Là-bas l'air est si doux qu'il empêche de mourir
Voici
des semaines que je colloque avec moi même sur un sujet qui
n'intéresse que moi. Pour tromper la solitude de cette réflexion,
je soumets à quelques lecteurs indulgents le partage de cette
épreuve qui abuse de leur temps.
Les
pays arabes ont une douceur commune unique, celle de leurs hivers.
D'octobre à mai, de Tanger à Manama, la température est clémente.
Le soleil tempéré, les brises légères apaisent l'arthrite des
vieux et réveillent l'esprit de la jeunesse. C'est en cette saison
que fleurissent les révolutions qui souvent flétrissent au printemps.
Où
hiverner cette année telle est ma question. Regardons ensemble
le catalogue des destinations.
L'Égypte charme
chaque instant. Splendeur des paysages et des monuments, générosité
et malice des habitants. Misr oum eddoniya. Égypte mère
du Monde. Certes mais : insupportable misère, insupportable
régime de terreur, insupportable dictature palpable à chaque
instant. Passons notre chemin.
Le Soudan voisin
qui n'est guère différent est en passe de redevenir fréquentable.
Patientons quelques saisons.
La
Libye est une beauté méconnue. Déserts fascinants, plages
sans fin, montagnes boisées et cascades limpides du
Djebel Akhdar. Une population plurielle, des hommes fiers qui
émergent d'une histoire millénaire ignorée. Voir Cyrène et
mourir ! Probablement. Alors, ne nous pressons pas.
L'Algérie dépasse
en attraits les autres terres d'Afrique du Nord, elle a tout pour
plaire, sauf pour le confort du touriste qui d'ailleurs ne s'y
hasarde guère. Depuis deux générations, les Algériens
sont en réunion de famille. Ils se chamaillent et lavent
leur linge sale. Ils sont trop occupé, alors ils délaissent leur
bien-être et celui de leurs visiteurs. Tout y est devenu
aléatoire, même l'aspirine et l'eau du robinet. Attendons que le hirak de quelques vendredis de plus
fassent renaitre le pays.
En Tunisie,
depuis huit ans que la révolution a éclos, elle n'en finit pas
de perdre ses fleurs et de faire des bourgeons. Partir
méditer chez les humbles dans le village perché de Chebika en
relisant Jean Duvignaud, négocier pendant des heures l'achat d'une
rose des sables pour le plaisir de siroter un thé en bonne
compagnie. C'est tentant.
La
Mauritanie m'est inconnue. Souvenir fugitif d'un voyage
éphémère dans une capitale sans charme. Vue d'avion des
dunes de sables résistant aux vagues de l'Atlantique. Les
hommes bleus sont dignes et taiseux. Sauf à errer à dos de
chameau dans le Sahara sans fin à la recherche de météorites ...
je crains de me lasser.
J'allais
oublier les Marocains : les plus
fidèles des Arabes qui
n'oublient jamais de rendre au centuple les bienfaits qu'on leur
fait. Dans le royaume chérifien on est partout un hôte choyé. Ce
n'est pas un hasard si chaque mois, un million de touristes y
affluent. Le pays est vaste, il cache des milliers de paradis à
explorer. Du coté de Tétouan au pied du cimetière de mes ancêtres les Gomari, un seul me suffira.
À Djibouti,
de l'autre coté de l'Afrique cornue, la richesse côtoie la
détresse. C'est un État garnison ou les uniformes de huit
nationalités croisent les gueux. Chaque promenade est un choc. Sur
le rivage d'Obok, rien n'a vraiment changé depuis Rimbaud. Les
descendants d'Abdi, le docile petit mousse de Monfreid, sont
pareillement soumis aux humiliations des raïs de boutres.
Qu'irai-je y faire à part la charité de quelques pièces.
La Somalie voisine
est une plus grande misère encore. Les requins abondent en mer et
sur terre. La survie du plus fort est la loi des humains. Des femmes
et des hommes de petite taille sont tous beaux avec leurs yeux qui
pétillent. Communion parfaite dés la poignée de main. Hélas, je
suis trop vieux pour y survivre huit jours à la guerre ou à la
maladie même dans le paisible État fantôme du Somaliland.
