d'imposer sa médiation ; l'échec est patent.
Fromage et dessert  Puis les Présidents sont passés à table. Dîner de Chef étoilé avec orchestre de chambre, une centaine de couverts, quelques vedettes des réseaux sociaux, des hommes d'affaires. À la table d'honneur, Béchir Ben Yahmed doyen des journalistes, qui fut à l'âge de 18 ans ministre de Bourguiba. Ses confrères de la presse accrédités à l'Élysée ont rapportés la présence à ce premier gala des déconfinés de la première dame « Brigitte très en beauté ». Madame Saïed n'était pas du voyage.
Voyage pour se faire respecter ?  Le lendemain, le fringant Jack Lang a été mis à contribution à l'Institut du Monde Arabe pour une séance de calligraphie, puis le Président tunisien a reçu des compatriotes à l'ambassade et essuyé la fronde de quelques islamistes excités. Enfin, il a échangé - en français cette fois -, avec des journalistes du quotidien Le Monde et de France 24. De cette visite « de travail et d'amitié » expédié, on retiendra le souvenir d'affinités refoulées et de divergences cachées. Une semaine après que son rival Ghannouchi ait reçu à dîner à Tunis l'ambassadeur de France, le Président tunisien a donné l'impression d'être encadré par un programme minimaliste millimétré dont il n'est pas parvenu à s'affranchir. Pour lever ce doute au risque de le renforcer, il a déclaré avant de rentrer à Tunis qu'il était le seul et unique patron de la diplomatie tunisienne ajoutant « je n'aime pas que l'on me marche sur les pieds » 

dimanche 21 juin 2020

Kaïes Saïed Macron premier sommet déconfiné

La première visite d'un chef d'État étranger à Paris est toujours pour celui-ci un événement à marquer d'une pierre blanche. La capitale des lumières attire sans distinction, tous les papillons du monde. Alors être reçu en grande pompe sur un tapis rouge encadré de gardes républicains sabre au clair, descendre les Champs Élysées pavoisés aux couleurs de sa nation... ce n'est pas rien ! La France pour ses hôtes met toujours les petits plats dans les grands. Tous ses caprices sont exaucés. Le protocole du Quai d'Orsay est la meilleure agence de tourisme de France. On se souvient de la façon dont elle satisfit tous les caprices de Khadhafi. « nous avons besoin de la Libye » disaient Fillon et Sarkozy. Treize ans plus tard, la France a perdu la Libye, elle a besoin de la Tunisie. Pour autant, le déplacement qu'effectuera le Président tunisien Kaïes Saïed à Paris à partir de lundi ne sera pas entouré de la pompe appréciée des dictateurs africains et Princes saoudiens. Ce sera une sobre et discrète visite de travail de 24 heures sans faste ni tralala mais aux enjeux importants dont dépend le destin commun de deux pays.

Premier sommet international post-virus   Depuis six mois, les grands vivaient en apnée tout comme leurs sujets ; ils échangeaient par visoconférence interposée. La visite officielle du Président tunisien marque le retour aux usages diplomatiques. Elle précède l'ouverture des frontières sanitaires entre les deux pays et l'espoir de vacances estivales sans entrave. Emmanuel Macron ne manquera pas de saluer la remarquable bataille contre le Covid-9 de la Tunisie qui n'a déploré que 50 victimes grâce à aux mesures draconiennes prises à bon escient au bon moment. À Tunis, dés que la pandémie a gagné l'Italie, les lanceurs d'alertes du corps médical ont réussi à convaincre les autorités de la gravité du péril. Immédiatement, barrage social, dépistages, masques, confinements, fermetures des frontières... ont été mis en œuvre avec les moyens du bord mais de façon exemplaire. La performance atteste de la qualité de la gouvernance du pays et du degré de cohésion de la population derrière ses dirigeants. Admiratif et envieux, Macron n'aura pas à forcer le compliment. Il aura de surcroit et pour la première fois, un tête à tête avec le Président républicain arabe et musulman de l'unique pays rescapé des révolutions de 2011 ; avec le seul Chef d'État de la région élu démocratiquement et qui dirige l'un rares pays arabes (6 sur 22) à ne pas être en guerre ou en conflit larvé avec ses voisins.

