Quand toutes les cités de la région dressent fièrement le clocher de leur église sur une colline, cette bourgade sarthoise se niche au fond d'une cuvette. Elle se cache le long d'une petite rivière sans charme où jadis les bouilleurs trempaient leurs alambics et faisaient pisser la gnôle par tonneaux. La fabrique de tord-boyaux et la sucrerie sont en ruine depuis belle lurette et quelques autres fumeuses usines aussi. Les vieux évoquent avec une lueur dans les yeux la prospérité d'antan, quand la cité ouvrière était une ruche. On y fabriquait même des grille-pains, des moulins à légumes et à café... Les jours de foire, les camelots et les maquignons endimanchés affluaient sur la place du marché. Puis lentement, au rythme des dépôts de bilans, « Moulinex c'est fini », Mamers s'est assoupie. Devant la halle déserte, on se gare sans peine pour acheter une baguette ou le journal ; il y a aussi dix assureurs, huit coiffeurs, sept banques, quatre opticiens, trois pharmaciens, deux bouchers, deux cafés, un cordonnier; qui ne se sont pas encore délocalisés sur les hauteurs.
La loi de l'épicier
Au fil des années, comme dans toute la France, l'animation du centre ville s'est déplacée en périphérie autour des supermarchés : un Lidl à qualité pas cher, un Intermarché & Bricomarché aimables et bien achalandés. Mais le phare du commerce local est un Super U lumineux, chic et cher.. Les 5 300 habitants du canton, et ceux des environs y affluent. Pendant le Corona confinement, les caddies se sont multipliés les affaires du propriétaire ont prospéré. Transgressant la loi qui n'autorisait que la vente de produits de première nécessité, il a ouvert dans sa galerie commerciale son magasin d'appareils ménagers, et aussi la station de lavage de voitures. La maréchaussée a essayé en vain de faire plier le contrevenant en verbalisant pour l'exemple quelques usagers « étrangers » et autochtones vite remboursés. Au delà du surplus inespéré de son chiffre d'affaires le notable épicier a montré à la population et aux autres commerçants qu'il avait de l'autorité et le bras long. C'est important car dans la région, il faut savoir perpétuer la tradition des fiefs.
Le train de Monsieur le Duc
Par une anomalie de la cartographie administrative, Mamers protubérance enchâssée dans le département de l'Orne relève pourtant de la préfecture de la Sarthe. Il faut dire que la Sarthe saosnoise céréalière est prospère alors que l'Orne percheronne laitière est misère. Ceci explique sans doute cela. L'autre singularité de la ville est son isolement. Pas de route nationale ni d'autoroute. Pas de train. Le Mans est à 45km, les gares de Nogent-le-Rotrou et d'Alençon à 40 km. Il reste pourtant à Mamers les traces d'une gare de chemin de fer inaugurée en 1872 : c'était le terminus de « la ligne des Ducs ». Longue de 77 km elle n'était pas reliée au réseau national et desservait exclusivement les terres de Sosthène Duc de la Rochefoucauld entre Mamers et Saint-Calais. Le contribuable paiera pendant cent ans les conséquences de cette lamentable affaire « public-privé ». Le duc avaient aussi fait construire à Mamers un théâtre à l'italienne où se produisaient des artistes venus de Paris. À l'époque, la population votait fidèlement en faveur de l'aristocratie locale au train-train de vie fastueux. Mais en 1898 dans un sursaut de révolte républicaine, elle blackboule contre toute attente Sosthène II de la Rochefoucauld Duc de Doudeauville, héritier du noble cheminot. C'est ainsi que l'inspecteur des Finances Joseph Caillaux, riche roturier natif du Mans deviendra jusqu'à 1940 l'indéboulonnable député de Mamers.
Le ministre amnistié, son épouse acquittée
Joseph Caillaux tombeur de la noblesse sarthoise est une légende oubliée de la troisième République : cinq fois ministre des Finances, (inventeur de l'impôt sur le revenu), Président du parti radical, Président du Conseil, ministre de l'Intérieur...accusé d'intelligence avec l'ennemi et de haute trahison il marque une pause de trois ans en prison le temps de laisser passer la grande guerre. Amnistié par ses amis du Cartel des gauches en 1925, il redevient ministre, fait tomber le gouvernement Blum... vote les pleins pouvoirs à Pétain en 1940 avant de se retirer à Mamers pour y mourir quatre ans plus tard. L'histoire a oublié l'homme. Elle se souvient de la femme : celle qui révoltée par les révélations scabreuses de la presse sur son époux alla par un beau matin de mars 1914 révolvériser le directeur du Figaro. Trois mois plus tard, elle déclarait à la barre : « Je l'ai tué pour lui apprendre à vivre Monsieur le Président ... ». Sous les applaudissements d'un public rétribué, face à des magistrats reconnaissants, Henriette Caillaux sera acquittée par un jury complaisant.
Une ville sans perspective
Charles de Gaulle, Président de la République vint à Mamers en mai 1965 pour redonner espoir à la population : « vous commencez à être un attrait pour les chefs d' entreprises intéressés par la décentralisation... » L'embellie dura une dizaine d'années, puis la cité à nouveau oubliée dans son isolement se recroquevilla dans son trou. Aujourd'hui la situation économique n'est pas florissante. Les statistiques révèlent un taux de chômage de 20% et un taux de pauvreté équivalent. L'activité est faiblement productive. Les trois quarts des employés sont dans la fonction publique : escadron d'une centaine de gendarmes, hôpital, collège, lycée, municipalité, sous préfecture... Le premier employeur privé de la ville est la grande distribution. Le revenu moyen mensuel par foyer fiscal est de 1 500 euros (données 2015), qui sont dépensés pour l'essentiel dans les supermarchés. Marqué de l'empreinte d'un duc et d'un inspecteur des Finances qui lui ont octroyé au siècle dernier une éphémère prospérité, l'avenir de Mamers semble désormais dépendre de ses épiciers.
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