Le Yémen est
à la droite du cœur des Arabes.
Aden, son port principal est construit autour du cratère d'un volcan
de lave noire. C'est la ville la plus
laide du monde mais elle cache quelques sublimes criques de sable
blanc où paressent des tortues géantes et quelques couples de poètes
insensés. Les femmes sont gracieuses, les hommes malicieux. Tous sont courageux. Au siècle dernier, ils ont vaincu les troupes britanniques, égyptiennes, soviétiques...
Depuis quatre ans ils mettent la pâtée aux Saoudiens
qui voudraient les asservir. Revoir Sahyoun, Tarim, Moka, Taez et
Sanaa...serait un plaisir mais au prix de grands périls.
L'Arabie envoutante
est hélas saoudite. La très sainte destination des pèlerins serait
la terre promise des hivernants si sa gouvernance n'était pas
féodale. Pour faire régner l'ordre par la terreur, on sabre chaque
vendredi en place publique. Jamais moins
de deux cents cous par an ! À éviter absolument.
En Irak,
l'hiver est la plus belle saison. Ah, remonter lentement le Tigre et
l'Euphrate depuis le Chott el Arabe jusqu'à Falloudja, puis, si on
est encore vivant, pousser jusqu'à Damas. Soyons fou, osons aller à
la rencontre des merveilles de la Mésopotamie et du Levant! Osons flâner en Syrie, musarder au Liban,
méditer à Qods, se baigner à Gaza et pour finir, tenter de libérer
la Palestine en jetant des pierres aux voleurs de terres.
La Jordanie est sans grand risque, sa capitale Amman est sans charme, mais Pétra mérite l'excursion.
Le Qatar sur
le Golfe Persique est un bac à sable dont les poussières et les
vapeurs de gaz piquent les yeux. Sa capitale Doha est une base de
survie pour milliardaires et domestiques. Hotels de luxe et
hypermarchés. On s'y ennuie copieusement.
Le Koweit n'est
pas plus attractif, c'est Monaco sans corniche ni casino.
Bahrein est
pire. Ni l'un ni l'autre ne valent le détour sauf pour les Saoudiens
qui viennent en voisin et en cachette y boire un coup
Les Emirats
Arabes Unis sont au nombre de sept. Le plus riche est Dubaï,
le plus puissant Abu Dhabi. Deux villes prodigieuses de modernité et
de confort. Les cinq autres petits royaumes n'ont pas grand intérêt.
Les Émiriens sont des gens charmants dont la compagnie est toujours
agréable. Mais ils sont rares car très peu nombreux. On peut passer
un an chez eux sans jamais en croiser un seul. Ne pas oublier
d'emporter quelques volumes de la Pléiade pour ne pas bronzer idiot.
Le
Sultanat d'Oman sommeille à l'embouchure du Golfe Persique en
bordure de la mer des Arabes. C'est un pays méconnu. Le vieux sultan
est à l'image des contes pour enfants: inlassablement il prêche la
concorde. Il ne s'est jamais fâché avec quiconque.
C'est un sage qui règne sur un peuple de sages musulmans: les
ibadites. Ces héritiers de la plus ancienne école de l'islam sont tolérants. Ils consacrent leur vie à aimer, oui à aimer (vous avez bien
lu). Mascate, la capitale est une jolie ville où Chirac séjournait souvent en fin d'année, Salalah est une oasis sur mer où tout
n'est que sérénité calme et beauté. En hiver, Oman est
définitivement la seule terre paisible du Moyen Orient où il fait
bon vivre.
Finalement,
sur la vingtaine de pays arabes précités seulement trois sont
compatibles avec mes exigences de confort et d'éthique. Entre le
Maroc et Oman mon cœur balance. Mais il y a aussi Djerba, l'île
tunisienne peuplée de gentils ibadites de la même école que leurs
frères d'Oman. Djerba la plus belle des escales d'Ulysse évoquée par Flaubert dans Salammbô: « cette île couverte de poudre d'or de verdure et d'oiseaux, où les citronniers sont hauts comme des cèdres et où l'air est si doux qu'il empêche de mourir ».
Par les temps qui courent, ce n'est pas rien !
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