Inlassablement, depuis sept ans, l'auteur de ces lignes dénonce l'obscurantisme du royaume d'Arabie. Mais il faut reconnaître que depuis la confiscation de tous les pouvoirs par Mohamed ben Salman, une petite lumière ne cesse de grandir au point d'éclairer aujourd'hui d'un jour nouveau le destin de la péninsule arabe. Par l'argent, la guerre et la terreur, le Prince héritier conduit une révolution à marche forcée dont l'un des objectifs proclamés est de rompre avec l'idéologie salafiste : « ... nous n'allons pas gâcher nos 30 prochaines années à partager des idées destructrices...nous voulons revenir à un islam modéré ouvert à toutes les religions...nous voulons vivre une vie normal » Discours du 24 octobre 2017.
Applaudissons ces belles paroles, - même si elles sont fortement inspirées par Donald Trump - car elles annoncent peut-être le déclin du wahhabisme.
Jusqu'à samedi dernier, l'ambition du jeune Prince de dominer le monde musulman n'était pas prise au sérieux. C'est chose faite. Le dernier épisode de l'épopée bonapartienne de Mohamed Ben Salman façon 18 Brumaire s'est déroulée selon la règle des trois unités « qu'en un lieu en un jour, un seul fait accompli tienne le théâtre rempli ». En attendant de décrypter et d'analyser les tenants de ce qui s'est réellement passé ce 4 novembre 2017 en Arabie Saoudite, il faut se contenter de décrire le spectacle de l'enchainement des faits.
Acte I
Le Premier ministre du Liban Saad Hariri, en voyage à Riyad, apparaît à la télévision saoudienne. Il est blême. Comme un ventriloque, il lit du bout des lèvres une déclaration alambiquée dans laquelle il annonce sa démission au motif qu'il craint pour sa vie. C'est une première dans les annales de la diplomatie internationale ! Jamais le dirigeant d'une démocratie souveraine, n'avait annoncé depuis l'étranger qu'il abandonnait le pouvoir dans son pays ! Les libanais humiliés se frottent les yeux. C'est une prise d'otage !
Changement de décor
Dans la soirée, un missile balistique contré par la défense saoudienne déclenche une terrifiante féerie dans la banlieue de Riyad. Des débris pleuvent sur le parking de l'aéroport international. Les habitants de la capitale qui se croyaient hors d'atteinte de toute riposte du voisin affamé et méthodiquement bombardé depuis mars 2015, sont sidérés. La population est inquiète, chacun se demande si « la démission » d'Hariri et l'attaque du Yémen ne sont pas les signes avant coureur d'une guerre générale. Ceux qui en ont les moyens songent à prendre la poudre d'escampette. La panique gagne la jet set quand elle apprend que l'aéroport privé est fermé et qu'aucun avion d'affaire n'est autorisé à décoller.
Acte II
La nuit était avancée lorsque le Palais publia quatre décrets qui firent l'effet d'autant de bombes : le Prince Miteb, fils de l'ancien roi Abdallah, ministre de la puissante Garde Nationale était limogé. Le ministre de l'économie aussi. Le Chef d'Etat Major de la marine pareillement. Enfin, le Prince héritier Ben Salman s'attribuait la charge de présider un comité « de salut public » doté de tous pouvoirs pour lutter contre la corruption.
Acte III
Après un court entracte, on apprenait l'incarcération au Ritz-Carlton (transformé en Bastille) des principaux magnats du patronat saoudien : Prince al Waleed, Cheikh Saleh Kamel, Mohamed Al Amoudi, Bakr Ben Laden... une dizaine d'Altesses Royale, une trentaine d'hommes d'affaires de premier plan et des centaines de moindre rang.