Un hôte hors normes   Le Président de la République tunisienne ne ressemble pas à ses prédécesseurs. Il n'est pas du genre à se gonfler d'orgueil sous les ors de la République et les guirlandes de louanges. C'est un ascète, économe de ses mots, de ses gestes et de ses emportements. Lecteur de de Gaulle, c'est un indépendant insoumis pour qui la souveraineté de la Tunisie n'est pas monnayable : les Turcs, les Émiratis, les Qataries, les Saoudiens, les Égyptiens, les Algériens qui ont tenté de le circonvenir ont échoué. Sur la richissime Libye voisine courtisée par tous les prédateurs de la terre, Carthage campe sur sa salutaire politique de neutralité. « Aux Libyens de résoudre leurs problèmes hors de toute ingérence étrangère » La posture est inconfortable car la Libye est le théâtre d'affrontements d'une guerre froide internationale qui peut chaque jour basculer dans une confrontation en chaîne. Ainsi, Paris veut-il empêcher Ankara de livrer des armes au gouvernement de Tripoli. Les unités lourdes des marines turques et françaises s'affrontent au large dans des joutes électroniques périlleuses. Le dernier incident très sérieux a failli dégénérer en bataille navale entre deux partenaires de l'OTAN moribonde. C'est sans précédent ! La guerre en Méditerranée occidentale est désormais une hypothèse probable. Prise en tenaille, la diplomatie tunisienne est dans l'embarras. Elle cherche à se tenir à l'écart de cette bagarre dans la cour des grands dont elle présage qu'il n'y a que des coups à prendre et résiste aux pressions byzantines mais pas seulement, qui menacent à mots couverts : « ne pas être avec nous, c'est être contre nous » 

Relocalisation stratégique   Gravement sinistrée par le coût de la crise sanitaire qui vient s'ajouter à son endettement important, le Coronavirus offre l'opportunité de permettre à ce petit pays de onze millions d'habitants très éduqués de concurrencer « l'atelier du monde ». L'employé asiatique est neuf fois moins cher que le français, le tunisien « seulement » cinq ou six fois, mais il parle français, et produit des biens et des services à une heure d'avion ou une nuit de bateau de Marseille. Alors, dans la conjoncture post-Covid-19, ça change tout ! La Tunisie peut devenir la zone de relocalisation stratégique des industries françaises. Dans cette perspective, une politique d'abandon de la dette et de garantie des investissements pourrait booster la relance. Le Président Macron traduira t-il en actes concrets les promesses de son allocution du 13 avril 2020 ? « Nous devons aussi savoir aider nos voisins d’Afrique sur le plan économique en annulant massivement leurs dettes. »

Une diaspora oubliée, des plénipotentiaires en congé longue durée   La moitié des 1,7 millions Tunisiens qui résident à l'étranger sont installés en France. Le Président Saïed ira à leur rencontre pour écouter leurs doléances. Ils réclament notamment une refonte des services consulaires débordés et l'ouverture en urgence du ciel tunisois à la concurrence pour voyager à prix décent. Les Tunisiens de l'étranger sont de loin les premiers touristes dans leur propre pays par le volume des transferts d'argent. Aujourd'hui, ils redoutent la double peine d'un confinement frontalier qui les empêcherait de retrouver leurs familles si des mesures de circulation exceptionnelles n'étaient pas prises dans les prochaines semaines.  Au surplus, depuis le mois de décembre, Carthage n'a toujours pas désigné d'ambassadeur en France. Pas de consul général à Paris non plus. La personnalité de celles ou ceux qui seront nommés traduira le niveau de considération que Tunis entend donner à sa relation avec Paris. Réciproquement et dans le même temps, le profil de l'ambassadeur nouveau qui sera accrédité à Tunis en dira tout autant sur l'importance qu'accorde la France à la Tunisie. Enfin, la Francophonie, dont le sommet devrait avoir lieu à Djerba à la fin de l'année, si cher au Président Macron est un sujet de fâcherie qui ne passionne pas les Tunisiens mais qui sera probablement traité avec tact et diplomatie.

