Je lis la presse. Papandreou, traité comme un moins que rien au G20. Pire qu’un ex-dictateur maghrébin. Pour un peu on lui aurait tiré un Hellfire depuis un drone survolant la croisette.
Les commentateurs hellénophobes s’en donnent à cœur joie.
Les Grecs ? Des menteurs, des profiteurs, des métèques. Des prétentieux sortis de la cuisse de Jupiter sous le prétexte que leurs ancêtres ont inventé la démocratie dix siècles avant l’Hégire ! Ils mériteraient qu’on leur envoie le général BHL !
Pourtant, le petit peuple Grec a traversé la nuit des temps en préservant sa langue sa philosophie, sa manière d’être. Il est vieux comme le Parthénon mais il n’a pas attendu l’âge de la consommation pour apprendre l’art de déguster les offrandes de l’existence. Ce pays élu du ciel rassemble tant de beauté et de douceur qu’aucun avenir meilleur ne saurait lui être proposé sauf celui de le laisser vivre en paix.
Le Grec est un sage. D’expérience il sait que le pouvoir est sale, que les chefs sont corrompus, que l’injustice est fatale. Au pays de la demos kratia le peuple demos n’a jamais vraiment cru en son pouvoir kratos. Depuis trois mille ans, il est volé ; il s’en accommode avec fatalité.
L’Europe par ses bienfaits a transformé la Grèce en pays Potemkine.
A coups de milliards, elle y a construit des stades, des routes, des aéroports, des voies de communications modernes pour que les tomates de Hollande et la féta de Normandie distribuées par Carrefour puissent irriguer le moindre village. A la parade, le pays aligne une armée suréquipée de milliers de blindés et autre joujou capable de contenir une invraisemblable invasion russe ou ottomane.
Mais derrière ce paravent d’opulence, la vie quotidienne est laborieuse et frugale.
Pendant des décennies, la Grèce a été méthodiquement banqueroutée alors que les experts regardaient en l’air en sifflotant. L’Union Européenne des banquiers ayant trop prêté se réveilla finalement.
Découvrant qu’une fois de plus les Karandopoulos avaient piqué dans la caisse, le peuple des cigales s’est cotisé pour rembourser. Les salaires, les retraites ont été amputés de vingt et plus pour cent, les taxes et impôts ont doublé. Les bakchichs aussi. Car ce cancer métastase tous les services publics et même les hôpitaux où le patient paye pour une piqure, un lit, une couverture…pire qu’en Afrique. L’école est une garderie gratuite mais seuls les cours du soir payants offrent une chance d’accéder à l’instruction.
Encouragés par ces premières bonnes dispositions, les huissiers de l’Europe ont exigé un effort supplémentaire. Alors les Zorba ont pris la rue et leurs politiciens en otage. Ils ont crié qu’ils ne voulaient plus entendre le dictat des estivants européens.
Ils ont hurlé : Europe δεν !
Mais comme l’Europe n’entend pas le grec et que le malentendu entre mal entendant risquait de perdurer, le Premier Ministre Papandreou traduisit la revendication hellène en langue latine : ad referendum !
Alors, l’indignation fut générale, la bourse chuta, on convoqua le malotru à Cannes, on le fit attendre à genoux sur les marches du Palais, avant d’accepter finalement avec indulgence son acte de contrition. Ah mais !
Demain la Grèce sera anarchie, dictature, ou demoskratia, elle sera sauvée par les Turcs, les Arabes ou les Chinois, mais elle ne sera plus jamais européenne.
Haro aussi sur la Tunisie. La presse se déchaîne.
C’est la fin de la saison du jasmin, de l’alcool de figue et des câlins tarifés sur la plage d’Hammamet. On dit que les club-Med de Djerba imposeraient désormais le port du maillot de bain intégral.
Du jour au lendemain, par la seule magie des urnes, les paisibles musulmans malékites lotophages sont devenus de farouches salafo-wahhabo-pachtoun –jihadistes avec un Laguiole entre les dents !
