C’est un espace ignoré du sens commun.
Pourtant la mer arabe n’est pas un mirage mais une évidence géographique.
Tous les pays arabes sans exception ont une façade maritime, parfois même deux : le Maroc ouvre sur l’Atlantique et la Méditerranée ; l’Egypte sur la grande bleue et la Mer Rouge, l’Arabie sur la Mer Rouge et le Golfe Persique.
Et aussi la Palestine avec Gaza entre mers… mortes.
Bahrein signifie « deux mers ».
Pour l’Occidental l’arabe est bédouin, jamais marin.
Mais l’Oriental se regarde de la même façon. Sans doute sous l’influence de l’islam, a t-il enraciné dans sa mémoire le saint voyage aride de La Mecque à Médine ? Le coran cite furtivement la mer des perles et celle du corail.
Aujourd’hui, la notoriété du marin arabe, pourtant précurseur incontesté de la cartographie et voyageur depuis la nuit des temps, ne dépasse pas celle du canotier suisse. C’est injuste car nul navigateur amateur n’oserait affronter les terribles tempêtes de Socotra au Yémen ni rallier les côtes de Somalie depuis le Golfe du Bengale sur un boutre chargé jusqu’au mat de quatre cents tonnes de bric-à-brac. Les raïs de ces lourds voiliers calfatés à la filasse et au goudron (al katran) sont pourtant en audace les égaux des pêcheurs d’Iroise. Ils sont « émirs el bahr » rois de la mer, origine du mot amiral, titre complaisamment abandonné aux admirateurs envahissants.
Pour se convaincre des talents ataviques des marins maures, il suffit de mesurer l’exploit des pirates de la Corne d’Afrique dont les coquilles de noix s’aventurent à des journées de large pour aborder aux grappins des navires gigantesques au nez et à la barbe d’une armada de frégates et de corvettes.
La légende du chamelier Abdallah le copain de Tintin a chassé celle de Sinbad le marin. L’escadre des 100 navires de Saladin contre les pirates génois est oubliée. Il est vrai que pour les arabes, l’espace maritime est surtout une zone de pêche et une voie de communication, il n’a jamais été le chemin des conquêtes, il est toujours celui de l’exil périlleux. Pourtant, sans Ahmed Ibn Majid, Vasco de Gama serait resté aussi inconnu que son pilote !
Finalement, c’est au siècle du pétrole que l’océan arabe aura été intégralement colonisé. Il l’est encore car c’est un domaine stratégique où transite l’essentiel du commerce mondial. Gibraltar (Djebel Tarek), Messine, Suez, Bab El Mandeb, Ormuz sont des entonnoirs dont l’obturation plongerait l’Europe et l’Asie dans l’embarras. Depuis Gamel Abdel Nasser, cette arme de dissuasion n’a jamais été brandie par aucun des 22 pays de la ligue arabe en dehors de tartarinades de circonstance. De même, aucune manœuvre commune des forces navales arabes n’a jamais eu lieu hors contrôle d’une puissance étrangère. D’ailleurs, les marines nationales sont faiblement armées et remplissent principalement des missions de garde côtière.
Seules l’Algérie, l’Egypte et la Syrie disposent de capacités offensives crédibles notamment avec quelques sous-marins d’attaques vendus et entretenus par la Russie.
C’est insuffisant pour protéger la mer arabe d’une réplique de la guerre froide. En Syrie, le port de Tartous est la seule base de soutien de la flotte russe dans cette partie du monde. Sans elle Moscou ne pourrait plus maintenir des forces en Méditerranée.Les Chinois patientent...
Au Nord de Tartous, la côte libanaise paisible en apparence a montré lors de la guerre de 2006 une redoutable capacité navale défensive en neutralisant la frégate Hanit navire amiral de la flotte israélienne. Chez les marins d’Orient, cet événement est célébré comme une victoire navale équivalente à celle de Sawari des Egyptiens sur la flotte Byzantine en 655.
Aujourd’hui, l’armée de mer égyptienne est à l’image du pays : désorganisée, celle de la Libye : inexistante tout comme celle de la petite Tunisie.
Restent les flottes algérienne et marocaine toutes deux bien équipées et entrainées à s’entre-dissuader dans la querelle qui les oppose sur…le Sahara Occidental ou République Sahraouie la bien mal nommée car ce pays est une plage de mille kilomètres sur l’Atlantique.
En bas de la Méditerranée, la guerre froide se prolonge en Mer Rouge et dans l’Océan Indien où les rivages abritent la plus forte concentration de pirates de l’histoire. Ils sont regroupés au sein d’une holding dont le résultat brut d’exploitation des rançons dépasse celui de la Lloyd’s. A ce niveau de business détaxé, les pirates sont devenus les corsaires d’investisseurs avisés. Nul ne connaît les marionnettistes, nul ne sait au service de qui se rangera cette redoutable flotte de gueux en cas de conflit avec l’Iran.
La Somalie est abandonnée des Etats arabes mais pas des musulmans perses et ottomans. Les Iraniens ne craignent pas les bandits de mer, leur aide humanitaire est régulièrement acheminée par bateau. Les Turcs compatissent et assistent pareillement. Ainsi, Erdogan est venu en famille à Mogadiscio pendant le mois de ramadan. Ce geste qui intervenait quelques mois après l’attaque par les commandos israéliens d’un navire turc en route pour Gaza, lui a valu la considération de tous les musulmans.
Les Turcs discernent peut-être la renaissance d’une pensée maritime qui était enfouie dans la mémoire inconsciente des bédouins.
La Péninsule arabe Al Jazeera Arabya (l’île Arabe) est située au Nord Ouest de l’Océan Indien, elle est enchâssée entre le Golfe et la Mer Rouge. On peut se demander quelle est l’influence de la sémantique sur le sentiment insulaire du peuple de « l’île arabe ». Quelle identité marine ressent l’habitant de l’Algérie qui en arabe signifie « les îles », pays qui d’ailleurs ne possède que quelques cailloux immergés ! Existe-t-il dans l’inconscient arabe un sentiment d’insularité autre que spirituel ? Existe-t-il chez les Européens une volonté de le combattre ? Le cœur de la cité aghlabide fortifiée de Tunis s’ouvre sur une magnifique porte Bab El Bahr (Porte de la mer) que le protectorat s’empressa de baptiser Porte de France ! Plus au sud, la Mer des Arabes a été francisée en « Mer d’Oman ».
Demain, probablement, toutes les mers arabes seront des champs d’affrontement entre les grandes puissances car elles sont les autoroutes marines où défilent les plus grandes richesses du monde.
Cette guerre froide et humide, asymétrique, post-printanière, risque d’entraîner la somalisation des rivages. A moins que l’Oumma ait les pieds sur terre, cesse de regarder passer les nuages, et se tourne vers la mer pour hisser le pavillon rouge, noir, vert, blanc.
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