En marge des réceptions officielles, le Président prendra peut-être le temps d'une promenade à Belleville, au Mont Valérien ou au Quartier Latin pour marcher dans les pas de Bourguiba, le plus illustre de ses prédécesseurs, qui prenait plaisir à s'arrêter place de la Sorbonne pour méditer quelques instants devant la statue d'Auguste Comte où est gravée la devise que tout Chef d'État devrait faire sienne « Vivre pour autrui »

https://www.realites.com.tn/2020/06/non-au-tre-bashing″-tarek-ben-hiba-adresse-une-lettre-ouverte-a-abdellatif-el-mekki/

mardi 16 juin 2020

Tunisie France, le devoir de mémoire

 « Le devoir de mémoire est celui de rendre justice par le souvenir à un autre que soi » Paul Ricoeur.  En ce mois de juin 2020, la Tunisie et la France ne se regardent plus dans le miroir de juin 1940.
Gafsa Tunisie juin1940
Des jeunes soldats sont regroupés aux portes du désert puis acheminés dans la nuit vers Tunis. Au petit matin, ils embarquent sur la proue d’un paquebot qui cingle aussitôt vers Marseille. Les hommes du 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens partent à la guerre. Pendant la traversée, les passagers de première classe du pont supérieur leur jettent des friandises et des cigarettes qu’ils se disputent joyeusement. Ils sont heureux de la découverte de la mer. Après une traversée sans histoire, un train les attend sur le quai de la Joliette. Le convoi gagne Paris où les hommes cantinent à la hâte d’une soupe avant de sauter dans des camions. Sur le pont d’Austerlitz traversé à faible allure, certains croient discerner la Tour Eiffel. Au petit matin, la troupe bivouaque en forêt de Rambouillet. Au lointain, le canon tonne. Les hommes ne s’en alarment pas, tout occupés qu’ils sont à contempler les arbres immenses, caresser la mousse, effeuiller les fougères. Le lendemain, en attendant l'ordre de marche, ils capturent trois poules faisanes dont se régalent les officiers lesquels en échange blessent au fusil deux « gazelles », des chevreuils aussitôt égorgés et rôtis au bord de l’étang du Moulinet. 
Le 1er bataillon du 4ème RTT meurt mais ne se rend pas  Le 14 juin, alors que Paris est déclarée ville ouverte, le bataillon reçoit l’ordre de rallier Chartres. Les routes sont encombrées par l’exode d’une population paniquée. L'armée française en colonnes pressées doublent une file ininterrompue de civils hagards dans une débâcle indescriptible. L’armée allemande est à moins de 20 km. Vers le soir, au bout d’une route droite tracée entre les champs de blé de la Beauce, la troupe prend position près d’un hameau désert d’où l’on aperçoit les flèches de la cathédrale de Chartres. Le bataillon reçoit l’ordre de stopper l’avance des chars allemands. Par petits groupes, les hommes creusent des tranchées. Le Capitaine Davasse rassemble ses hommes : « ne laissons pas l’histoire nous traiter de lâches. Jurons de périr ici pour l'honneur». Tous prêtent serment. Le jour suivant, ils résistent jusqu’au soir. Les derniers survivants formant le carré en défense crient : « vive la France…. Allah akbar ! » avant d’être hachés par la mitraille.
C’était le 16 juin 1940, à Houville-la- Branche en Eure et Loir. Le 18 juin, les 50 villageois qui s’étaient réfugiés dans la chênaie s’en retournèrent pour mettre en terre dans leur cimetière les restes de 63 gosses. Depuis, chaque année, les habitants observent une journée de deuil et s’en vont fleurir la tombe des hommes qui arboraient l’éléphant d’Annibal sur leur fanion. La dépouille de l'un d'entre eux sera transférée à la Libération au Mont Valérien qui domine Paris, haut lieu de la mémoire imprescriptible de la France où reposent 16 héros de la résistance à la barbarie.
