Au
fin fond du pays sarthois
deux petits bonshommes ordinaires ont créé chacun de leur coté une
œuvre extraordinaire passée par hasard à la postérité. L'un
était boulanger-paysan, l'autre instituteur. Se sont-ils jamais
croisés
? C'est bien possible car ils furent appelés
à la guerre de 1914 ; mais à l'époque, ni l'un ni l'autre ne
songeait encore à sculpter ou à peindre. Au soir d'une vie
banalement heureuse chacun pris sa retraite. Et ce fut le début
de leur foisonnante épopée artistique.
En
1962, Fernand Chatelain, 63 ans s'installe dans une maison qui borde
la nationale 338. Désoeuvré, il regarde les voitures qui passent à
petite vitesse car à cet endroit la route est pentue. Parfois, il
fait un geste amical de la main aux enfants qui s'ennuient à
l'arrière des Aronde et des Dauphine. Pour les distraire sans doute,
il construit un château de sable, de papier, de plâtre, de
ferraille, de bouts de ficelles et de ciments. Puis il le peint de
couleurs vives. Enhardi par le sourire des mômes,
il écrit en grosse lettres des souhaits de bon voyage et construit
des sculptures ludiques, extravagantes, surréalistes.
Voici
enserrant une balustrade, un gros serpent jaune mordant à belles
dents le mollet d'un gosse hilare qui poursuit un goret rose en
tenant une casserole à la main...Au fil des années, des dizaines et
des dizaines de créations multicolores égayent les automobilistes
qui désormais s'arrêtent souvent sur l'aire du sourire, histoire de
faire une pause récréative avant de repartir vers Le Mans ou
Alençon. Quelques uns vont à la rencontre du modeste sculpteur
toujours affable et truculent. Avec l'accent du terroir il explique :
« ah j'fais ça pour m'amuser... ça amuse
le public autant que moi...Voyez-vous, on m'en donnerait un grand
prix, j'vous la fais à
10 000 francs, ben...j'vous la vendrais point ! » Lui
aurait-on proposé d'exposer dans des galeries prestigieuses et des
grands musées qu'il aurait pareillement refusé.
Fernand
Chatelain décède en 1988. Les herbes envahissent ses sculptures. La
pluie, le gel et le soleil grignotent les couleurs. Seule la
silhouette de l'autoportrait de l'artiste brandissant son chapeau
dans un ultime salut dépasse au dessus des buissons de ronces et
d'orties. Au fil des ans, le musée du bord de route semble
inéluctablement condamné à rejoindre les cendres de son génial
géniteur. Et puis, en 2005, un miracle ! La passion,
l'intelligence et l'obstination de femmes et d'hommes... La maison,
l'atelier le jardin sont rachetés. L'essentiel de la collection est
sauvée, rénovée, repeinte chaque année.
C'est ouvert tous les
dimanche après-midi de mi-juin à mi-septembre. C'est gratuit cela
va sans dire. Vous pouvez aussi, quand il vous plaira, aller à Fyé
par la nationale 338, stationner sur le bas coté le temps de faire
le plein d'émotions.
Vous verrez qu'ensuite la route vous paraîtra
plus légère !..
L'oeuvre
d'Armand Goupil a également failli disparaître dans l'indifférence.
Né en 1896 deux années avant Chatelain, le peintre enseigna pendant
toute sa vie à Lamnay, un petit village situé en
lisière du Perche. Il y a laissé le souvenir d'un brave homme, bon
père, bon soldat, bon républicain, bref quelqu'un de très comme il
faut. À cette époque, l'instituteur était un notable qui savait
tenir son rang et donner l'exemple, modérer ses convictions et taire
ses pensées intimes.
En
1951, Armand Goupil prend
sa
retraite au Mans et décide de consacrer son temps à la peinture.
Ses tableaux charmants représentant des scènes bucoliques ou des
portraits académiques font l'admiration polie de ses proches et
décorent les salles à manger de la famille et des amis.
Mais au
fond de son atelier, à l’abri des regards des siens, l'artiste
laisse son pinceau divaguer vers l'inconvenance, l'irrévérence,
les coquineries et le burlesque. Des danseuses, des acrobates, des
femmes nues, un Christ insolent réclame à une bonne sœur « un
pastis bien frais...un ! » et une profusion d'autres
extravagances inouïes pour l'époque comme ces négresses
lascives, ce bourgeois en caleçon protubérant qui zieute sous
le jupon...
Pour ne pas éveiller les soupçons, l'admirable
cachottier peignait sur des bouts de carton de récupération ; sur
l'envers d'un paquet de cigarettes ou de lessive, sur un emballage de
pâtisserie, une boite à chaussures
découpée...Des centaines de scènes insolites, drôles,
fascinantes, toujours sincères. L'artiste éclectique à l'imagination
incroyablement féconde s'est essayé à tous les exercices :
figuratifs, décoratifs, abstraits, paysages, portraits, caricatures,
natures mortes, graffitis... dans une palette de couleurs infinies.
Assurément, l'ancien instituteur austère à la ville jubilait de
malice dans son atelier. Le peintre était son seul admirateur car
nul ne se souvient d'avoir pu contempler sa collection secrète.
Précurseur mais lucide, il savait que sa peinture serait excommuniée
par la bien pensance provinciale de l'époque. Destinait-il ses
joyeux fantasmes sur carton à sa seule satisfaction, à l'éphémère,
à l'autodafé ? C'est possible mais le destin en décida
autrement.
En
1964, le cœur du peintre s'arrête net sans prévenir. Sa famille
consternée en découvrant la collection licencieuse, referme bien
vite la porte de l'armoire aux horreurs qu'elle brade à un
brocanteur. Le lot est revendu plusieurs fois pour une bouchée de
pain avant d'être dispersé et acheté à l'unité par quelques
amateurs éclairés qui passent leurs dimanche à courir les vides
greniers.
L'exubérant
Ferdinand Chatelain et son compère refoulé Armand Goupil ont
fertilisé le terroir de leur imagination, donné des couleurs à
leur pensées ; témoins d'un art brut, singulier, libre et
désintéressé, leurs joyeux messages
régalent les yeux. Par les temps qui courent, une cure d'optimisme
s'impose !
Pour
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Chatelain :
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Goupil :
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