mardi 16 juin 2020

Tunisie France, le devoir de mémoire

 « Le devoir de mémoire est celui de rendre justice par le souvenir à un autre que soi » Paul Ricoeur.  En ce mois de juin 2020, la Tunisie et la France ne se regardent plus dans le miroir de juin 1940.
Gafsa Tunisie juin1940
Des jeunes soldats sont regroupés aux portes du désert puis acheminés dans la nuit vers Tunis. Au petit matin, ils embarquent sur la proue d’un paquebot qui cingle aussitôt vers Marseille. Les hommes du 4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens partent à la guerre. Pendant la traversée, les passagers de première classe du pont supérieur leur jettent des friandises et des cigarettes qu’ils se disputent joyeusement. Ils sont heureux de la découverte de la mer. Après une traversée sans histoire, un train les attend sur le quai de la Joliette. Le convoi gagne Paris où les hommes cantinent à la hâte d’une soupe avant de sauter dans des camions. Sur le pont d’Austerlitz traversé à faible allure, certains croient discerner la Tour Eiffel. Au petit matin, la troupe bivouaque en forêt de Rambouillet. Au lointain, le canon tonne. Les hommes ne s’en alarment pas, tout occupés qu’ils sont à contempler les arbres immenses, caresser la mousse, effeuiller les fougères. Le lendemain, en attendant l'ordre de marche, ils capturent trois poules faisanes dont se régalent les officiers lesquels en échange blessent au fusil deux « gazelles », des chevreuils aussitôt égorgés et rôtis au bord de l’étang du Moulinet. 
Le 1er bataillon du 4ème RTT meurt mais ne se rend pas  Le 14 juin, alors que Paris est déclarée ville ouverte, le bataillon reçoit l’ordre de rallier Chartres. Les routes sont encombrées par l’exode d’une population paniquée. L'armée française en colonnes pressées doublent une file ininterrompue de civils hagards dans une débâcle indescriptible. L’armée allemande est à moins de 20 km. Vers le soir, au bout d’une route droite tracée entre les champs de blé de la Beauce, la troupe prend position près d’un hameau désert d’où l’on aperçoit les flèches de la cathédrale de Chartres. Le bataillon reçoit l’ordre de stopper l’avance des chars allemands. Par petits groupes, les hommes creusent des tranchées. Le Capitaine Davasse rassemble ses hommes : « ne laissons pas l’histoire nous traiter de lâches. Jurons de périr ici pour l'honneur». Tous prêtent serment. Le jour suivant, ils résistent jusqu’au soir. Les derniers survivants formant le carré en défense crient : « vive la France…. Allah akbar ! » avant d’être hachés par la mitraille.
C’était le 16 juin 1940, à Houville-la- Branche en Eure et Loir. Le 18 juin, les 50 villageois qui s’étaient réfugiés dans la chênaie s’en retournèrent pour mettre en terre dans leur cimetière les restes de 63 gosses. Depuis, chaque année, les habitants observent une journée de deuil et s’en vont fleurir la tombe des hommes qui arboraient l’éléphant d’Annibal sur leur fanion. La dépouille de l'un d'entre eux sera transférée à la Libération au Mont Valérien qui domine Paris, haut lieu de la mémoire imprescriptible de la France où reposent 16 héros de la résistance à la barbarie.
Le Bardo 80 ans plus tard
À l'Assemblée des Représentants du Peuple, un groupe de députés de l'ultra droite islamiste soumet à leurs collègues le vote d'une motion réclamant les excuses de l'État français pour les crimes commis durant la période coloniale et subsidiairement, pour avoir ensuite pillé les ressources du pays avec la complicité de Bourguiba le libérateur de la Tunisie En cette période post-pandémie de grande inquiétude économique, on aurait pu penser, que la représentation nationale eut trouvé d'autres chats à fouetter. Mais la seconde République tunisienne ressemble étrangement à la troisième République française ; les querelles partisanes, les intérêts privés et les influences étrangères dominent la vie politique. Le pouvoir exécutif est inlassablement harcelé par quelques groupuscules minoritaires qui cherchent à se faire remarquer par leur verbosité intempestive. Cette dernière tempête dans un verre d'eau cible le Chef de l'État Kaïes Saïed dont la diplomatie est un des domaines constitutionnellement réservés. Elle met également dans l'embarras le Premier ministre Elyes Fakhfakh soucieux de ne pas congeler des relations déjà très fraîches avec la France qu'affichent la double absence d'ambassadeur et de consul général de Tunisie en France depuis plus de 6 mois ! Au surplus, la perfide proposition parlementaire présente l'avantage de faire sortir de ses gongs une nostalgique du tandem Bourguiba-Ben Ali, surnommée la Callas de l'hémicycle en raison de son incroyable talent à se répandre dans un déluge de mots en donnant l'impression de ne jamais reprendre sa respiration. Plus sérieusement, on cherchera aussi dans cette partie de billard parlementaire à trois bandes, l'alibi de la Libye voisine, théâtre d'une guerre mondiale par procuration.
« Quand c'est difficile, on dit : c'est la France ! »  Durant les débats d'une trentaine d'heures, dont voici un florilège, un député a relevé que seuls les chefs d'État inféodés à la France ont leur statue dans la capitale française (Esplanade Habib Bourguiba Paris 7ème arrondissement). Un de ses collègues a proposé d'exiger des binationaux le reniement de leur nationalité française. Un autre député s'est étonné que la France soit la seule visée alors que la Tunisie a été pareillement colonisée par les Turcs de l'empire Ottoman...il aurait pu ajouter les Phéniciens et les Romains, citant toutefois les Allemands et les Britanniques mais oubliant les Américains, les Marocains, les Tchadiens, les Sénégalais, les Algériens... qui se sont battus en Tunisie en 1942 et 1943 contre les fascistes italiens et les nazis. D'une petite voix, un autre élu a rappelé sans citation que Macron s'était déjà excusé. « La colonisation est un crime... ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux vers lesquels nous avons commis ces gestes. » (Alger février 2017)
Finalement, au terme d'échanges d'arguments d'inégales pertinences en séance plénière et d'injures copieuses dans les couloirs, on est passé au vote. Pour 77, abstention 46, contre 5. Majorité requise : 109. La motion a donc été rejetée par le silence de 86 députés absents et de 5 courageux. Ce scrutin mesure l'indice de désarroi profond des élus de la fragile démocratie tunisienne. « Quand c'est difficile, on dit : c'est la France ! » Emmanuel Macron (Abidjan décembre 2019) 
Suresnes 18 juin 2020
Comme tous ses prédécesseurs depuis Charles de Gaulle, le Président de la République Française sera ce jour-là au Mont Valérien. Dans la crypte du souvenir, il s'inclinera devant les dépouilles des 16 martyrs de la Liberté, il s'attardera pour lire l'épitaphe gravée sur le cinquième caveau en partant de la droite : Mohamed Amar Hedhili, né à Hergla, Tunisie en 1913...

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