L'un
d'entre eux, Sami Kurda a raconté sa descente aux enfers. «
Le Complot de Barraket Essahel » publié aux Sud éditions est un
coup de poing à l'estomac qui donne envie de donner l'accolade
à l'auteur.
En
mai1991 des arrestations se succèdent au sein de l'armée. «
non pas moi ! » pense le jeune Commandant « je n’ai
strictement rien à me reprocher » Il avait tort.
Livré à
la police politique, il sera ignominieusement torturé.
Son
livre est le récit méthodique de ses souffrances et de celles de
ses codétenus. Mais contrairement aux témoignages habituels du
genre, l’homme ne
fait pas
le fier, il relate avec sincérité ses terreurs et ses lâchetés.
Craignant la douleur, il confesse qu'il espérait la mort. Alors
qu'on lui demandait la liste de ses complices, il suppliait ses
bourreaux : « aidez-moi, mettez-moi sur la
voie ! »
Un tortionnaire lui souffle la première lettre d'un patronyme à
deviner. Aussitôt la boule de chair cherche désespérément des
noms à livrer. Il avoue tout ce qu’on lui demande,
il signe sans
ouvrir les yeux. Enfin, on le laisse gémir en paix. Une nuit, le
Général-Président de la République
fait une ronde pour s’assurer du sanglant de ses ordres.
Après
avoir taillé dans les chairs pendant quatre semaines, les
tortionnaires imbéciles finissent par se rendre à l'évidence des
invraisemblances : l'affaire est bidon. Le ministre de
l'intérieur de l'époque Abdallah Kallel regroupe les officiers dont
certains doivent être portés, il bafouille des regrets aux
innocentés qui sont pansés avant d'être libérés
puis très vite révoqués
sous des prétextes divers.
Commence
alors pour ces handicapés dépouillés
de
leurs uniformes une vie de paria « nous avions quitté les
murs du pénitencier pour nous retrouver dans une prison à ciel
ouvert ». Privés
de carte d'identité et donc de toute capacité citoyenne
élémentaire : travailler, se soigner, conduire une voiture,
ouvrir un compte en banque, payer son électricité, à chaque
contrôle de police commissariat assuré, surveillance du domicile,
écoutes téléphoniques, perquisitions nocturnes intempestives....
20 ans de brimades incessantes !
L'inespérée
Révolution de janvier 2011 est une délivrance.
Enfin,
les bataillons de martyrs peuvent réclamer justice. Mais l'enquête
à peine ouverte est très vite refermée car les bourreaux d'hier
sont encore puissants aujourd'hui. Les condamnation à des peines
légères sont vite purgées. Qu'importe, les victimes s'organisent
en association et réclament leur réhabilitation.
C'est
chose faite.
Jeudi
dernier, sous les ors de la grande salle du Palais de Carthage, le
Président de la République Moncef Marzouki (ancien Président de la
Ligue tunisienne des droits de l'Homme) a rassemblé les rescapés et
leurs familles.
Au
premier rang, au coté du ministre de la défense, sur une chaise
vide, la casquette du regretté Colonel Mohsen Kaabi : 54 jours
de torture, deux décennies de persécutions administratives et
policières. Cérémonie émouvante ponctuée d'hymnes et de youyous.
Défilés des officiers réintégrés
dans leur grade et leur honneur. Discours sobre et digne de leur
porte parole le Colonel Major Mohamed Ahmed.
Le
dénouement de cette affaire marque l'Histoire de l'armée tunisienne
d'un nouveau jalon tout à son honneur.
Car
discrètement mais avec détermination la petite armée n' a de cesse
d'afficher l'exemple de ses vertus républicaines. Chacun se souvient
qu'elle déclinât le pouvoir au matin de la révolution alors que la
foule de la Kasbah l'y invitait. Ensuite, tous les officiers nommés
à des responsabilités civiles se sont spontanément effacés
refusant les prébendes des hommes politiques qui voulaient les
instrumentaliser.
Depuis,
l'armée tunisienne se consacre entièrement à la préservation de
l'intégrité du territoire : contenir la folie meurtrière
contagieuse de la Libye, coopérer avec l'Algérie pour combattre les
trafiquants-tueurs d'Acmi, repêcher les corps des naufragés de
l'immigration vers Lampedusa... Ce n'est pas rien ! Les défis
sont immenses, les moyens dérisoires, l'aide internationale timide.
La
grande muette assume, elle encaisse en silence. Inlassablement, elle
enterre ses morts, victimes de souricières terroristes.
Principale
bouc émissaire de la dictature d'hier, l'armée tunisienne paye
aujourd'hui le plus lourd tribut
à la révolution dont elle est devenue
de facto la plus populaire des gardiennes.
L'épilogue
de l'affaire du faux complot Barraket Essahel montre que les
officiers tunisiens sont des républicains discrets
qui
n'oublient rien.
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