Sur la plage déserte de Gammarth je confesse avoir planté une chaise longue.
Puis, pour ne pas réveiller la mer, j’ai calé mes soupirs au rythme de son clapot. Un éclat de soleil s’attarde sur ma tempe, le sable joue avec mes petits doigts…le pied ! Les yeux clos je repense à ma fuite devant l’interminable hiver gris et glacé. Le bonheur c’est simple comme un avion. En deux heures on change de saison.
Coïncidence du calendrier en cette belle journée d’hiver on célèbre l’anniversaire de la naissance du Prophète Mohamed. Par la même occasion on fête aussi quatorze siècles de chamailleries chariatiques entre tenants et opposants à la commémoration de l’événement. Cette polémique stérile alimentée par les dernières fatwas télé-satellitaires est superbement ignorée du peuple carthaginois capable de transiger sur tout sauf sur sa légendaire gourmandise. Car le jour du Prophète est celui de la traditionnelle Assida au zgougou. Il s’agit d’une crème à base de graines de pignons de pin laborieusement élaborée selon des recettes transmises de mère en fille depuis la nuit des omeyyades. Pendant huit jours, les familles s’échangent des saladiers entiers de cette incomparable douceur dont il existe des variantes à la noisette ou aux pistaches. On goûte, on compare, on s’extasie, on se pâme, on en reprend, on s’empâte avec ferveur. Cette semaine est celle de la douceur et de l’embonpoint, elle est sacrée ; même les grévistes de la faim marquent une pause.
Voila pourquoi, à l’écart des tentations de l’entremets je digère en soupirant.
Le lendemain m’attire vers la médina. C’est la plus belle du monde. Elle exhale tout le raffinement de neuf siècles de savoir vivre arabo-andalou. Par bonheur les nouveaux riches et les bourgeois l’on délaissée, ils sont partis habiter d’hideuses villas ou des cases superposées dans des quartiers sans âmes aux rues tracées pour leur 4X4. Par bonheur encore, les touristes ne s’aventurent pas au-delà du souk de la rue de l’Eglise, face à la porte de France. Par bonheur enfin depuis quarante ans, un petit groupe d’urbanistes et d’architectes passionnés œuvrent à sa conservation. Je musarde dans les ruelles, rêvassant, à la quête de souvenirs d’enfant. Je crois reconnaitre le muret contre lequel on jouait avec des noyaux d’abricots. Mon manège intrigue les habitants qui d’abord me prennent pour un étranger égaré. Une brave dame me soumet à un interrogatoire serré. Me voilà reconnu comme le fils, petit fils, arrière petit fils, arrière-arrière petit fils du quartier. On m’invite en invoquant le tout puissant. Impossible de se dérober. Chaque maison m’accueille avec un bol d’Assida.
Je finis par m’évader le ventre lourd et le cœur léger.
Derrière la grande mosquée, dans une petite librairie déserte je m’assois sur un tabouret en dégustant le thé du visiteur. Je prends un Mohamed Talbi. Ce grand savant n’est pas édité en France. Il expose que seuls le Coran et la sunna obligent. La charia est « incohérente, obsolète », elle exalte la rudimentarité et la laideur, elle abhorre les femmes ». L’islam n’est pas voile, il est culte proclame encore le vieil érudit dans un épais volume d’islamologie. Sur un présentoir, un petit bouquin orange attire ma main. J’ouvre au hasard « Il est des gens nés dans la tendresse. Faits pour les caresses. Des vies dont les pires nuits sont éclairées. D’autres naissent dans la tristesse. Dans la détresse. Nul ne se dérobera à son destin… » J’emporte le livre de Hassib Knani « Mes Voisins » qu’avidement je lis assis sur la margelle de la fontaine de la place de la Kasba. C’est truculent et subtile. L’écriture est majestueuse. Mon temps s’arrête comme chaque fois que je tombe amoureux d’amour d’un livre. A la dernière page, je rêve : « allo Gallimard, Grasset, Seuil, vite appelez les éditions Sahar à Carthage ! » mais les jeux d’un groupe d’enfants me réveillent.
La tête dans les étoiles, je retourne à ma chaise longue d’où j’écris ce billet.
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