Comment le Yémen a vaincu MBS et Trump
À
la façon de Geneviève Tabouis, l'auteur de ces lignes prédisait il
y a quelques années que la coalition militaire saoudienne se
casserait les dents au Yémen. Aujourd'hui, non seulement une armée
de squelettes affamés a repoussé les légions de mercenaires
conduites par des officiers repus, mais elle menace directement les
infrastructures vitales de l'Arabie et fait trembler les marchés de
Londres et de New York. Elle pourrait bien demain imposer ses
conditions à la reddition des Saoudiens qui prétendaient hier
encore la soumettre.
Asterix
le Houthi
La
référence à Astérix n'est pas caricaturale quand on
mesure l'écart entre les forces en présence. À l'origine on trouve
d'un côté
la résistance des Houthis soit environ cent mille combattants
qui ont conquis la
capitale Sanaa avant de fédérer la plupart des tribus du nord et du
sud à l'exception de l'Hadramaout occupé par Al Qaïda. De l'autre
côté
à
l'offensive, les forces armées d'Arabie et des Émirats Arabes Unis
coalisées, servies par
des régiments de mercenaires, le tout formé et équipé par les
États Unis et l'Europe. Soit des centaines d'avions de combat, des
milliers de chars et de canons, une puissance de feu en matériels
conventionnels terrestres et aériens supérieure à celle de la
France.
Depuis
42 mois, le Prince MBS héritier du Royaume d'Arabie tente de mettre
à genoux ses voisins : 16 000 raids aériens selon les agences
de renseignement soit un chapelet de bombes toutes les deux heures,
des offensives de chars, des tirs de salves de missiles... Bilan :
des centaines de milliers de civils tués ou mutilés, des millions
d'affamés.
Rares sont
ceux qui avaient prédit que les agressés résisteraient
jusqu'au dernier, mais aucun n'avait imaginé que les petits
guerriers yéménites en jupe bariolé renverseraient la situation
militaire en leur faveur. Tout comme le Hezbollah au Liban qui nargue
Israel, les Houthis à la tête du Yémen défient l'Arabie Saoudite.
Ces « ONG de résistance armée » mettent en échec les
forces d'États puissants. Ce type de confrontation par procuration
n'est pas inédit, mais ce qui est nouveau c'est que les armes du
pauvre se révèlent bien plus dissuasives que celles du riche.
La
révolution des armements
La
couteuse quincaillerie exposée dans les salons internationaux de
l'armement est frappée d'obsolescence. Les armes cybernétiques et
téléguidées sont bien plus redoutables que les chasseurs
bombardiers, les tanks, les frégates et même les portes-avions.
Elle menacent désormais les infrastructures stratégiques et mettent
en échec tous les systèmes de défense. La récente attaque qui a
perturbé la production pétrolière saoudienne en est un
récent exemple.
Il
faut savoir qu'avant d'être exporté, le pétrole d'Arabie doit être
débarrassé de ses impuretés en passant dans de gigantesques
« lessiveuses ». La principale d'entre elles, Abqaiq, a
été bombardée le 14 septembre dernier ; paralysant le quart de la
production de l'Arabie pour des mois voire des années, car on ne
trouve pas sur étagère les pièces de rechanges pour ce type
d'installations. Le coup est très dur pour la Saudi Aramco qui était
sur le point de lancer son offre de privatisation. Qui en ce moment voudra se porter acquéreur d'une entreprise ciblée ?
C'est de surcroit un signe de malvenue pour Abdulaziz ben Salman, fils
du roi et frère de MBS qui venait d'être fraichement nommé ministre de l'énergie.
Cet attentat
revendiqué par les Yéménites est un secret mystère. D'où ont été
tirés les projectiles ? Les radars
des avions AWACS, les satellites géostationnaires, les drones
de haute altitude et autres observateurs d'alerte sophistiqués
capables de détecter une taupe
dans votre jardin n'ont rien vu venir. La confirmation de l'usage de
projectiles furtifs à longue portée indétectables constituerait
une révolution sans précédent dans le petit monde de l'armement
car il conférerait à son possesseur une supériorité décisive sur
tous les théâtres d'opérations. Quel est le pays qui a mis au
point le missile invisible ? Question qui taraude tous les États
Majors militaires du monde au point que certains « spécialistes »
préfèrent pour se rassurer, attribuer les frappes à un essaim de
deux douzaines de petits drones téléguidés par des opérateurs à
vue ou dissimulés à quelques kilomètres de la cible. Ils évoquent
des engins aux composants disponibles dans le commerce pour cinq à dix mille euros
qui auraient été astucieusement armés et bricolés par des émules
de MacGyver. Les drones auraient été acheminés en
pièces détachées par des caravanes de dromadaires, puis assemblés
discrètement sous des tentes qui auraient pareillement dissimulées
les rampes de lancement. Pour échapper aux radars, les engins
auraient volé en rase motte depuis les quelques kilomètre qui les
séparaient de leurs cibles. Cette hypothèse est plausible, mais
elle suppose de solides complicités locales et révèlerait alors
l'existence d'une « cinquième colonne » d'insurgés
maquisards saoudiens. Ce que nul penseur unique ne saurait admettre
car en son royaume, MBS n'a plus d'ennemi encore en vie.
