Le vote des bi-nationaux franco maghrébins peut faire basculer le scrutin du 24 avril. Pour séduire cet électorat, Macron réitère sa technique d'aguichage diplomatique subtile qui avait contribué à son succès en 2017.
Le premier tour des élections présidentielles a dessiné un nouveau paysage politique de la France secouée par plusieurs séismes dont le plus important n’est peut-être pas celui qu’on croit. Le parti socialiste est réduit à la taille d’un groupuscule d’appoint. Les écologistes et les communistes sont confinés dans leur marginalité. Le parti des gaullistes trahi de toutes parts est menacé de ruine. La droite extrême triomphe, elle est contenue de justesse par l’ambigu président sortant. Le duel du second tour sera arbitré par la gauche populaire insoumise qui a réussi à agréger les oppositions de la France des oubliés. L’issue est incertain car le leader de l’opposition Jean Luc Mélenchon qui ne s’estime pas propriétaire des 7,7 millions de voix portées sur son nom n’a pas donné de consigne : « les Français sont capables de décider ce qu’il est bon de faire…MAIS Je répète, il ne faut pas donner une seule voix à Madame Le Pen »
« La légende » du vote musulman
Dans l’état major d’Emmanuel Macron, après avoir scruté à la loupe les résultats des bureaux de votes on s’est vite rendu compte que les électeurs de Mélenchon étaient les oubliés du quinquennat, les prolétaires, les sans dents pour reprendre l’expression hideuse de Hollande. Rien de surprenant pour les sociologues habitués à manier le concept de fonction tribunitienne pour caractériser le parti de La France insoumise, mais très édifiant lorsque le rapprochement des données met en évidence une corrélation entre ce peuple de gauche et le teint de sa peau.
Aux Antilles et à la Réunion, Mélenchon est arrivé en tête, dépassant même la majorité absolue dans quelques circonscriptions. Les Français d’Afrique ont voté dans le même sens. En Métropole, les « remplaçants » redoutés par Zemmour/Le Pen ont massivement voté insoumis. Un sondage IFOP-La Croix est venu affirmer que 69% des musulmans avaient plébiscité Mélenchon.
Dès lors, Macron s’est lancé dans une opération de charme pour câliner cette catégorie de citoyens. En direct et de façon « improvisée » il a échangé avec une femme voilée, d’autres initiatives sont en attente de décision mais il n’est pas facile de plaire aux uns sans déplaire aux autres. Dans la discrétion, l’Élysée a déployé une diplomatie parallèle qui laisse supposer que la Françafrique surtout celle du Nord, conserveraient une influence déterminante sur une partie de l’électorat français.
Déjà, en 2002 des « études » sous le manteau révélaient que Jospin avait perdu car Alger le voulait bien. En 2012 les politologues avaient constaté que les circonscriptions à forte communauté musulmane avaient massivement voté Hollande.
Dans sa dernière enquête, « L’Emprise ou La France sous influence » (Seuil Mars 2021) le journaliste Marc Endeweld décrypte magistralement l’équipée du candidat Macron à Alger en 2017 avec le célèbre Benalla et quelques autres conseillers de l’ombre.
La double allégeance civile et religieuse « des petits remplaçants »
La presque totalité des Français musulmans sont des binationaux par le droit du pays de leurs ancêtres. Civilement, le pays d’origine ne s’efface pas. Pour les gouvernants des deux rives, cette population de « bi » est celle des « ni-ni »: pas totalement émancipés, pas totalement nationaux. Alger, Rabat et Tunis continuent d’exercer une influence plus ou moins autoritaire sur le devenir de leurs « émigrés-binationaux ». Les hommes politiques français ont pour leur part tendance à considérer ces bi-citoyens comme des « citoyens consulaires », à maturité réduite qu’il est bien pratique d’aller manipuler avec le concours des chancelleries étrangères.
Cette dépendance « civile » s'additionne à celle du religieux.
Certes, depuis des décades, l'État tente laborieusement de susciter l’émergence d’un « clergé » musulman de France indépendant. Cette tache est du ressort du ministère de l’Intérieur, ministère des cultes dont l’obsession prioritaire est ailleurs. « Aux dernières élections municipales, dans deux villes au moins de l’agglomération parisienne, le pouvoir a été près de basculer aux mains de listes communautaires. » alerte en frissonnant le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin dans son livre « Le séparatisme islamiste » publié aux Éditions l’Observatoire. Dans tous les pays, les imams sont fonctionnaires. Sauf en France. Loi 1905 oblige. Mais cela n’empêche pas l’État français de s’ingérer par le truchement d'une politique de coopération post coloniale.
