A l'exception de quelques prophètes, personne n’avait vu venir le soulèvement de Janvier, mois habituellement sans printemps ni jasmin.
Afin que nul ne soit pris au dépourvu, la Tunisie a décidé que la prochaine révolution aura lieu en Octobre, solstice d’un nouveau calendrier dont le peuple choisira la saison qui suivra.
La campagne électorale a été passionnément médiocre. Le chômage, l’injustice, les disparités qui rendent la vie dure au quotidien dans le plus beau pays du Monde, n’ont pas été au centre des débats. Certes l’enjeu du scrutin porte sur la désignation des rédacteurs de la future constitution. Mais cette longue étape était-elle bien nécessaire ? Les britanniques n’ont pas de constitution, la république parlementaire israélienne non plus. Les juifs intégristes se sont toujours opposés à l’adoption d’un texte supérieur à la Torah. Israël ajourne sans cesse l’adoption d’une constitution depuis…1948! Espérons que les constituants tunisiens seront plus véloces mais ce n’est pas gagné d’avance...
Car dans un pays où tous les actes solennels s’accomplissent au Nom (bismi) d’Allah, l’omni présence de Dieu dans la campagne électorale était inévitable. Toutefois, le clivage mosquée/bistro ne saurait porter un modèle de société. A focaliser le débat sur la religion, le paysage politique reste flou et au terme d’une campagne de plusieurs mois, il est bien difficile de situer les courants politiques sur l’éventail. L’islamisme de droite est-il soluble dans le sécularisme libéral, celui de gauche dans le socialisme ? Où se cache l’opportunisme caméléon de l’ancien régime ?
La Tunisie libre se joue de la peur des deux modèles qu’elle récuse : l’Occident immoral et l’Orient rétrograde. Le fait que Ben Ali soit l’hôte de l’Arabie Saoudite ajoute à la confusion des esprits. Ses partisans ont multiplié les incidents, instrumentalisant de vrais-faux barbus illuminés. Déjà en 1987, pour préparer son coup d’Etat, le petit général- alors ministre de l’intérieur de Bourguiba -avait multiplié les provocations pseudo islamistes en organisant des attentats à l’explosif et au vitriol, il avait même mis en scène l’attaque de sa propre voiture sur le chemin de Monastir ! Les tontons macoutes du satrape ont récidivé. L’Histoire fera reproche au gouvernement transitoire d’avoir prolongé leur impunité.
L’avenir constitutionnel aurait pu se contenter d’un référendum. C’était trop simple. Et puis les révoltés de la Kasbah réclamaient une constituante. Alors les très nombreux et très brillants juristes ont choisi un mode de désignation à la mesure de leurs immenses talents.
"Le scrutin plurinominal proportionnel au plus fort reste" est une pépite de la science électorale, objet de nombreuses thèses et travaux divers que résume fort clairement un livret de la collection « Que sais-je ? » hélas épuisé depuis 1952. Il parait qu’un opuscule de vulgarisation de 600 pages édité à la hâte en langue arabe et consultable sur Facebook permet de se familiariser avec le calcul du quotient de Hare et les risques du syndrome d’Alabama.
En Tunisie lorsqu'on demande à quelqu'un de montrer son oreille, la personne lance le bras droit au dessus de sa tête pour saisir son oreille gauche. Avec 1500 listes et près de 10 000 candidats, le sport démocratique s’annonce de haute compétition. Mais les tunisiens peuvent le faire !
Pourtant, ce mode de sélection, qui prête à l’ironie facile, est incontestablement le plus démocratique et le plus équitable qui soit après celui du tirage au sort. Il permettra l’élection d’une assemblée mosaïque fidèlement représentative de la centaine de micro partis dont un grand nombre ne portent que l’ambition personnelle de leur chef qui sont condamnés d’avance à s’entendre ou se vendre.
Qu’importe, le processus démocratique est en marche, nul ne pourra l’arrêter ni contester les résultats du 23 octobre (hormis les mathématiciens). Le pouvoir de la nouvelle assemblée sera considérable. Il lui reviendra de construire le socle de la seconde république, mais aussi de désigner l’exécutif qui devra résoudre tout, tout de suite, sous peine de récidive meurtrière.
Le coup d’état n’est à craindre que de l’étranger.
Washington a été clair: Il respectera le verdict des urnes. Alger est muet. Tripoli n’a pas encore mué. Paris est inaudible.
Sans doute encore l’otage des affaires d’un passé trop récent, la capitale française guette surtout la reprise des bonnes affaires.
Il y a quinze jours, Boulevard du Montparnasse, à la très chic Closerie des Lilas, le ministre tunisien du tourisme pérorait en aimable compagnie. Il évoquait les perspectives d’élargissement du Maghreb à ... Israël. Ses invités, un ministre et un ancien premier ministre français se pâmaient. On était si loin des oreilles de l’électeur de Bir El Hafay et de Takrouna.
La République Tunisienne n’a toujours pas d’ambassadeur accrédité en France. Le poste est vacant depuis huit mois, c’est du jamais vu depuis la guerre de Bizerte il y a cinquante ans ! Rue Barbey-de-Jouy, l’ambassade de Tunisie a été vidée de ses meubles de prix : emportés par « la famille ». Aux côtés de quelques fonctionnaires de la carrière, une centaine de policiers, sous protection diplomatique, poursuivent tranquillement leur petit business en veillant sur les cartons d’archives qui leur assurent l’impunité.
Le weekend end prochain, près de trois cent mille tunisiens du Grand Paris se presseront autour des consulats de Paris et de Pantin et d’une poigné de bureaux disséminés en grande banlieue. Où sont les autres bureaux de vote ? Comment se déroulera le scrutin ? La communauté tunisienne de France est en quête d’un modus operandi qu’elle trouvera peut-être vendredi…en sortant des mosquées.
La classe politique française, toujours prompt à donner des leçons, a raté une belle occasion de coopération républicaine.
Gageons qu’elle se rachètera en assistant les démocrates libyens immigrés en France pour l’élection de leur constituante !!!!
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