Le Bardo 80 ans plus tard
À l'Assemblée des Représentants du Peuple, un groupe de députés de l'ultra droite islamiste soumet à leurs collègues le vote d'une motion réclamant les excuses de l'État français pour les crimes commis durant la période coloniale et subsidiairement, pour avoir ensuite pillé les ressources du pays avec la complicité de Bourguiba le libérateur de la Tunisie En cette période post-pandémie de grande inquiétude économique, on aurait pu penser, que la représentation nationale eut trouvé d'autres chats à fouetter. Mais la seconde République tunisienne ressemble étrangement à la troisième République française ; les querelles partisanes, les intérêts privés et les influences étrangères dominent la vie politique. Le pouvoir exécutif est inlassablement harcelé par quelques groupuscules minoritaires qui cherchent à se faire remarquer par leur verbosité intempestive. Cette dernière tempête dans un verre d'eau cible le Chef de l'État Kaïes Saïed dont la diplomatie est un des domaines constitutionnellement réservés. Elle met également dans l'embarras le Premier ministre Elyes Fakhfakh soucieux de ne pas congeler des relations déjà très fraîches avec la France qu'affichent la double absence d'ambassadeur et de consul général de Tunisie en France depuis plus de 6 mois ! Au surplus, la perfide proposition parlementaire présente l'avantage de faire sortir de ses gongs une nostalgique du tandem Bourguiba-Ben Ali, surnommée la Callas de l'hémicycle en raison de son incroyable talent à se répandre dans un déluge de mots en donnant l'impression de ne jamais reprendre sa respiration. Plus sérieusement, on cherchera aussi dans cette partie de billard parlementaire à trois bandes, l'alibi de la Libye voisine, théâtre d'une guerre mondiale par procuration.
« Quand c'est difficile, on dit : c'est la France ! »  Durant les débats d'une trentaine d'heures, dont voici un florilège, un député a relevé que seuls les chefs d'État inféodés à la France ont leur statue dans la capitale française (Esplanade Habib Bourguiba Paris 7ème arrondissement). Un de ses collègues a proposé d'exiger des binationaux le reniement de leur nationalité française. Un autre député s'est étonné que la France soit la seule visée alors que la Tunisie a été pareillement colonisée par les Turcs de l'empire Ottoman...il aurait pu ajouter les Phéniciens et les Romains, citant toutefois les Allemands et les Britanniques mais oubliant les Américains, les Marocains, les Tchadiens, les Sénégalais, les Algériens... qui se sont battus en Tunisie en 1942 et 1943 contre les fascistes italiens et les nazis. D'une petite voix, un autre élu a rappelé sans citation que Macron s'était déjà excusé. « La colonisation est un crime... ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes. » (Alger février 2017)
Finalement, au terme d'échanges d'arguments d'inégales pertinences en séance plénière et d'injures copieuses dans les couloirs, on est passé au vote. Pour 77, abstention 46, contre 5. Majorité requise : 109. La motion a donc été rejetée par le silence de 86 députés absents et de 5 courageux. Ce scrutin mesure l'indice de désarroi profond des élus de la fragile démocratie tunisienne. « Quand c'est difficile, on dit : c'est la France ! » Emmanuel Macron (Abidjan décembre 2019) 
Suresnes 18 juin 2020
Comme tous ses prédécesseurs depuis Charles de Gaulle, le Président de la République Française sera ce jour-là au Mont Valérien. Dans la crypte du souvenir, il s'inclinera devant les dépouilles des 16 martyrs de la Liberté, il s'attardera pour lire l'épitaphe gravée sur le cinquième caveau en partant de la droite : Mohamed Amar Hedhili, né à Hergla, Tunisie en 1913...