Nul n’a relevé que l’élection de la constituante porte l’espoir d’un compromis entre le pouvoir du livre et celui du peuple. Car pas plus en Islam qu’en toute autre religion la démocratie n’est en odeur de sainteté. Après le Liban et la Palestine, la Tunisie rejoint le club très fragile des démocraties arabes. C’est un événement considérable ! Pourtant, Paris refuse l’évidence de l’augure d’un pays converti au débat et à l’alternance.
Il se trouve même des éditorialistes savants qui font d’audacieux rapprochements entre Ben Ali et le bon Shah, Ghannouchi et le méchant Khomeiny, Persepolis et Tunis !
La rue ne s’est pas embrasée pour déménager la Kasbah à la Zitouna. Les peuples arabes se sont soulevé tout comme ceux de l’empire russe à la fin des années 80 parce qu’ils étaient saturés d’injustice.
L’histoire tunisienne chemine plutôt celle de la Pologne où Ben Ali a fait ses classes ; il avait d’ailleurs pour Jaruzelski une déférence filiale. Les deux dictateurs sont tombés de manière semblable : poussés par la foule et abandonnés par leurs protecteurs étrangers. Les dissidents « catholistes » polonais ont contribué à la chute du régime tout comme les opposants tunisiens. A l’époque l’Occident unanime avait chaleureusement salué la victoire de l’église sur la dictature communiste. Comparaison n’est pas raison mais elle permet de relativiser et d’espérer qu’à l’exemple des intégristes polonais qui ont mis de l’eau dans leur jus de betterave, les salafistes tunisiens allongeront leur sirop d’orgeat. "L’extrémisme est soluble dans la démocratie".C'est une profession de foi compatible.
L’examen des chiffres du scrutin montre que l’on est loin du raz de marée Ennahda constaté hâtivement par la presse. Certes ce parti arrive en tête des suffrages exprimés mais les autres courants séculiers alliés font jeu égal. Avec 5 sièges, les « passéistes » représentés par l’ancien ministre de la défense de Ben Ali fait à peine mieux que l’antique parti communiste. Enfin, un bon tiers de la population en âge de voter ne s’est pas déplacé. Cette dernière mesure est inquiétante car elle révèle la proportion d’insoumis à la révolution et surtout d’inconvertis à la démocratie.
Sans doute une partie de ceux là ont-ils perdu espoir. Leur attente urgente n’est pas celle des urnes mais de l’assiette.
Au Sud surtout, la pauvreté grignote chaque jour davantage le plaisir de vivre dans le plus doux pays du monde.
Les vainqueurs des élections savent que demain il faudra décréter la solidarité : un revenu minimum, la gratuité des soins, satisfaire les revendications, assainir la police, libérer la justice, rassurer les patrons…La chantier est immense. La création d’un espace économique commun avec la Tripolitaine n’est pas une chimère !
La Tunisie a changé. La France ne s’en est pas aperçue. Ses hommes politiques persistent à se complaire dans une attitude de « vigilance » alors qu’ils avaient une confiance totale dans le satrape et sa clique. Depuis les élections, aucun homme politique français n’a été aperçu à Tunis. Il est vrai que la saison ne s’y prête guère et que les messagers parisiens habitués du Spoon de Carthage et de La Résidence de Raouad ne sont pas du même monde que les futurs ministres tunisiens dont il est à parier que peu d’entre eux seront des anciens de Saint-Cyr, de Saint-Pères ou de Saint-Guillaume.
Le prochain gouvernement de la kasbah sera un cercle de "carcinocrates" totalisant des années de prison. Les sécularistes et les islamistes étaient frères de geôles. Ils ont partagé le couffin hebdomadaire.
Libérés, ils ont aussi subi la ségrégation de l’ambassade de France ; en exil, ils ont bénéficié de la coopération « exemplaire » entre la rue Nélaton et l’Avenue Bourguiba.
Alors, une déclaration chaleureuse à l’exemple de celles –diplomatiques ou sincères - de Washington, Madrid ou Bruxelles eut été bienséante en cette circonstance rare, propice à l’oubli d’un passé qui fâche. Las, la classe politique n’a eu que des paroles de défiance.
La « mère des arts des armes et des lois » est fâchée avec la Tunisie et la Grèce qui osent dévoyer la démocratie « à la Française », elle parait appeler de ses vœux le retour des colonels et du général.
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