Un complot déjoué
Les places boursières dégringolent et le cour du baril prend de la hauteur. Sur les réseaux sociaux, l'opinion est partagée entre inquiétude et jubilation. Les interpellés sont accusés de prévarication. Mais en Arabie Saoudite où la corruption est une seconde religion, cette incrimination est une fable qui ne trompe personne. Il s'agit assurément d'un complot déjoué de magistrale façon. Les conjurateurs avaient-ils formé quelques projets concrets ? Nul ne le sait. Peut-être ont-ils été seulement trahis par leurs mauvaises pensées ; ce qui suffirait à les sabrer. Tous étaient des sujets discrets. Ils n'applaudissaient que du bout des doigts. Ils montraient de de la mauvaise volonté à adhérer aux programmes royaux « vision 2030 » et « Neom » ; ils n'étaient pas partisans de la guerre sans fin avec le Yémen, ni de la tension sans issue avec le Qatar et l'Iran ; enfin, ils affichaient une sincère et égale antipathie pour Trump et Netanyahu. Gonflés de la puissance de leur fortune, ils n'ont pas perçu la menace. Ils se sentaient à l'abri de toute violence. Ainsi, le Prince Miteb, dont la famille commandait depuis trois générations l'armée de l'élite bédouine, se croyait protégé par les guerriers de sa tribu encadrés par les experts de la société militaire américaine privée Vinnell. Tout comme le Prince Waleed ben Talal et ses richissimes acolytes qui entretenaient à grand frais une légion d'informateurs et de gardes du corps. Comment ont-ils pu être surpris dans leur bunker sécurisé et interpellés sans coup férir ?
Cette opération qui a exigée le déploiement d'une logistique secrète complexe démontre la toute puissance du Prince ben Salman. S'est-il constitué une garde prétorienne ? Est-il parvenu a obtenir le ralliement de forces de l'armée, de la police et des renseignements qui hier encore lui étaient hostiles ? En quelques heures, le Bonaparte d'Arabie a prouvé que nul puissant ou misérable n'était hors d'atteinte de la pointe de son sabre. Et pour compléter l'avertissement, au petit matin, un hélicoptère s'est opportunément écrasé avec à son bord une Altesse qui avait eu l'audace de voler.
Après cette « nuit des longs couteaux » et l'échec de « la conjuration des imbéciles », Trump a sentencieusement tweeté : « les Salman savent ce qu'ils font....ils (les milliardaires) saignaient leur pays, » Pour la première fois depuis la naissance de la dynastie des Saoud, un jeune monarque qui n'est pas encore roi détient sans partage ni compromis le pouvoir absolu. Et si au delà du mandat de son ami Donald, Allah et la Maison Blanche lui prêtent vie, il sera l'un des hommes les plus puissant de la planète pour les 50 prochaines années.
L'opportunisme de Macron
Embarrassée, la diplomatie française joue serrée car après avoir systématiquement (sous Hollande) misée sur le mauvais cheval arabe, elle cherche à se racheter une bonne conduite orientale tout en évitant d'incommoder la Maison Blanche. Au plan économique, le complot déjoué de Riyad risque de mouiller des intérêts français autrement plus sensibles que ceux de l'hôtellerie parisienne de luxe car ironie du sort, les propriétaires saoudiens du Georges V et de l'hôtel de Crillon se retrouvent encabanés au Ritz de Riyad !
Pour une fois Paris paraît jouer collectif. Fin octobre Nicolas Sarkozy était en Arabie au prétexte de participer à un forum du gotha de la finance internationale. À la tribune, l'ancien Président a dit tout le bien qu'il pensait de la Russie et le peu de mal qu'il pensait de l'Iran. Il a ensuite été reçu très protocolairement par le roi. L'Élysée avait sans doute adoubé cette mission « sherpa » destinée à préparer le voyage « inopiné » d'Emmanuel Macron. Le Président français qui n'ignore pas les liens quasi fusionnels entre le Prince héritier Salman d'Arabie et le Sheikh Mohamed Al Nahyan le fils du fondateur des Emirats Arabes Unis, a profité de ses conseils lors de l'inauguration du Louvre d'Abu Dhabi avant de s'envoler vers l'Arabie voisine où il s'est brièvement entretenu avec le nouveau Napoléon d'Arabie. De là à penser que Macron a sauvé la paix dans la région, il n'y a qu'un pas que seul Trump pourrait empêcher de franchir.
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