Il existe officiellement en France 2 500 mosquées où officient en permanence 1 200 imams. 80% d’entres eux ne sont pas de nationalité française. 300 sont payés par un gouvernement étranger: principalement Algérie, Maroc, Turquie, 300 prieurs supplémentaires sont appelés « en renfort » pendant le mois de ramadan. Un rapport du Sénat pointe que la plupart de ces religieux à la formation incontrôlée, ne maitrisent pas la langue française. Depuis les années 80, tous les efforts d’émancipation de cette communauté religieuse dont la présence remonte à l’an 619 et qui est aujourd’hui estimée à plus de huit millions, ont été sabotés par la volonté abusive partagée des gouvernants des deux rives pour exercer leur diplomatie d’influence et globaliser l’aspect sécuritaire de leur vision de l’islam.
Diplomatie électorale et ingérence de l’État
Dans les mosquées de France très fréquentées en ce mois de ramadan, quel mot d’ordre est propagé? Si une ribambelle d’informateurs, d’analystes et de sondeurs écoutent aux portes des salles de prières de Sarcelle, Trappes, Drancy ou Nanterre…ce n’est pas seulement pour débusquer les influenceurs de Syrie, d’Arabie ou de Tchéchénie mais surtout pour entendre des propos électoraux bien inspirés du Maghreb ou de Turquie.
Le mois dernier Gilles Kepel, sociologue doublement réputé pour son savoir et sa proximité avec Emmanuel Macron a été reçu à Ankara par un collaborateur d’Erdogan. Au cours de cet échange, la situation de la communauté turque et musulmane vivant en France, la montée de l'Islamophobie et de la xénophobie en Europe… » ont été discutées précise le communiqué.
Il ya quelques jours l’envoyé très spécial du Président français a été reçu à Tunis par le Président tunisien qui lui a d’emblée déclaré « Nous avons dépassé le 19ème siècle, l’ère de Jules Ferry est révolue …»
Nul ne s’est déplacé à Rabat. Il faut dire qu’entre le roi et le Président français, la lune de miel amorcée au lendemain de son élection en 2017 a été de courte durée. Malgré l’affaire Pégasus les relations en matière sécuritaire restent étroites mais les échanges politiques sont désormais rares. Personne n’imagine par ailleurs que Sa Majesté puisse se mêler d’affaires républicaines. La diplomatie marocaine est plus subtile.
À Alger, le ministre Le Drian a effectué le 13 avril une visite surprise pour rencontrer le Président algérien. Dans le même temps, le très apprécié Gérard Larcher a appelé son homologue au téléphone. Coïncidence fortuite, dès le 15 avril le recteur franco-algérien de la Grande mosquée de Paris lançait cet appel solennel « Halte aux tergiversations. Halte à la désinformation. Votons Emmanuel Macron ! » Ingérence, influence, pression…Toutes les suspicions sont ouvertes.
Les Français de confession musulmane ne sont pas des moutons : « Le temps de “l’amicale” est fini. Celui de la Fédération de France du temps du vieux FLN est finie. Celui de la mosquée de Paris comme instrument de lobbying décisif, est fini » (C’est Kamel Daoud qui s’exprime dans un dernier article du dernier numéro de Liberté le quotidien francophone le plus talentueux et le plus libre d’Algérie qui vient de disparaitre car en Algérie, Liberté était trop libre).
Kamel Daoud demande à ses frères binationaux « de peser, de voter, d’agir et dépasser l’abstention communautaire » Sera-t-il écouté ? La question identitaire est secondaire par rapport à l’aggravation de la pauvreté et au manque d’espérance. Hormis quelques révoltés qui pensent n’avoir plus rien à perdre, ils voteront librement, à contre-coeur pour le Président sortant, ou blanc. Et au soir du scrutin, qu’importe les résultats, les perdants diront: c’est la faute des musulmans !
https://www.lecourrierdelatlas.com/gilles-kepel-sechement-accueilli-a-carthage/
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