lundi 26 septembre 2022

TuniZie

La « TuniZie » a perdu le « S » de son bon sens et s’écrit avec un « Z » depuis que les observateurs - même les plus indulgents - , pointent la dégringolade du pays dont l’audace fut jadis de prétendre à la démocratie. Démonstration est faite que cette vertueuse forme de gouvernance occidentale n’est pas compatible avec les conditions héritées du colonialisme et de l’indigénat. Le « printemps arabe » était une formule empruntée au titre d’un livre publié en 1959 par Benoist-Méchin, journaliste talentueux mais sinistre admirateur d’Hitler et de la dynastie saoudienne. C’était un mauvais présage. La révolte tunisienne de 2011 exprimait l’espoir de la chute en cascade des dictateurs arabes. Onze années plus tard, le bilan est rageant. L’hiver arabe, partout s’est réinstallé augurant une hibernation dont on ne voit pas la fin.


La Tunisie, pays de naissance des soulèvements arabes avortés a achevé sa révolution autour de son expérience démocratique. Elle est revenue au point de départ. Avant hier, dans un village, un marchand des quatre saisons empêché de commercer s’est pendu. Hier en plein centre ville un quadragénaire sans le sou s’est immolé devant les passants tétanisés. Dans le même temps, fuyant la misère à la rame, des dizaines de jeunes se noyaient. 

Alors, comment nommer ce pays éclaté façon puzzle autrement qu’en déconstruisant son nom comme le fit jadis un héros oublié: Zouhair Yahyaoui tué à petit feu pour avoir fondé un cyber-journal TuneZine. C’était en 2001 ! Emprisonné, torturé, il est mort  sans voir le printemps. En 2017, l’éphémère révolution lui a rendu un curieux hommage par l’émission d’un timbre poste à son effigie célébrant la Journée Nationale de la Liberté d’Internet. Cette liberté d’expression vient d’être abolie la semaine dernière par un décret-loi du Président tunisien qui criminalise désormais toute opinion subversive sur les réseaux sociaux. Cinq ans de prison ! Peine doublée en cas d’offense à un agent de l’État. 


Le premier visé est « Z » un vétéran cyber-dissident de la première heure. Depuis, 2008, « Z » signe les articles et les dessins de son blog débatunisie.com . Perspicace et méfiant, il est toujours resté prudemment  anonyme. On ne sait de lui que son âge 43 ans, et son métier, architecte-urbaniste. Observateur  perspicace pertinent, il a décrit au fil de l’actualité les prémices du dézingage de la démocratie tunisienne. Il a notamment alerté ses lecteurs sur les conséquences de l’élection présidentielle surréaliste de septembre 2019 qui a ouvert la voie au putsch de juillet 2021 et à une cascade de décrets-lois liberticides. 

 

« Z » est le Rushdie tunisien, un Charlie en sursis. Il est le blasphème personnifié, documenté, caricaturé, revendiqué, assumé, il est le Zola ou le Voltaire de Carthage, il est le courage jusqu’au bout des doigts. « J’ai « profité » de mon anonymat durant ces dernières années pour jouer avec le feu, et servir presque de cobaye afin de mesurer sans prétention scientifique, ce phénomène. Mes dessins blasphématoires me valent des centaines de menaces… » 

Pour se rassurer peut-être pense-il que s’attaquer à l’humour, c’est se ridiculiser à jamais. Nul ne s’est jamais avisé de s’en prendre à Brassens, Reiser, Coluche, Plantu…d’interdire le Canard enchainé ou les Guignols de l’Info. La tuerie de masse de Charlie Hebdo a mondialisé l’audience du journal et immortalisé son titre. Elle a affaibli ses instigateurs. 


À Tunis derrière « Z » se cache un caricaturiste, un poète, un analyste politique de talent qui n’y va pas avec le dos de la cuillère. Nul autre humoriste n’a jamais été aussi loin dans la provocation. 

Ses dessins, sont d’une grossièreté extrême. Le Président sodomise la république, une femme politique est figurée en croupion, le palais de Carthage en lupanar, la Kaaba dévoilée de la Mecque révèle une partouze endiablée… Traits précis, couleurs chatoyantes, bulles en arabe ou français désopilantes. C’est de la BD de qualité qui ne se limite pas à dessiner la bouffonnerie de l’actualité, elle documente, commente et analyse les faits. Mieux l’auteur inscrit son oeuvre picturale et littéraire dans un récit épique de l’histoire de la Tunisie où se mêlent des descriptions poétiques et burlesques locales ou étrangères dans l’univers loufoque des « allahistes », des « flamants roses, » des Ben Simpsons… L’ancien dictateur prénommé Zine était « Zaba », l’actuel Président Saïed est « Zabaïed". Prétendre que ce « Z » est connoté « zob » est une vulgarité que ne souligne jamais le blogger. Ne mélangeons pas grossièreté et vulgarité disait Coluche. Le doigt d’honneur reste subliminal.


Au fil des ans, « Z » a fidélisé une large communauté de lecteurs, aucun journaliste, aucun diplomate, aucun homme politique ne néglige la lecture de son blog. Mais la société bien pensance puritaine veille et censure. C’est ainsi que 90 000 de ses abonnés sur Facebook ont reçu le message suivant: « contenu supprimé pour non-respect de nos Standards de la communauté ». Un homme autant détesté mérite respect et curiosité.

En grec « Z » signifie:  il est en vie.

En Tunizie  « Z »  et lutte encore ici: http://www.debatunisie.com


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