La
première visite d'un chef d'État étranger à Paris est toujours
pour celui-ci un événement à marquer d'une pierre blanche. La
capitale des lumières attire sans distinction, tous les
papillons du monde. Alors être reçu en grande pompe sur un tapis
rouge encadré de gardes républicains sabre au clair, descendre les
Champs Élysées pavoisés aux couleurs de sa nation... ce n'est pas
rien ! La France pour ses hôtes met toujours les petits plats
dans les grands. Tous ses caprices sont exaucés. Le protocole du
Quai d'Orsay est la meilleure agence de tourisme de France. On se
souvient de la façon dont elle satisfit tous les caprices de
Khadhafi. « nous avons besoin de la Libye »
disaient Fillon et Sarkozy. Treize ans plus tard, la France a perdu
la Libye, elle a besoin de la Tunisie. Pour autant, le déplacement
qu'effectuera le Président tunisien Kaïes Saïed à Paris à partir
de lundi ne sera pas entouré de la pompe appréciée des
dictateurs africains et Princes saoudiens. Ce sera une
sobre et discrète visite de travail de 24 heures sans faste ni
tralala mais aux enjeux importants dont dépend le destin commun de
deux pays.
Premier sommet international post-virus Depuis
six mois, les grands vivaient en apnée tout comme leurs sujets ;
ils échangeaient par visoconférence interposée. La visite
officielle du Président tunisien marque le retour aux usages
diplomatiques. Elle précède l'ouverture des frontières sanitaires
entre les deux pays et l'espoir de vacances estivales sans entrave.
Emmanuel Macron ne manquera pas de saluer la remarquable bataille
contre le Covid-9 de la Tunisie qui n'a déploré que 50 victimes
grâce à aux mesures draconiennes prises à bon escient au bon
moment. À Tunis, dés que la pandémie a gagné l'Italie, les
lanceurs d'alertes du corps médical ont réussi à convaincre les
autorités de la gravité du péril. Immédiatement, barrage social,
dépistages, masques, confinements, fermetures des frontières... ont
été mis en œuvre avec les moyens du bord mais de façon
exemplaire. La performance atteste de la qualité de la gouvernance
du pays et du degré de cohésion de la population derrière ses
dirigeants. Admiratif et envieux, Macron n'aura pas à forcer le
compliment. Il aura de surcroit et pour la première fois, un tête à
tête avec le Président républicain arabe et musulman de l'unique
pays rescapé des révolutions de 2011 ; avec le seul Chef
d'État de la région élu démocratiquement et qui dirige l'un rares
pays arabes (6 sur 22) à ne pas être en guerre ou en conflit larvé
avec ses voisins.
Un hôte hors normes Le
Président de la République tunisienne ne ressemble pas à ses
prédécesseurs. Il n'est pas du genre à se gonfler d'orgueil sous
les ors de la République et les guirlandes de louanges. C'est un
ascète, économe de ses mots, de ses gestes et de ses emportements.
Lecteur de de Gaulle, c'est un indépendant insoumis pour qui la
souveraineté de la Tunisie n'est pas monnayable : les Turcs,
les Émiratis, les Qataries, les Saoudiens, les Égyptiens, les
Algériens qui ont tenté de le circonvenir ont échoué. Sur la
richissime Libye voisine courtisée par tous les prédateurs de la
terre, Carthage campe sur sa salutaire politique de neutralité.
« Aux Libyens de résoudre leurs problèmes hors de toute
ingérence étrangère » La posture est inconfortable car
la Libye est le théâtre d'affrontements d'une guerre froide
internationale qui peut chaque jour basculer dans une confrontation
en chaîne. Ainsi, Paris veut-il empêcher Ankara de livrer des armes
au gouvernement de Tripoli. Les unités lourdes des marines turques
et françaises s'affrontent au large dans des joutes électroniques
périlleuses. Le dernier incident très sérieux a failli dégénérer
en bataille navale entre deux partenaires de l'OTAN moribonde. C'est
sans précédent ! La guerre en Méditerranée occidentale est
désormais une hypothèse probable. Prise en tenaille, la diplomatie
tunisienne est dans l'embarras. Elle cherche à se tenir à l'écart
de cette bagarre dans la cour des grands dont elle présage qu'il n'y
a que des coups à prendre et résiste aux pressions byzantines
mais pas seulement, qui menacent à mots couverts : « ne
pas être avec nous, c'est être contre nous »
Relocalisation
stratégique Gravement
sinistrée par le coût de la crise sanitaire qui vient s'ajouter à
son endettement important, le Coronavirus offre l'opportunité de
permettre à ce petit pays de onze millions d'habitants très éduqués
de concurrencer « l'atelier du monde ». L'employé
asiatique est neuf fois moins cher que le français, le tunisien
« seulement » cinq ou six fois, mais il parle français,
et produit des biens et des services à une heure d'avion ou une nuit
de bateau de Marseille. Alors, dans la conjoncture post-Covid-19, ça
change tout ! La Tunisie peut devenir la zone de relocalisation
stratégique des industries françaises. Dans cette perspective, une
politique d'abandon de la dette et de garantie des investissements
pourrait booster la relance. Le Président Macron traduira t-il en
actes concrets les promesses de son allocution du 13 avril 2020
? « Nous devons aussi savoir aider nos voisins
d’Afrique sur le plan économique en annulant massivement leurs
dettes. »
Une diaspora oubliée, des
plénipotentiaires en congé longue durée La
moitié des 1,7 millions Tunisiens qui résident à l'étranger sont
installés en France. Le Président Saïed ira à leur rencontre pour
écouter leurs doléances. Ils réclament notamment une refonte des
services consulaires débordés et l'ouverture en urgence du ciel
tunisois à la concurrence pour voyager à prix décent.
Les Tunisiens de l'étranger sont de loin les premiers touristes
dans leur propre pays par le volume des transferts d'argent.
Aujourd'hui, ils redoutent la double peine d'un confinement
frontalier qui les empêcherait de retrouver leurs familles si des
mesures de circulation exceptionnelles n'étaient pas prises dans les
prochaines semaines. Au surplus, depuis le mois de décembre,
Carthage n'a toujours pas désigné d'ambassadeur en France. Pas de
consul général à Paris non plus. La personnalité de celles ou
ceux qui seront nommés traduira le niveau de considération que
Tunis entend donner à sa relation avec Paris. Réciproquement et
dans le même temps, le profil de l'ambassadeur nouveau qui sera
accrédité à Tunis en dira tout autant sur l'importance qu'accorde
la France à la Tunisie. Enfin, la Francophonie, dont le sommet
devrait avoir lieu à Djerba à la fin de l'année, si cher au
Président Macron est un sujet de fâcherie qui ne passionne pas
les Tunisiens mais qui sera probablement traité avec tact et
diplomatie.
En
marge des réceptions officielles, le Président prendra peut-être
le temps d'une promenade à Belleville, au Mont Valérien ou au
Quartier Latin pour marcher dans les pas de Bourguiba, le plus
illustre de ses prédécesseurs, qui prenait plaisir à s'arrêter
place de la Sorbonne pour méditer quelques instants devant la
statue d'Auguste Comte où est gravée la devise que tout Chef
d'État devrait faire sienne « Vivre pour autrui »
https://www.realites.com.tn/2020/06/non-au-tre-bashing″-tarek-ben-hiba-adresse-une-lettre-ouverte-a-abdellatif-el-mekki/
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