Ce qui se passe en Mésopotamie n'est pas anodin et risque de bouleverser la marche du siècle. La proclamation du Califat à Mossoul n'est pas une péripétie bouffonne des guerres levantines, c'est la victoire du terrorisme transnational. Le drapeau d'Al Qaïda flotte désormais sur un territoire dont les frontières -provisoires- englobent le tiers de la surface de l'Irak et de la Syrie.
C'est
stupéfiant.
Les
échos de la réalité sur le terrain montrent l'incroyable
complexité d'une situation qu'il est difficile d'échographier.
Pourquoi
Mossoul est tombée
?
Quelle
menace représente cet autoproclamé Calife ?
L'Irak
n'est pas seulement un champ de pétrole, c'est aussi l'habitat d'une
mosaïque de peuples de 36 millions d'âmes dont la violence est
attisée par l'étranger qui depuis plus d'un siècle veut le voler.
Mais au delà de leurs querelles intestines ancestrales, les Irakiens
restent soudés par le partage d'une haine commune envers tous ceux
qui sont venus les combattre sur leur sol.
Les
guerres du Golfe, la résistance contre les forces occupantes et
leurs mercenaires ont saigné des centaines de milliers de civils.
Depuis trente ans l'interminable cauchemar perdure. Le peuple jadis
le plus riche et le plus développé des arabes a dégringolé en
l'espace de deux décennies au stade de la rapine et de la mendicité
façon Mad Max. Il subsiste par la rage de sa fierté car au fond de
lui même, il
demeure babyloniens, abbassides, nationalistes panarabes, glorieux
d'épopées chiites, sunnites, chrétiennes, païennes, de compromis
et d'armistices.
La
proclamation sans résistance du Califat du Levant résulte de la
lassitude de leur l'Histoire.
Alors,
tout plutôt que les bombes !
Les
nostalgiques du Baath adhèrent, les tribus sunnites applaudissent,
les populations tellement meurtries par le régime de terreur
« démocratique » fantoche de Bagdad espèrent le
retour de la dictature du pain. C'est sans doute pourquoi, sans coup
férir, le nouveau Calife a conquis Mossoul
seconde ville d'Irak, seconde garnison, second arsenal, clé du
pétrole et de l'eau...Ce n'est par rien !
La
prise de Mossoul est une énigme. Les stratèges des académies
militaires n''expliquent pas comment une bande de 800 à 3 000
jihadistes ont pu vaincre six brigades : blindés, commandos
héliportée et infanterie. En tout trente mille hommes ! Pire,
il semblerait que
l'armée irakienne forte de 270 000 conscrits et dont le budget
annuel engloutit
17 milliards de dollars ait été incapable d'esquisser la moindre
riposte. Les défenseurs de Mossoul n'ont pas tenu plus de trois
jours. Le Général divisionnaire commandant
la place a déserté avec son état-major au complet. On rapporte que
la plupart des soldats des garnisons et ceux accourus en renfort ont,
crosse en l'air,
fait allégeance aux insurgés. Cette débâcle sans précédent dans
les annales militaires atteste de l'effondrement total de l'Etat
irakien
et de l'adhésion de la population à la partition de l'Irak.
D'évidence,
Mossoul était promise avant d'être conquise.
Devant
les cortèges de Toyota blanches surmontées
de mitrailleuses, toutes les portes de la ville se sont ouvertes. La
police s'est évanouie. Le gouverneur et tous les
hauts fonctionnaires ont fui , immédiatement remplacés par des
baathistes expérimentés.
En deux semaines ils ont rétabli l'eau et l'électricité, remis en
ordre de marche les services publics. Ce
qui dénote une organisation structurée et préparée qui dispose
d'une capacité de gouvernance.
« Si
ça continue comme ça, nous allons aimer le
Califat ! » a lancé un habitant à l'un des rares
journalistes étrangers.
Dans
toutes les capitales, les jihadistologues se perdent en conjecture
pour tenter de comprendre la stratégie de ce prêcheur inconnu qui
depuis Mossoul, un vendredi de ramadan, est
venu les perturber durant la coupe du monde de football.
Qui
est cet autoproclamé chef suprême des mohametants ?
Awad
Ibrahim Ali Badri, entré en guerre de religion sous le pseudonyme d'Abu Bakr al Baghdadi al Husseini al Quraychi (que l'on ne tardera
pas a acronymer ABABA), est un salafiste d'une quarantaine d'années
dont la carrière de jihadiste a commencé sous Saddam Hussein. Il a
ensuite été arrêté par l'armée américaine qui l'a libéré
quatre ans plus tard en 2009 sans doute pour repentir et bonne
conduite.
A
la tête d'une petite troupe bien entrainée d'origine hétéroclite
affiliée à
Al Qaïda, il a gagné en audience au fur et à mesure de ses
exploits sanglants en Irak puis en Syrie. Sa notoriété lui a valu
une mise à prix de dix millions de dollars par les
Américains.
