jeudi 29 août 2019

Là-bas l'air est si doux qu'il empêche de mourir

Voici des semaines que je colloque avec moi même sur un sujet qui n'intéresse que moi. Pour tromper la solitude de cette réflexion, je soumets à quelques lecteurs indulgents le partage de cette épreuve qui abuse de leur temps.
Les pays arabes ont une douceur commune unique, celle de leurs hivers. D'octobre à mai, de Tanger à Manama, la température est clémente. Le soleil tempéré, les brises légères apaisent l'arthrite des vieux et réveillent l'esprit de la jeunesse. C'est en cette saison que fleurissent les révolutions qui souvent flétrissent au printemps.
Où hiverner cette année telle est ma question. Regardons ensemble le catalogue des destinations. 
L'Égypte charme chaque instant. Splendeur des paysages et des monuments, générosité et malice des habitants. Misr oum eddoniya. Égypte mère du Monde. Certes mais : insupportable misère, insupportable régime de terreur, insupportable dictature palpable à chaque instant. Passons notre chemin. 
Le Soudan voisin qui n'est guère différent est en passe de redevenir fréquentable. Patientons quelques saisons.
La Libye est une beauté méconnue. Déserts fascinants, plages sans fin, montagnes boisées et cascades limpides du Djebel Akhdar. Une population plurielle, des hommes fiers qui émergent d'une histoire millénaire ignorée. Voir Cyrène et mourir ! Probablement. Alors, ne nous pressons pas.
L'Algérie dépasse en attraits les autres terres d'Afrique du Nord, elle a tout pour plaire, sauf pour le confort du touriste qui d'ailleurs ne s'y hasarde guère. Depuis deux générations, les Algériens sont en réunion de famille. Ils se chamaillent et lavent leur linge sale. Ils sont trop occupé, alors ils délaissent leur bien-être et celui de leurs visiteurs. Tout y est devenu aléatoire, même l'aspirine et l'eau du robinet. Attendons que le hirak de quelques vendredis de plus fassent renaitre le pays.
En Tunisie, depuis huit ans que la révolution a éclos, elle n'en finit pas de perdre ses fleurs et de faire des bourgeons. Partir méditer chez les humbles dans le village perché de Chebika en relisant Jean Duvignaud, négocier pendant des heures l'achat d'une rose des sables pour le plaisir de siroter un thé en bonne compagnie. C'est tentant.
La Mauritanie m'est inconnue. Souvenir fugitif d'un voyage éphémère dans une capitale sans charme. Vue d'avion des dunes de sables résistant aux vagues de l'Atlantique. Les hommes bleus sont dignes et taiseux. Sauf à errer à dos de chameau dans le Sahara sans fin à la recherche de météorites ... je crains de me lasser.
J'allais oublier les Marocains : les plus fidèles des Arabes qui n'oublient jamais de rendre au centuple les bienfaits qu'on leur fait. Dans le royaume chérifien on est partout un hôte choyé. Ce n'est pas un hasard si chaque mois, un million de touristes y affluent. Le pays est vaste, il cache des milliers de paradis à explorer. Du coté de Tétouan au pied du cimetière de mes ancêtres les Gomari, un seul me suffira.
À Djibouti, de l'autre coté de l'Afrique cornue, la richesse côtoie la détresse. C'est un État garnison ou les uniformes de huit nationalités croisent les gueux. Chaque promenade est un choc. Sur le rivage d'Obok, rien n'a vraiment changé depuis Rimbaud. Les descendants d'Abdi, le docile petit mousse de Monfreid, sont pareillement soumis aux humiliations des raïs de boutres. Qu'irai-je y faire à part la charité de quelques pièces.
La Somalie voisine est une plus grande misère encore. Les requins abondent en mer et sur terre. La survie du plus fort est la loi des humains. Des femmes et des hommes de petite taille sont tous beaux avec leurs yeux qui pétillent. Communion parfaite dés la poignée de main. Hélas, je suis trop vieux pour y survivre huit jours à la guerre ou à la maladie même dans le paisible État fantôme du Somaliland.