Cet acte
de guerre spectaculaire a secoué le prix du baril et effrayé les
marchés qui se demandent avec colère quelles
seront les prochaines cibles de ces yéménites qui ont
désormais la folle audace de s'attaquer au pétrole sacré.
Les
américains prévoient le pire
Pour
connaître les prochains objectifs dans le collimateur des
Yéménites, nul besoin d'être devin. Il suffit de parcourir
l'excellent travail des chercheurs américains qui ont probablement
quelques lecteurs dans les
montagnes reculées du Yémen. Le 5 août dernier, sous le
titre « Iran’s Threat to Saudi Critical
Infrastructure » the Center for Strategic &
International Studies qui est proche du Pentagone, publiait la liste
des sites saoudiens vulnérables. Le talentueux CSIS rappelait que la
production du pétrole d'Arabie est stabilisée dans des usines de
stabilisation dont la plus vulnérable est Abqaiq ».
« ...Abqaiq is the most vulnerable. It is the world’s
largest oil processing facility and crude oil stabilization plant,
with a capacity of more than 7 million barrels per day (bpd) ».
C'est précisément celle qui a été attaquée le
14 septembre. Autres maillons faibles pointés dans ce rapport, les deux stations de pompage de l'oléoduc de 1200 km reliant le
golfe à la mer Rouge: Al-Duwadimi et d’Afi . Bien vu. Elles ont
été attaquées et gravement
endommagées en mai dernier.
Pudiquement, le rapport ne dit pas que les boucliers d'interception
Thaad acquis en 2017 pour 15
milliards de dollars et les 6 batteries de Patriot à un milliard
pièce n'ont rien vu passer ! Il préconise même le
renforcement de ces couteux équipements inopérants,
alertant au surplus que des menaces d'attaques pèsent sur neuf
raffineries et sur les trois terminaux du plus grand port pétrolier
du monde, Ras Tanura. Les conséquences internationales de leur
neutralisation ne sont pas documentées, mais on imagine avec peine
les conséquences d'un super choc pétrolier. Des observateurs se
sont demandé à qui profiterait une soudaine flambée du prix du
baril de pétrole ? À l'Iran, à la Russie, aux États
Unis.... ? Et si tout simplement les Yéménites
et un groupe de réfractaires saoudiens s'étaient alliés pour punir
et chasser les Salman du trône ? Il est révélateur que ces
attaques n'aient fait aucune victime : comme si on avait voulu
épargner la fratrie et surtout, ne pas se comporter comme les
sanguinaires que l'on combat.
L'arme
de dissuasion suprême
Sous
la pression de cette avalanches de menaces, les négociations en
coulisses vont bon train. Les Emirats Arabes Unis qui ont perdu des
dizaines d'officiers dans les combats d'Aden et d'Hodeida sont
terrorisés à l'idée d'une attaque sur Dubaï ou Abu Dhabi qui
aurait des conséquences inimaginables sur leur devenir. Alors, ils
ont préféré jeter l'éponge et se sont retirés
du
bourbier. Reste l'Arabie de Ben Salman et l'Amérique de Trump qui
s'obstinent encore, croyant que quelques GI et rampes de missiles de
plus pourront sauver leur dynastie d'une déchéance
programmée. Dans ce contexte, il est probable que les Yéménites
qui exigent en préalable l'arrêt des bombardements, feront encore
monter la pression et réclameront des compensations et
réparations pour dommages de guerre. Le CSIS documente d'autres
infrastructures vulnérables. Notamment les systèmes de
contrôle et d'acquisition de données en temps réel (SCADA) qui a déjà été attaqué par des hackers, mais surtout il mentionne
l'arme suprême, non encore été utilisée : celle de la soif.
L'eau de mer désalinisée représente 70% de la consommation d'eau
potable de l'Arabie. Il existe 7 500 usines de traitement sur le
Golfe Persique. La plus gigantesque au monde est celle de Ras el
Khair. C'est un otage en puissance. Le complexe industriel alimente
en eau douce la ville de Riyad grâce à deux tubes d'acier de 2
mètres de diamètre et de 450km de long qui débitent 800 mille m3 par jour ! L'attaque ou le sabotage des installations de
Ras el Khair condamnerait à la débandade 6 millions d'habitants.
Les prédicteurs savants
ont calculé que la population aurait très exactement huit jours
pour évacuer la capitale. Attendez
vous donc à savoir que le pire sera peut-être évité.
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