Tunisie, Kaïs Saïed le Président du rassemblement
Au
café de Bab Souika, une jeune fille fredonne la chanson de
Barbara : « regarde, quelque chose a changé,
l'air semble plus léger, c'est indéfinissable... » Au
terme d'une campagne électorale débridée, rocambolesque, riche en
imprévus et en rebondissements, les Tunisiens retrouvent un
semblant de sérénité. L'élu était attendu par tous ceux que la
lente agonie du pays attristaient. Kaïs Saïed a été plébiscité.
Il est l'espoir d'un pays que les errances politiques ont réduit à
la mendicité. La démocratie exemplaire post révolutionnaire saluée
dans le monde entier n'a pas consolé les Tunisiens de la
dégradation constante de leur pouvoir d'achat et de l'enrichissement
sans cause d'une mafiocrature rescapée de la dictature. L'élection
de Kaïs Saeïd est un rebond salutaire de la révolution de 2011
dont nul ne mesure encore la portée.
La
victoire d'une stratégie bien préparée Avec
72,7%. des suffrages, l'homme providentiel a écrasé son concurrent
Nabil Karoui dont les déboires judiciaires orchestrés lui ont valu
l'estime des démocrates mais qui n'était pas du niveau. Déjà, le
15 septembre, au premier tour, Kaïs Saïed avait balayé 24
candidats dont des poids lourds de la vie politique sans
vraiment faire campagne, en refusant même les subventions et les
alliances. Il doit sa victoire à trois symboles forts : le
slogan echaarb yourid, le peuple veut (cri de ralliement
de la révolution de 2011) ; le geste patriotique du baiser au
drapeau ; et l'emblème de la carte de la Tunisie portant
le fléau de la justice. Mais aussi et surtout à un discours sobre,
spontané, saccadé. Des phrases courtes comme un tweet avec parfois
des accents lyriques dans une langue arabe impeccablement
maîtrisée sous toutes ses formes. Sa campagne a mis en échec les
lobbystes et les agences de communication tunisiennes et étrangères
recrutés à grands frais par ses concurrents qui proposaient la lune
et des lendemains qui chantent. Raide, austère, avare de
confidences, lui n'a rien promis d'autre que de la sueur et de
l'équité. Churchill sans cigare, de Gaulle sans képi. « Le
peuple qui veut » lui a donné carte blanche pour l'aider à
reprendre son propre destin en main. Alors fort de son score du 13
octobre qui rassemble 2,7 millions de Tunisiens, - c'est plus
que les voix additionnées aux législatives une semaine auparavant -
le nouveau Président de la République est désormais maître du
destin du pays. Le 30 octobre prochain lorsqu'il aura prêté
serment, la Tunisie qui retient son souffle ne sera plus comme avant.
Une
révolution des urnes à point nommé L'élection
de Kaïs Saïed dont le taux de participation 55% est le plus élevé
des trois derniers scrutins intervient au moment où toute la classe
politique était discréditée. L'Assemblée des 217 Représentants
du Peuple souffre d'une réputation à la hauteur de son inaction.
Ainsi, durant la mandature parlementaire 2014-2019 on a compté 32
mois sans aucune séance de dialogue avec le gouvernement, pas une
des 6 commissions d'investigation n'est parvenue à
une conclusion... Ces échecs sont notamment la conséquence de
l'absentéisme récurent des élus, documentés par les observatoires
indépendants Al Bawsala et Marsad qui soulignent par ailleurs (ceci
explique peut-être cela ) l’indigence des moyens mis à la
disposition de la représentation nationale :
0,09% du budget de l'État soumis au contrôle a priori
et a postériori du gouvernement en
négation du principe de séparation des pouvoirs.
Un
sondage d'opinion réalisé en août dernier par le Forum tunisien
pour les droits économiques et sociaux révélait avant les
élections un indice de défiance et de suspicion de 76% envers les
députés et de 81% envers les partis politiques. Il est en
outre étonnant de constater que 62% des Tunisiens
ne faisaient pas confiance à leur Président de l'époque, alors que
son successeur est aujourd'hui élu avec un score de dix points
supérieur à celui de leur méfiance d'hier. C'est pas ce
constat d'adhésion que l'élection de Kaïed Saïed ouvre l'horizon
d'un grand dessein au secours d'une démocratie en perdition.
