Ben Ali, Moubarak, les cartes du château arabe s’écroulent en cascade. Les dirigeants se retournent la nuit dans leur lit. La contagion révolutionnaire sourd au Maghreb et au proche orient. Ses effets vont, probablement dans l’année, affecter le système à l’échelle planétaire mais le jour où l’Arabie Saoudite se réveillera, le monde changera.
Peu de gens connaissent l’Arabie Saoudite. Et pour cause ! Qui a lu un livre, un article ou vu un reportage à la télévision sur ce pays ? On sait que plus d’un milliard et demi de musulmans rêvent de s’y rendre pour y accomplir leur pèlerinage à La Mecque et Médine, que les princes habillés de tuniques blanches sont capricieux et généreux comme le petit Abdallah dans « Tintin au pays de l’or noir », on sait que c’est le premier exportateur de pétrole et accessoirement le premier importateur d’armes. Mais pour le reste ? En 1931, Albert Londres en reportage, nous en apprenait davantage sur le Nedj qu’une recherche sur Google aujourd’hui.
A l’abri des touristes et des journalistes occidentaux, l’Arabie vit cachée derrière un opaque rideau de pétrole. Ses habitants étouffent sous la chaleur du climat et la répression de la police religieuse, véritable inquisition qui leur impose un mode de vie monacal au nom d’un sectarisme fondé sur une interprétation insensée du Coran.
Arabie Saoudite, 28 millions d’habitants, seulement 14 millions d’âmes. Les femmes ne sont que filles de père ou mères de fils. Elles ont un statut d’incapable majeur. Tout leur est interdit : de montrer leur peau, leurs cheveux et leurs sourcils, de s’aventurer au supermarché sans être accompagnées d’un mari ou d’un tuteur dûment autorisé ; interdit de conduire une voiture, de faire du sport, de travailler dans des lieux où il y a des mâles, de voyager, de chanter, de danser, de rire… Le mariage forcé des fillettes de dix ans est valide. Les mariages provisoires (messyar) aussi.
Voici pèle mêle quelques récits rapportés par la presse locale : des gamines brulées vives dans l’incendie de leur école, d’autres noyées lors d’une baignade à la plage. Dans les deux cas, les secours ont été empêchés d’approcher par la police religieuse qui craignait un contact physique donc satanique entre fillettes et sauveteurs.
Le mois dernier, un couple fait ses courses dans une galerie commerciale. Un policier croit déceler un regard vicieux dans la meurtrière de la burqa de madame, il menace l’effrontée de son bâton, son mari, soldat dans le civil, proteste. Mal lui prit, il est menotté et rossé. A sa sortie d’hôpital 17 jours plus tard, le tribunal le condamne à 28 jours de prison et à 30 coups de fouets pour offense à un agent de la Commanderie pour la prévention du vice et la promotion de la vertu (PVPV c’est le nom officiel des moutawwa, la police religieuse). Mais le sort des saoudiennes reste enviable comparé à celui des deux millions et demi de petites bonnes à tout faire importées d’Asie dont nombre sont réduites à l’esclavage.
Lire les faits divers de la presse saoudienne donne les cauchemars d’un voyage au bout de la nuit !
Le temps en Arabie est celui des prières. On ne se donne rendez-vous qu’avant ou après l’une des cinq prières qui ponctuent la journée car à l’appel du muezzin, la vie marque une pause : Carrefour, Ikea, Pizza Hut, tous les commerces se vident, les rideaux sont tirés pour une petite heure.
Cela fait 38 ans qu’il n’y a plus de cinémas, ni de théâtres, d’opéra, de galeries d’arts, de bars, de discothèque, de radio musical, de programme de variété à la télé, pas de plage ni de restaurants mixtes, pas de music hall…J’exagère une peu car l’an dernier a eu lieu un récital de chants. Le présentateur est monté sur la scène et devant une salle pleine à craquer séparée en son milieu par un corridor de toile –les femmes voilées d’un coté, les hommes à moustaches de l’autre - il a annoncé doctement que le comité d’organisation avait décidé sous la contrainte de son plein gré, de supprimer l’orchestre et que les artistes se produiraient par conséquent à capela. Ce n’était pas une blague !
