Tunisie France, le devoir de mémoire
« Le
devoir de mémoire est celui de rendre justice par le souvenir à un
autre que soi » Paul Ricoeur. En ce mois de juin 2020, la Tunisie et la France ne se regardent plus dans le miroir de juin 1940.
Gafsa
Tunisie juin1940
Des
jeunes soldats sont regroupés aux portes du désert puis acheminés
dans la nuit vers Tunis. Au petit matin, ils embarquent sur la proue
d’un paquebot qui cingle aussitôt vers Marseille. Les hommes du
4ème Régiment de Tirailleurs Tunisiens partent à la guerre.
Pendant la traversée, les passagers de première classe du pont
supérieur leur jettent des friandises et des cigarettes qu’ils se
disputent joyeusement. Ils sont heureux de la découverte de la mer.
Après une traversée sans histoire, un train les attend sur le quai
de la Joliette. Le convoi gagne Paris où les hommes cantinent à la
hâte d’une soupe avant de sauter dans des camions. Sur le pont
d’Austerlitz traversé à faible allure, certains croient discerner
la Tour Eiffel. Au petit matin, la troupe bivouaque en forêt de
Rambouillet. Au lointain, le canon tonne. Les hommes ne s’en
alarment pas, tout occupés qu’ils sont à contempler les arbres
immenses, caresser la mousse, effeuiller les fougères. Le lendemain,
en attendant l'ordre de marche, ils capturent trois poules faisanes
dont se régalent les officiers lesquels en échange blessent au
fusil deux « gazelles », des chevreuils aussitôt
égorgés et rôtis au bord de l’étang du Moulinet.
Le
1er bataillon du 4ème RTT meurt mais ne se rend pas
Le 14 juin, alors que Paris est déclarée ville ouverte, le
bataillon reçoit l’ordre de rallier Chartres. Les routes sont
encombrées par l’exode d’une population paniquée. L'armée
française en colonnes pressées doublent une file ininterrompue de
civils hagards dans une débâcle indescriptible. L’armée
allemande est à moins de 20 km. Vers le soir, au bout d’une route
droite tracée entre les champs de blé de la Beauce, la troupe prend
position près d’un hameau désert d’où l’on aperçoit les
flèches de la cathédrale de Chartres. Le bataillon reçoit l’ordre
de stopper l’avance des chars allemands. Par petits groupes, les
hommes creusent des tranchées. Le Capitaine Davasse rassemble ses
hommes : « ne laissons pas
l’histoire nous traiter de lâches. Jurons de périr ici pour
l'honneur». Tous prêtent serment.
Le jour suivant, ils résistent jusqu’au soir. Les derniers
survivants formant le carré en défense crient : « vive
la France…. Allah akbar ! »
avant d’être hachés par la mitraille.
C’était
le 16 juin 1940, à Houville-la- Branche en Eure et Loir. Le
18 juin, les 50 villageois qui s’étaient
réfugiés dans la chênaie s’en retournèrent pour
mettre en terre dans leur cimetière les restes de 63 gosses. Depuis,
chaque année, les habitants observent une journée de deuil et s’en
vont fleurir la tombe des hommes qui arboraient l’éléphant
d’Annibal sur leur fanion. La dépouille de l'un d'entre eux sera
transférée à la Libération au
Mont Valérien qui domine Paris, haut lieu de la mémoire
imprescriptible de la France où reposent 16
héros de la résistance à la barbarie.
Le
Bardo 80 ans plus tard
À
l'Assemblée des Représentants du Peuple, un groupe de députés
de l'ultra droite islamiste soumet à leurs collègues le vote d'une
motion réclamant les excuses de l'État français pour les crimes
commis durant la période coloniale et subsidiairement, pour avoir
ensuite pillé les ressources du pays avec la complicité de
Bourguiba le libérateur de la Tunisie En cette période
post-pandémie de grande inquiétude économique, on aurait pu
penser, que la représentation nationale eut trouvé d'autres chats à
fouetter. Mais la seconde République tunisienne ressemble
étrangement à la troisième République française ; les
querelles partisanes, les intérêts privés et les influences
étrangères dominent la vie politique. Le pouvoir exécutif est
inlassablement harcelé par quelques groupuscules minoritaires qui
cherchent à se faire remarquer par leur verbosité intempestive.
Cette dernière tempête dans un verre d'eau cible le Chef de l'État
Kaïes Saïed dont la diplomatie est un des domaines
constitutionnellement réservés. Elle met également dans l'embarras
le Premier ministre Elyes Fakhfakh soucieux de ne pas congeler des
relations déjà très fraîches avec la France qu'affichent la
double absence d'ambassadeur et de consul général de Tunisie en
France depuis plus de 6 mois ! Au surplus, la perfide
proposition parlementaire présente l'avantage de faire sortir de ses
gongs une nostalgique du tandem Bourguiba-Ben Ali, surnommée la
Callas de l'hémicycle en raison de son incroyable talent à se
répandre dans un déluge de mots en donnant l'impression de ne
jamais reprendre sa respiration. Plus sérieusement, on cherchera
aussi dans cette partie de billard parlementaire à trois bandes,
l'alibi de la Libye voisine, théâtre d'une guerre mondiale par
procuration.
« Quand
c'est difficile, on dit : c'est la France ! » Durant
les débats d'une trentaine d'heures, dont voici un florilège, un
député a relevé que seuls les chefs d'État inféodés à la
France ont leur statue dans la capitale française (Esplanade Habib
Bourguiba Paris 7ème arrondissement). Un de ses collègues a proposé
d'exiger des binationaux le reniement de leur nationalité française.
Un autre député s'est étonné que la France soit la seule visée
alors que la Tunisie a été pareillement colonisée par les Turcs de
l'empire Ottoman...il aurait pu ajouter les Phéniciens et les
Romains, citant toutefois les Allemands et les Britanniques mais
oubliant les Américains, les Marocains, les Tchadiens, les
Sénégalais, les Algériens... qui se sont battus en Tunisie en 1942
et 1943 contre les fascistes italiens et les nazis. D'une petite
voix, un autre élu a rappelé sans citation que Macron s'était déjà
excusé. « La
colonisation est un crime... ça
fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en
présentant aussi nos excuses à l'égard de celles et ceux vers
lesquels nous avons commis ces gestes. » (Alger février 2017)
Finalement,
au terme d'échanges d'arguments d'inégales pertinences en séance
plénière et d'injures copieuses dans les couloirs, on est passé au
vote. Pour 77, abstention 46, contre 5. Majorité requise :
109. La motion a donc été rejetée par le silence de 86 députés
absents et de 5 courageux. Ce scrutin mesure l'indice de désarroi
profond des élus de la fragile démocratie tunisienne. « Quand
c'est difficile, on dit : c'est la France ! » Emmanuel
Macron (Abidjan décembre 2019)
Suresnes
18 juin 2020
Comme
tous ses prédécesseurs depuis Charles de Gaulle, le Président de
la République Française sera ce jour-là au Mont Valérien. Dans la
crypte du souvenir, il s'inclinera devant les dépouilles des 16
martyrs de la Liberté, il s'attardera pour lire l'épitaphe gravée
sur le cinquième caveau en partant de la droite : Mohamed Amar
Hedhili, né à Hergla, Tunisie en 1913...
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