lundi 7 juin 2010

Marchands de bidons

Nous sommes le troisième marchand d’armes du monde. Avions, navires, chars, missiles, satellites made in France sont parmi les plus redoutables. Mais cette position dominante qui nous confère une influence stratégique sur nos clients est en train de décliner au bénéfice de l’Inde, de l’Afrique du Sud, d’Israël voire du Brésil et de la Belgique. Les pacifistes s’en réjouiront et les économistes s’en consoleront car après tout ce secteur est moins rentable que celui de nos exportations de vin et de spiritueux qui de surcroît font davantage de victimes que nos startrons.
Le strartron étant comme chacun l’a oublié une arme bidon vendue jadis par des escrocs à des Libyens naïfs qui acquirent des containers de tuyaux de plomberie pour quelques millions de dollars.

Dans le commerce des armes comme dans celui des fruits et légumes et du poisson, il y a des intermédiaires qui s’en mettent plein les poches. Comme personne ne connait le prix d’un tank, objet introuvable sur e-bay, il est facile de faire valser les étiquettes. Et puis c’est comme chez Dacia, les options font grimper l’addition.
Heureusement, les transactions d’armements sont étroitement surveillées par des officiers et des hauts fonctionnaires aussi conciliants que mon contrôleur des impôts. Certes ils obéissent aux ordres du pouvoir, mais ils entassent méthodiquement dans des armoires fortes des secrets qui se transformeront avec le temps en redoutables startrons que les stratèges imberbes des états major politiques exhumeront à mauvais escient pour « tuer » l’adversaire du parti d’en face. De ces combats d’initiés, les victimes sont toujours innocentes, collatérales et gauloises.

La remarquable enquête d’Arfi et Lhomme « Le contrat, Karachi… » est inquiétante.

D’évidence les auteurs n’ont pas appris grand chose, c’est pourquoi ils échafaudent des hypothèses. L’une d’entre elles conclut que l’attentat de Karachi avait pour objectif de contraindre l’Etat français à honorer ses promesses de FCE (frais commerciaux extérieurs) suite à la vente de sous-marins au Pakistan. Et les auteurs de renchérir avec une autre improbabilité, celle liée à la vente de frégates furtives à l’Arabie.

En attendant, à Cherbourg, les familles des victimes résistent à la raison d’Etat, elles réclament la vérité. Quelques parlementaires les accompagnent.
Peut-on croire que l’on a assassiné des innocents pour une exportation qui a mal tourné ? Il n’y a que la mafia qui tue pour ces motifs. Cette histoire est celle des pots de terre contre des pots de vin. La justice est sans illusion.

Corruption, chantage, copinage, forfaiture, au gré des interviews les auteurs vident les poubelles de la république. On découvre des politiciens roublards, des intermédiaires mythomanes, des barbouzes pousse-mégots, des généraux et des hauts fonctionnaires à contre-emploi ; tout un petit monde d’incompétents arrogants.

Le bakchich est un usage imposé par le client dit-on, il servirait aussi parfois à maquiller des rétros commissions. Mais alors, qui du vendeur ou de l’acheteur est le plus corrompu ? Le bouquin n’apporte pas de réponse mais ouvre en grand la porte de la suspicion. C’est malodorant.

Il manque au livre un épilogue :
Attendez-vous à savoir que le roi dont le pays absorbe les bonnes années le tiers des exportations françaises d’armement, viendra à Paris en juillet prochain pour inaugurer une exposition au Louvre. Le doyen des souverains surnommé par son peuple « Le Roi de l’Humanité » assistera peut-être au défilé du 14 juillet. A contre cœur sans doute car cet amateur d’histoire, joueur de pétanque n’est pas un va t’en guerre, il préfère la montgolfière au Rafale. Il y a des lunes, alors prince héritier, il avait dépêché auprès des industriels une princesse qui leur tint à peu près ce langage : « Mon pays a changé. Pourtant, vos méthodes restent les mêmes. Au lieu de proposer des pots de limonades exorbitants pour nous vendre vos engins, financez plutôt un hôpital pour enfants ; nous vous en serons reconnaissants » Manquant de perspicacité, les douze machos ont ricané.
Dans ce milieu, on ne croit pas facilement aux contes de fée !

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