Cette vie austère favorise la consommation de drogues en tous genres et les pires dépravations sexuelles d’autant plus excitantes que leurs auteurs risquent d’avoir le cou tranché en place public. Sauf la noblesse dont les britanniques, toujours bien informés sur ces chapitres, estiment à 7 000 le nombre de princes mais sans préciser celui des princesses. Ces happy few ne sont pas concernés par les lois imposées au tiers état et aux étrangers.
La discrimination est érigée en loi. L’échelle des sujets est celle de nos lointains aïeux. D’abord les nobles, puis les riches bourgeois, les quidams aisés, les petits et enfin les misérables. Dans le pays le plus riche du monde, il y a selon le ministre des affaires sociales, 650 000 familles de 4 à 6 personnes qui vivent dans des taudis et subsistent de la charité publique. Les immigrés sont aussi catégorisés par origine : états-unienne, canadienne, australienne, européenne, musulmane arabe et asiatique et le reste. A emploi égal, il vaut mieux être Texan que Sri Lankais, le salaire est dix fois supérieur !
Au pays où le rire est suspect, la population se tait en silence. Le bâton n’est jamais loin. Les gens vivent cachés dans des maisons aux fenêtres aveugles. La télévision satellitaire (à parabole furtive) engendre une frustration permanente chez les hommes. Les chaines libanaises déversent des tombereaux de suggestions licencieuses. Même la présentatrice du journal télévisé de France 24 en arabe avec ses « cheveux lâchés » provoque de douloureux fantasmes. Que dire des photos qui circulent sur les téléphones portables ! Et des images de magazines entrés clandestinement comme Marie Claire, Elle, le Petit Echo de la Mode…!
Il y a dix ans, lorsque l’on présentait un billet de cent francs à un guichet de change, le caissier s’empressait de couvrir les seins de la Marseillaise d’un coup de feutre noir. Le passage à l’euro a déçu les banquiers lubriques !
Dès leur plus jeune âge, les enfants mâles sont séparés des femmes. Le garçonnet de cinq ans se lève avant l’aube pour suivre la prière derrière son papa. A l’école l’essentiel de son apprentissage et de son enseignement sera religieux. Aucune matière n’échappera à la prévalence de la théologie. L’endoctrinement est méthodique. La dérive fasciste est fréquente. Ainsi les gamins sont-ils invités à dénoncer les manquements à la religion de leurs parents et de leurs enseignants. Un instituteur a récemment été interpellé dans sa classe après la plainte d’un élève. Il encourt la peine de mort si le blasphème ou l’apostasie est avéré.
Sur cette terre hostile aux bêtes et aux être humains se niche pourtant un paradis : La Mecque. Là, tout est beauté, clarté et volupté. Des milliers et des milliers d’hommes, de femmes (non voilées), tous pareillement couverts de tissus blanc, chaussés d’espadrilles simples. Foule immense, lavée et pure qui avance sans voir, béate, le regard ailleurs, marmonnant la phonétique du Coran. Car la plupart ne savent pas l’arabe. La vague humaine est en majorité asiatique ce qui est normal puisque le peuple arabe n’est que la douzième partie de la communauté musulmane mondiale. La Mecque est un lieu hors du temps, hors d’Arabie, l’homme s’y découvre humain, aimant et tolérant. Les wahhabites, gardiens des lieux saints, sans doute frappés par la grâce et le soleil, tentent désespérément d’élargir le sanctuaire à l’ensemble de la péninsule voire au reste de la terre, ils rêvent même de bouter le démon hors de l’univers. Vaste programme !
En cette année 1432 de l’hégire, la dynastie des Saoud est inquiète.
Elle a du mal à convaincre ses sujets que la démocratie naissante à Tunis et au Caire est le châtiment d’Allah aux peuples qui se vautrent dans le stupre et la luxure au point de s’immoler (en islam c’est un interdit absolu). L’asile donné au général milliardaire Ben Ali n’a pas bonne presse.
En Tunisie et en Egypte le peuple s’est allié à l’armée, clé de la révolution, pour chasser la police d’un régime prédateur. En Arabie, la configuration militaire est à peine différente.
