dimanche 13 février 2011

Carte postale de La Marsa

Le ciel en Tunisie est d’une beauté incomparable. Surtout en hiver. Les nuages blancs, gris ou sombres jouent avec le soleil révélant des pans de ciel d’un bleu éblouissant.
En ce 18ème jour de révolution, la petite cité balnéaire de La Marsa a repris son rythme nonchalant mais la population habituellement insouciante est intriguée par la disparition soudaine de centaines de tuniques blanches et bleues qui décoraient depuis des lustres, les rues de la coquette banlieue de Tunis. Hier, l’agent de ville du rond point de la gare a bien tenté de prendre son service pour réguler la circulation, il en a vite été dissuadé par le vacarme des klacsons et les hurlements des passants « dégage ! » Il a filé vers la plage où une bande de collégiens hilares ne lui ont laissé que son caleçon.
Sur la corniche, une voiture pie qui s’était hasardée a été prise en chasse par d’anciens bakchichés. Le conducteur eut la malencontreuse idée d’actionner son gyrophare et sa sirène provoquant aussitôt un barrage d’automobilistes qui arraisonnèrent les fuyards avant leur passer les joyeuses au cirage. Depuis, ni pandores ni flics ni indics à 15, 20 et 30 dinars ne montrent le bout de leur nez.
Les marsaouis, gens policés ne veulent plus de policiers.

Au carrefour de Sidi Bey, il y a un char énorme et rassurant. L’engin est briqué comme au sortir du garage, le canon est ficelé dans un cache poussière. Devant le tank, une sentinelle. C’est la plus belle de La Marsa. Un sourire éclatant de fossettes, des yeux de bonheur, une queue de cheval brune échappée de son calot, c’est une figurine de mode chaussée de rangers, elle porte avec élégance un ensemble treillis kaki du plus bel effet. Les passants lui lancent des compliments et des mots de miel, elle hoche la tête et rit en serrant sur sa poitrine un redoutable fusil mitrailleur. L’adjudante est de faction douze heures durant. Six cent vingt minutes de fierté et de bonheur non dissimulés. On lui porte des fleurs, des friandises. Une dame s’est assise non loin sur un pliant portant sur les genoux un transistor qu’elle feint d’écouter mais c’est pour distraire la soldate. Un gavroche badigeonne à la chaux la bordure du trottoir sous le regard de belle lella joundiya.

Devant l’hôpital un petit groupe manifeste bruyamment. Une famille éplorée accuse les médecins d’avoir négligé de soigner convenablement une vielle dame terrassée par un cri du cœur. Des infirmiers invoquent les limites de la science, une dévote en hijab rappelle la miséricorde d’Allah… Refusant la fatalité la foule cherche des responsables corrompus à rosser. Mais il y en a tant ! Tout est question de mesure raisonne un monsieur dont les nobles pensées sont au chaud sous une chéchia. « Le petit volait car il était rançonné par le gros qui payait tribut à la famille du grand prédateur… » Il faut s’en prendre aux marchands de sang et d’organes, aux rouleurs en Ferrari, aux noyés au champagne de France, pas au personnel médical ! « On devrait mettre tous les flics en prison» lance un quidam pour faire diversion. Un compère propose plutôt de les déporter vers le désert de Libye. Tout le monde approuve bruyamment. Un poète facétieux se plait à imaginer que les policiers-voyous tunisiens seront demain rejoints par les moukhabarat d’Egypte, par ceux du Yémen, de Saoudie…pour former la Jamahiria des Bouliciya dont ils n’auront plus le droit de sortir.
Applaudissements et youyous « yahya Tounis ! »

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