Par média interposé après avoir créé « l'Etat islamique
d'Irak (ISI en anglais) » il a fondé « l'Etat
islamique
d'Irak et du Levant (ISIS)», élargissant ainsi ses prétentions
territoriales au Liban et à la Syrie, avant de s'autoproclamer
Calife et annexer putativement la Jordanie, les Etats du Golfe et
cela va sans dire, l'Arabie Saoudite, les Emirats et le Yemen. Le
reste du monde
musulman suivra. L'homme
qui est un super pro de la communication a les moyens de son
ambition. Déjà, son exploit de Mossoul lui vaut le ralliement en
cascade de toutes les factions jihadistes. Sa petite troupe de
quelques milliers d'hommes est en passe de se muter en armée
puissante et organisée.
On
prétend qu'il dispose d'une cassette de deux milliards de dollars,
ce qui est possible. Ce magot abondamment alimenté par des services
secrets saoudiens -mais pas seulement- qui pensaient l'acheter a été
relayé par des milliardaires fascistes orientaux.
Aujourd'hui,
le calife dispose d'un butin considérable car il assure désormais
la « sécurité » des puits de pétrole de la province de
Ninive, de quelques pipelines et de la principale raffinerie d'Irak.
Mais le plus important : il contrôle la plupart des grands
barrages de l'Euphrate et du Tigre en amont de Bagdad. Ce qui le met
à l'abri du besoin et en posture de négociation avantageuse avec
ses voisins.
L'identité
d'emprunt qui est affichée par el Calife ( en arabe le successeur)
emporte usurpation de légitimité. Abu Bakr al Baghdadi al Husseini
al Quraychi.
Abu
Bakr est
le prénom du premier Calife en 632, c'était le plus fidèle
compagnon de Mohamed, il repose aux
côtés
de la tombe du prophète à Médine.
Baghdadi,
celui qui est de Bagdad, évoque la lignée des califes Abbassides
(descendants de
Abbas, l'oncle de Mohamed)
Husseini,
évoque le martyre du petit fils du Prophète, tombé en 680 à
Kerbela en Irak, adulé des chiites.
Accessoirement,
Husseini est aussi une noble lignée de résistants palestiniens, ce
qui ne gâte pas la nouvelle carte de visite du roturier Calife !
Quraych,
famille apparentée à l'envoyé d'Allah. Le Coran lui consacre une
courte sourate, c'est le patronyme le plus
vénéré des musulmans. Un mouhaddith rapporte que le Messager de
Dieu aurait proclamé que le califat restera parmi les Quraych même
lorsqu'il ne restera plus que deux personnes sur terre.
Vu
de Washington et des capitales européennes, Mossoul est loin. Le
cours du baril de pétrole n'a presque pas bougé. Alors rien de
grave ! Un nouveau Ben Laden est sorti du chapeau ? C'est
de la routine ! Du moment qu'il reste confiné en Mésopotamie à
porté du Hellfire des drones...
Toutefois, par précaution et dans l'éventualité d'une évacuation
de ses ressortissants, les USA ont envoyé un porte avion dans les
eaux du Golfe et ils ont renforcé leurs bunkers sur zone.
On
est en juillet, Paris, Rome, Londres et Berlin sont à la plage. Il
sera bien temps en septembre de démêler cette inextricable écheveau
de ficelles à marionnettes.
Les
Saoudiens
eux, ont carrément paniqué. La cour qui estivait au Maroc est
rentrée précipitamment. Sur le chemin du retour, le roi Abdallah
s'est arrêté au Caire pour louer des hommes de troupe au Maréchal
Sissi. Car en Arabie où aucun citoyen
saoudien
ne saurait être simple soldat, le monarque a grand besoin de
mercenaires frais. D'autant qu'il a décidé de masser 30 000 hommes
supplémentaires le long de sa frontière fortifiée avec le nouveau
Califat d'Irak. Il s'agit de veiller au pied d'un mur de sept mètres
de haut, long de 900 kilomètres, truffé de systèmes de mise à feu
électroniques sophistiqués.
Pour
autant, le vieux monarque n'est pas rassuré. Il se sent abandonné
par la communauté internationale qui s'accommode de la mise à la
corbeille des accords frontaliers Sykes- Picot de 1916 et du pacte
US-Saoud du Quincy de 1945. Le roi d'Arabie constate que les factions
jihadistes de la coalition combattante en Syrie font allégeance au
nouveau Calife de Mossoul et que « L'armée de Mohamed »
qu'il a financée
jusqu'à l'an dernier à coup de milliards pour éliminer Bachar
el-Assad risque de se retourner contre sa dynastie pour permettre au
jeune Calife Abu Bakr al Bagdadi al Husseini al Quraych de lui ravir son trône de
Gardien des lieux Saints.
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