Pas
d'inauguration de chrysanthèmes ni de foire aux jasmins Selon
la constitution dont il est le gardien, le périmètre des
attributions du Président se limitent à la diplomatie, la défense
et la sécurité. Pour le reste, son pouvoir est celui d'un arbitre
qui siffle les fautes du gouvernement. Kaïs
Saïed se contentera t-il de régner sans gouverner ? C'est
improbable. Il n'est pas du genre à se prélasser dans un Palais de
deux cents pièces vue mer dont le budget de fonctionnement est trois
fois et demi supérieur à celui de l'assemblée des députés. Il
n'a pas été élu pour profiter d'un emploi de retraité à
temps partiel: nominations, inaugurations, décorations, voyages à
l'étranger... Il ne s'installera pas dans le confort et les dorures
surannées de Carthage au milieu de 2 600 gardes républicains
en tenue de Fantasio. Les symboles, les manières et les fastes du
passé vont être épurés. C'est la fin du style République
bananière hérité du siècle passé. Pour bien marquer les esprits,
au lendemain de son élection, il est descendu comme d'habitude boire
son crème au café du coin. Une posture de
démocrate scandinave ou suisse, parfaitement inédite
sous cette latitude arabe et africaine.
Un
gaulliste assumé Professeur
de droit constitutionnel, le nouveau Président est un admirateur de
Charles de Gaulle. Sur les pas du grand
homme, il a déjà esquissé son propre « discours de Bayeux ».
Dans une interview accordée à l'Obs – magazine fondé par Jean
Daniel, ami fidèle de la Tunisie et de Bourguiba - il expose sa
vision totalement inédite : « … je
souhaite une nouvelle organisation politico-administrative qui parte
du bas vers le haut... La souveraineté
appartient au peuple, tout doit partir de lui. C’est pourquoi, je
souhaite aussi que les mandats des élus soient révocables. La
constitution prévoit ses modalités de révision. Bien sûr il faut
la majorité des 2/3 ce qui n’est pas facile, surtout avec
l’éparpillement des voix. Ce sera à la chambre des députés de
prendre ses responsabilités devant le peuple. » Le
message est clair, conformément à la constitution, le nouveau
Président déposera sans tarder un projet d'amendement. Les députés
feront-ils de la résistance ? C'est improbable car le score
présidentiel de 72,7% a modifié les rapports de forces. Dans la
crainte d'une dissolution, ils feront allégeance d'autant que le
nouveau Président en se proclamant indépendant à jamais, s'est
positionné au dessus des querelles partisanes.
La
nouvelle démocratie Kaïs
Saïed sera vite jugé sur son habileté à amender le régime
parlementaire d'une chambre introuvable et d'un gouvernement
ingouvernable. Son dessein et sa méthode ne sont pas improvisés.
La
façon dont il a mené sa campagne en ayant l'air de ne pas y toucher
démontre une intelligence et une habileté singulières longuement
muries. On le croit isolé alors qu'il est
probablement discrètement entouré. Le Président sait qu'il devra
profiter de la dynamique de son élection et de l'état de grâce
pour vaincre le mur de l'argent élevé par la communauté de
connivence qui gangrène l'économie. Il disposera du soutien
populaire des « ouridoun », les volontaires qui ne
tarderont pas à s'organiser spontanément en mouvement de citoyens
« sans-culottes ». Il pourra compter sur la loyauté des
militaires qui pour la première fois étaient appelés à
voter. Mais il devra aussi très vite marquer son autorité sur les
forces de sécurités pour combattre la corruption et la contrebande.
Reste l'administration et la gestion du pays, dévolues au
Chef du gouvernement que le leader du parti majoritaire devra
proposer au nouveau Président. La négociation portera sur des
objectifs à résultats immédiats. Heureusement, la Tunisie ne
manque pas de talent et le patriotisme économique est une valeur en
renaissance dans la jeunesse. Toutes ces échéances réserveront
beaucoup de surprises.
Une
élection aux conséquences internationales La
popularité de l'homme nouveau devrait gagner l'ensemble du monde
arabe où ses propos solidaires de la cause palestinienne sont repris
sur les réseaux sociaux : « toute
relation avec Israël est un acte de haute trahison ! »
On attend de découvrir avec gourmandise le discours qu'il fera au
prochain sommet arabe et la tête que lui réserveront ses
collègues.
Sitôt
intronisé, le Président tunisien a promis que son premier
déplacement sera pour Alger car l'histoire, la géographie
et la bienséance imposent une visite de courtoisie à ce grand
voisin où il est déjà acclamé. Ailleurs, on se renseigne, on tâte
le terrain, on cherche un angle. Paris est déconcerté par cet
inconnu que nul n'a vu venir et qui n'est pas comme tous ses
prédécesseurs diplômé du Quartier latin.
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