Le pouvoir est partagé entre le roi et ses deux demi-frères princes héritiers. Chacun dispose de l’allégeance d’une armée. La garde nationale au premier, les forces terre-air-mer au second, les gardes frontières, la police et les traqueurs de vice pour le troisième. Les trois octogénaires sont fatigués et dépassés. Les cours de leurs fils, petits-fils et arrières petits fils respectifs aiguisent les ambitions, ils comptent sur leurs forces de dissuasion dont aucune n’est inférieure à 150 000 hommes suréquipés. Ce paysage pacifiste, est complété en arrière plan par des dizaines de milliers de coopérants et instructeurs militaires américains.
Pour disciplinées qu'elles soient, les troupes saoudiennes ne prisent guère les batailles fratricides. La guerre du Golfe a laissé un goût amer et la récente répression du soulèvement des tribus yéménites à la frontière n’est pas un sujet de gloire. Il est improbable que l’armée se laisse entrainer dans une guerre des princes ou des provinces.
Reste la police religieuse, véritable milice de l’obscurantisme, elle est haïe par les jeunes, mais soutenue par une partie fanatisée de la population. Pourtant, à la faveur d’un drame médiatisé comme ce fut le cas en Tunisie le peuple pourrait bien se soulever en masse.
La rue saoudienne, il est vrai, n’est pas faite pour marcher mais pour rouler, nul ne s’y risque jamais à part les travailleurs immigrés. Ils sont 7 millions, dont un million d’Egyptiens désormais voués à toutes les suspicions. Mais inlassablement, cinq fois par jour, les salles de prières sont obligatoirement pleines, alors faute de réformes aujourd’hui, la révolution arabienne pourrait bien demain s’inviter à la sortie des mosquées et libérer les enfants du prophète de l’inquisition.
Barack Hussein Obama aura-t-il pour la rue saoudienne le même langage encourageant qu’il a tenu aux Tunisiens et aux Egyptiens ? C’est une tout autre histoire !
En 1945 au retour de Yalta, Roosevelt avait reçu à bord du croiseur Quincy à l’ancre au large d’Alexandrie, le roi Abel Aziz Ibn Saoud fondateur du Royaume d’Arabie. Le coup de foudre fut immédiat entre le président madré et le souverain bédouin. L’américain paraplégique avait offert à son hôte qui boitait un fauteuil roulant semblable au sien afin de pouvoir évoluer de conserve sur le pont du navire. Il lui fit découvrir le cinéma, la TSF, le téléphone, le hamburger et les oignons frits, Ibn Saoud raconta l’islam et la Palestine, les chameaux et les faucons, la faim et la soif de son peuple gêné par les flaques de cambouis parsemant le désert. Les deux compères décidèrent que désormais, l’Amérique protègerait le royaume des Saoud contre toutes menaces extérieures sans jamais se mêler de ses affaires intérieures ; en contrepartie, l’Arabie partagerait l’exploitation de son pétrole jusqu’à la fin des temps. Ils se touchèrent la main. Le pacte du Quincy était scellé. Le choc des civilisations entraina une alliance sans faille qui ne sera jamais transgressé, pas même le 11/09 sinistre jour de gloire des terroristes saoudiens.
Mais la semaine dernière, quelques heures seulement avant la démission de Moubarak, le roi Abdallah d’Arabie aurait échangé au téléphone des mots de colère avec Obama. Le pacte du Quincy a-t-il du plomb dans l’aile ?
Tout sépare le jeune Président progressiste qui sait l’islam du monarque octogénaire incapable de tweeter. Les wahhabites, alliés inconditionnels des Bush n’ont plus l’oreille bienveillante de Washington. Pourtant aucun observateur ne scénarise une prochaine insurrection du peuple d’Arabie. Pourquoi et par quel antidote la saoudie échapperait-elle à la crise systémique ?
Lorsque Barack Hussein Obama dans son discours du Caire de Juin 2009 avait promis de se tenir aux côtés des peuples arabes qui lutteraient pour leur démocratie,
un anonyme dans la salle s’était levé pour lui crier « on vous aime ! »
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