Il y a quelques semaines, Tribune Juive publiait un de mes articles sur la Tunisie sans mon consentement. Habitué au piratage, je protestais mollement, André Mamou son rédacteur en chef s’excusait pareillement.
J’écris pour être lu. Alors, la reproduction de mes élucubrations sans permission ne me choque plus vraiment. Chacun voit midi à sa porte. Ma signature est galvaudée dans des publications de gauche ou de droite, extrêmes ou modérées, en France et quelques fois à l’étranger. Comme je n’ai jamais publié mon cv ni mes confidences de canapé, certains se méprennent sur mes opinions, ils pensent que je suis des leurs. J’en ris ou j’en grogne mais au fond j’en suis flatté. Mon indépendance est le luxe ultime d’un retraité au passé discret qui rédige des articles comme d’autres font des mots-croisés. Pour autant et qu’on se le dise, contrairement à Palestine Solidarité, Tribune Juive n’est carrément pas ma tasse de thé.
Shireen Abu Akleh et Adnan Khashoggi sont les deux faces de la même médaille: celle des martyrs du journalisme victimes du terrorisme d’État. On se souvient des conditions atroces dans lesquelles Adnan a été trucidé. Le choc avait été amplifié par le déni des autorités saoudiennes. L’infox de la monarchie wahhabite avait répandu des mensonges à grande échelle. Complaisamment d’aucuns l’avaient relayée pour semer le doute. Après tout il était possible que cette équarrissage fut l’effet d’une succession de hasards et que l’incontrôlable scie sauteuse des diplomates eût été manipulée par des services de renseignements malintentionnés, voire par des esprits malins ! Nonobstant les accusations de la CIA, le Prince que l’on sait bon et humain car il achète des armes et des consciences, n’avait pu en être l’instigateur voyons ! Il n’empêche, l’opinion mondiale unanime avait finalement été choquée par tant de duplicité et seuls quelques opportunistes avaient trouvé là le moyen de multiplier le prix de leur servilité. Pourtant, le Prince le plus riche et le plus sanglant de la terre a gagné la réputation qu’il ambitionnait car nul ne veut plus l’approcher ni même évoquer son nom par crainte de finir écorché. Mieux, sa méthode a fait école jusqu’en Russie !
L’assassinat prémédité de Shireen est pareillement abject car non seulement il ôte la vie d’une journaliste dans l’exercice de son métier, mais il s’accompagne d’une mise en scène qui vise à semer la peur et décourager tout reportage dans les terres colonisés. Chaque correspondant de guerre sait qu’il est désormais en ligne de mire. C’est le signe de la dérive arrogante du pouvoir de Tel Aviv, jamais rabattu par ses amis étrangers qui complaisamment esquivent et regardent ailleurs, confortant ainsi son sentiment d’impunité.
Triste destinée de ces deux journalistes serviteurs de la vérité; tués, profanés et enfin insultés par les mensonges de leurs assassins qui ont cyniquement tenté de travestir les circonstances de leur tuerie.
Shireen Abu Akleh, palestinienne de nationalité américaine, correspondante d’Al Jazeera est visée le 11 mai 2022 alors qu’elle couvre avec des confrères une manifestation de rue à Jénine en Cisjordanie. La balle lui transperce le cou juste au dessus de son gilet de protection sur lequel est inscrit en grandes lettres blanches « PRESS ». Elle est tuée sur le coup. Son coéquipier Ali Samudi reçoit un projectile dans le dos.
Immédiatement la propagande de l’état hébreu est mobilisée. Le domicile de la victime est perquisitionné. Aucune arme, aucune roulette russe n’y est découverte, ce qui aurait pourtant fait l’affaire des enquêteurs. Les réseaux sociaux aux ordres répandent l’hypothèse invraisemblable du tireur complice. Meurtre par auto commanditation, c'est un palestinien qui aurait tué pour provoquer un cycle de violence incriminant l’innocente armée israélienne. Ben voyons ! Plus la ficelle est grosse plus grande est la quantité de naïfs qui s’y accrochent.