Le Yémen est à la droite du cœur des Arabes. Aden, son port principal est construit autour du cratère d'un volcan de lave noire. C'est la ville la plus laide du monde mais elle cache quelques sublimes criques de sable blanc où paressent des tortues géantes et quelques couples de poètes insensés. Les femmes sont gracieuses, les hommes malicieux. Tous sont courageux. Au siècle dernier, ils ont vaincu les troupes britanniques, égyptiennes, soviétiques... Depuis quatre ans ils mettent la pâtée aux Saoudiens qui voudraient les asservir. Revoir Sahyoun, Tarim, Moka, Taez et Sanaa...serait un plaisir mais au prix de grands périls.
L'Arabie envoutante est hélas saoudite. La très sainte destination des pèlerins serait la terre promise des hivernants si sa gouvernance n'était pas féodale. Pour faire régner l'ordre par la terreur, on sabre chaque vendredi en place publique. Jamais moins de deux cents cous par an ! À éviter absolument.
En Irak, l'hiver est la plus belle saison. Ah, remonter lentement le Tigre et l'Euphrate depuis le Chott el Arabe jusqu'à Falloudja, puis, si on est encore vivant, pousser jusqu'à Damas. Soyons fou, osons aller à la rencontre des merveilles de la Mésopotamie et du Levant! Osons flâner en Syrie, musarder au Liban, méditer à Qods, se baigner à Gaza et pour finir, tenter de libérer la Palestine en jetant des pierres aux voleurs de terres. 
La Jordanie est sans grand risque, sa capitale Amman est sans charme, mais Pétra mérite l'excursion. 
Le Qatar sur le Golfe Persique est un bac à sable dont les poussières et les vapeurs de gaz piquent les yeux. Sa capitale Doha est une base de survie pour milliardaires et domestiques. Hotels de luxe et hypermarchés. On s'y ennuie copieusement.
Le Koweit n'est pas plus attractif, c'est Monaco sans corniche ni casino.  
Bahrein est pire. Ni l'un ni l'autre ne valent le détour sauf pour les Saoudiens qui viennent en voisin et en cachette y boire un coup
Les Emirats Arabes Unis sont au nombre de sept. Le plus riche est Dubaï, le plus puissant Abu Dhabi. Deux villes prodigieuses de modernité et de confort. Les cinq autres petits royaumes n'ont pas grand intérêt. Les Émiriens sont des gens charmants dont la compagnie est toujours agréable. Mais ils sont rares car très peu nombreux. On peut passer un an chez eux sans jamais en croiser un seul. Ne pas oublier d'emporter quelques volumes de la Pléiade pour ne pas bronzer idiot.
Le Sultanat d'Oman sommeille à l'embouchure du Golfe Persique en bordure de la mer des Arabes. C'est un pays méconnu. Le vieux sultan est à l'image des contes pour enfants: inlassablement il prêche la concorde. Il ne s'est jamais fâché avec quiconque. C'est un sage qui règne sur un peuple de sages musulmans: les ibadites. Ces héritiers de la plus ancienne école de l'islam sont  tolérants. Ils consacrent leur vie à aimer, oui à aimer (vous avez bien lu). Mascate, la capitale est une jolie ville où Chirac séjournait souvent en fin d'année, Salalah est une oasis sur mer où tout n'est que sérénité calme et beauté. En hiver, Oman est définitivement la seule terre paisible du Moyen Orient où il fait bon vivre.
Finalement, sur la vingtaine de pays arabes précités seulement trois sont compatibles avec mes exigences de confort et d'éthique. Entre le Maroc et       Oman mon cœur balance. Mais il y a aussi Djerba, l'île tunisienne peuplée de gentils ibadites de la même école que leurs frères d'Oman. Djerba la plus belle des escales d'Ulysse évoquée par Flaubert dans Salammbô: « cette île couverte de poudre d'or de verdure et d'oiseaux, où les citronniers sont hauts comme des cèdres et où l'air est si doux qu'il empêche de mourir ». Par les temps qui courent, ce n'est pas rien !


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