jeudi 25 août 2022

Secrets d'histoires secrètes

C’est une femme sans âge au regard vif et droit qui vous serre la main avec la vigueur d’un gladiateur. Il faut dire qu’elle est d’un genre particulier car par son père, héros de la dernière guerre, elle appartient à une lignée d’un monde à part : celui des services secrets. Elle est d’ailleurs membre de la très sélective association des anciens qui dissimule leurs souvenirs derrière un acronyme mystérieux A.A.S.S.D.N. 

L’ Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale a pour objet d’entretenir la mémoire des hommes discrets. Ses adhérents pensent qu’il n’est pas raisonnable de prolonger l’anonymat au-delà de la tombe et que passés plusieurs générations, les exploits des défunts de l’ombre méritent bien un trait de lumière.

 

Le dernier livre de Marie Gatard publié au début de l’été chez L’Harmattan sous le titre pudique « Les silencieux des services spéciaux 1940-1945 » préfacé par Max Gallo est une réédition de « La pierre qui parle » (2008) dont la diffusion avait été restreinte. Pour l’instant l’ouvrage est passé inaperçu. Il ne s’est  échangé ni sur les plages de Pampelonne ni sur celle de l’Escalet. Pourtant, tout près de là, des milliers d’estivants sont passés devant le mémorial de Ramatuelle où sont gravés les noms des quelques 320 femmes et hommes des services de renseignement morts pour la France durant la seconde guerre mondiale. L’auteure a rassemblé quelques bribes de leur parcours héroïque.

 

En 1939 à la veille de la guerre, le renseignement militaire français se composait d’une modeste équipe placée sous les ordres d’un colonel, mais qui disposait d’un formidable réseau d’informateurs infiltrés dans les armées allemande et italienne. Depuis le début des années 30, ils savaient tout ce qu’il se tramait outre Rhin ; ils informaient au jour le jour leur hiérarchie qui transmettait au gouvernement…qui n’en tenait pas compte. En ces temps-là, (ça n’a pas beaucoup évolué depuis) pour lire l’avenir, les politiques faisaient plus confiance aux cartomanciennes qu’aux services spéciaux.  

Alors, quand les Allemands arrivent comme prévu aux portes de la capitale, ils quittent Paris avec armes et bagages et se regroupent autour de leur chef à Bon Encontre près d’Agen où ils prêtent  serment de résister à l’occupant. Dans un premier temps conformément aux accords d’armistice, ils donnent le change et obéissent au régime de Vichy mais en parallèle ils créent un service clandestin basé à Marseille, « les Travaux Ruraux » avant de se replier sur Alger.


Consulter les archives des services spéciaux est une relecture de l’histoire qui donne le tournis. C’est ce que confesse l’auteure qui a épluché les documents enfouis dans les bibliothèques des armées, les associations d’anciens résistants et même dans les greniers des familles de disparus. Son dernier ouvrage rappelle des détails de récits peu connus du grand public et met à jour des inédits.

 

Ainsi, en décembre 1942, Himmler écrit personnellement à Hitler pour lui rapporter le fruit de sa collaboration avec le tristement célèbre René Bousquet secrétaire général de la police française. Ensemble ils ont démantelé le réseau « K » du résistant Robert Keller, ingénieur des PTT et agent des services de renseignement français.  Il avait réussi à brancher avec l’aide de son équipe des bretelles d’écoute sur 550 lignes téléphoniques entre Berlin et Paris pour espionner six mois durant les armées allemandes. 

Un autre exploit fut l’achat chez un transfuge allemand des plans « d’Enigma » qui permit à l’issue d’une coopération avec les services polonais puis britanniques de reproduire la machine à crypter et de casser les codes de transmission de l’armée allemande. 

 

Nombre de récits extraordinaires et poignants ponctuent l’ouvrage comme celui du réseau Morhange, ou des vaillantes « Merlinettes ». En annexe quelques lettres laissées par les condamnés à mort dont le nom est gravé au mémorial de Ramatuelle. 

Ainsi Pierrette Louis 24 ans qui écrit depuis Ravensbrück où elle va être exécutée : « …cette mort-là, c’est la seule que je souhaite, c’est la plus belle, mon âge ne compte pas….cette mission dont je ne reviendrai pas, je ne l’ai pas subie comme un ordre. Non. J’ai pensé, j’ai choisi…dès lors donner ma vie n’est plus un sacrifice ». 

Ainsi le journaliste Robert Pelletier dont l’épouse sera internée, dont le fils aîné a été tué au combat et dont le cadet de 11 ans vient d’être arrêté, écrit son ultime lettre avant d’être fusillé : « il ne faut pas penser à moi dans la tristesse, car ma seule souffrance est la pensée de votre tristesse »

 

Mais Marie Gatard ne se contente pas de relater les exploits et les sacrifices des femmes et des hommes de l’ombre, elle va beaucoup plus loin. Journaliste, passionnée d’histoire, elle glisse entre les pages avec modestie quelques inédits stupéfiants. L’une de ses révélations pourrait bien faire quelques bruits dans nos relations avec l’Afrique du Nord, région écorchée vive depuis la décolonisation et où la politique du moment a souvent tendance à appeler les péripéties de l’histoire comme arguments suprêmes sans jamais les replacer dans leur contexte.

 

Le 8 novembre 1942, les troupes américaines et britanniques débarquent en Maroc et en Algérie « pour fermer les ports d’Afrique à l’ennemi » dira Roosevelt. C’est l’opération « Torch ». En Afrique du Nord, les populations civiles et militaires françaises ou « indigènes » sont divisées entre le choix de l’allégeance à Pétain et Hitler et le combat pour la liberté mené par les Généraux rivaux Giraud et De Gaulle. 

C’est ce moment que le sultan du Maroc Mohamed V aurait choisi pour adresser à Hitler par le truchement du vice-Consul Kruger Chef des services secrets allemands au Maroc, une missive dont le contenu sera intercepté pas les services français. Sur un ton obséquieux, le monarque assure le Furher qu’il ignorait tout du plan anglo-américain et que son peuple est prêt à reprendre l’insurrection contre la France. Pour gage de sa bonne volonté, il désigne les dépôts d’armes français camouflés à la Commission d’Armistice et propose « d’attaquer les ponts et voies de communication marocaines par lesquels les Américains ravitaillent les troupes en Algérie ». 

Marie Gatard commente sobrement : « On peut comprendre que le chef des marocains ait tenté de pactiser avec ceux qui nous avaient vaincus » Elle ajoute avec malice : « À la Libération, le général De Gaulle a fait du sultan un Compagnon de la Libération pour un de ces motifs que seuls les extralucides de la haute politique peuvent concevoir… »

Ce document sujet à caution émane d’une source qui ne l’est pas. Vérité cruelle, manipulation, intox…? Tout est possible. Le tribunal des historiens jugera.

 

Une autre révélation inédite est celle du projet de discours que Pétain envisageait de prononcer à la libération de Paris. La pelure, (copie) du document dactylographié daté à la main « août 1944 » a été subtilisée sur le bureau du Maréchal à Vichy par un sous-officier du contre-espionnage clandestin français. Canular ? S’interroge Marie Gatard qui retranscrit intégralement le texte. C’est peu probable car il provient des archives personnelles du légendaire Colonel des renseignements Paul Paillole qui dit-elle « n’était pas connu pour goûter les plaisanteries de carabins ».

 

Pour découvrir quelques secrets de l’Histoire secrète de cette période : « Les silencieux des services spéciaux 1940-1945 » de Marie Gatard sont des bonnes feuilles que l’automne n’est pas près de disperser. 


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