Il y a 22 ans, sous les yeux de Charles Enderlin qui filme pour antenne 2, un gamin de 12 ans était assassiné dans les bras de son père par un soldat israélien. Niant l’évidence des images et pour dégager la responsabilité de son armée, Israël avait tenté de faire croire que l’assassin était palestinien.
Aujourd’hui, un porte parole galonné admet dans une subliminale confession-lapsus que « la journaliste (Shireen) était armée d’une caméra ». Cette provocation, cette menace « armée » méritait bien une balle ! Le Lt-colonel Amnon Shefler cancane devant la presse que les soldats israéliens « ne cibleraient jamais délibérément des non-combattants » Calomnie qui est une insulte supplémentaire à la mémoire de milliers de familles palestiniennes endeuillées. Le Premier ministre Naftali Bennett en rajoute une couche en déclarant qu'il y avait « une chance considérable que des Palestiniens armés, qui ont tiré sauvagement, soient ceux qui ont causé la mort malheureuse de la journaliste » .
Parmi les premières dépêches, un flash info fait preuve d’une extrême circonspection: « Des gilets, clairement identifiés, ont été ciblés par des snipers israéliens » Décryptage: « Des gilets » dans lesquels il y avait peut-être des êtres humains ; « clairement identifiés » peut-être des journalistes; « ont été ciblés » cibler n’est pas tirer; « par des snipers israéliens » pas forcément des militaires. C’est d’une prudence de sioux, déjà la crainte inspire le choix des mots. Ça fait froid dans le dos. Heureusement Anthony Bellanger, secrétaire général de la Fédération Internationale des Journalistes qui rassemble 600 000 professionnels des médias a vite cassé cette langue de bois et dissipé le flou de ses confrères en déclarant: « C’est un drame. Une consœur a été assassinée délibérément par l’armée israélienne ! » Au sein des instances de la FIJ on évoque même un crime de guerre.
Le 13 mai, jour de l’enterrement de Shireen, le cercueil porté par la famille et les amis quitte la morgue de l’hôpital Saint-Joseph à Jérusalem-Est. Des centaines et des milliers veulent l’accompagner. La police s’y oppose. Elle exige un transport en fourgon. À coups de matraques elle tente de s’approprier la dépouille mortuaire. Cette scène, - très justement qualifiée d’obscène par Alain Gresh - est diffusée par toutes les chaines d’infos du monde. L’indignation est unanime. Aussitôt, la propagande israélienne redouble d’efforts, elle répand de nouvelles sornettes pour tenter de justifier l’injustifiable. Voici l’argumentaire de la police israélienne complaisamment propagé par les médias de Tel Aviv en France.
« La Police Israélienne est intervenue pour disperser la foule et l’empêcher de s’emparer du cercueil, afin que les funérailles puissent se dérouler comme prévu, en accord avec les souhaits de la famille… » Faux, tous les membres de la famille Abu Akleh ont au cours d'une conférence de presse formellement contesté cette affirmation. « La presse internationale s’est bornée à relayer le narratif palestinien, lancé par des journalistes palestiniens installés à Gaza et d’autres sources au professionnalisme contestable… » Éternel refrain de la presse manipulée. Le but est d’instiller le doute. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose. « Il n’y a pas d’autre explication à l’aveuglement volontaire de la presse internationale qu’un antisémitisme manipulateur et pervers… » C’est l’argument massue suprême de l’amalgame. Israël use et abuse de la religion d’État et s’en sert comme bouclier pour écarter toutes critiques. Dénoncer la violence colonialiste de l’État hébreux est systématiquement perçu comme un crime attentatoire au peuple juif.
Cette lamentable rhétorique est reproduite dans un article publié le 15 mai par Tribune Juive, un web magazine dont je ne vous conseille pas la lecture.
https://orientxxi.info/magazine/obscenites-israeliennes-complicites-occidentales-et-arabes,5610
https://www.jpost.com/arab-israeli-conflict/article-706862
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