Pourquoi
le meurtre du journaliste saoudien au consulat d'Istanbul a t-il pris
des dimensions inédites au point de provoquer des réactions
d'indignation planétaires ? Ce n'est pas la première fois qu'un
tyran trucide un opposant ! Par comparaison, au moment où Jamal
Khashoggi était assassiné, Kim Jong Yong le Président d'Interpol
disparaissait corps et âme dans son propre pays sans pour autant
émouvoir aucune chancellerie ni chef d'Etat.
L'agenda
mi-mandat
Khashoggi
a mis le feu à la maison Blanche d'où Trump a twitté fébrilement
avant de dépêcher en urgence à Riyad son secrétaire d'Etat Mike
Pompeo avec mission d'intimer au Roi de (nous) sortir de ce guêpier.
Il faut dire que l'Arabie est probablement le seul sujet de politique
étrangère auquel s'intéresse l'opinion américaine qui n'a
toujours pas digéré l'impunité saoudienne de l'après 11
septembre. La cicatrice qui vient de se rouvrir menaçait de faire
des ravages aux élections de mi-mandat. Un impératif d'agenda
imposait donc à Trump de se démarquer de son « ami »
saoudien et de punir MBS avant le 6 novembre pour satisfaire un
électorat chauffé à blanc par la turpitude criminelle de son
meilleur allié arabe. Il convenait de doser la riposte de la
maison Blanche au gré de l'impact de l'évènement dans les
sondages.
MBS
carbonisé
Aux
États Unis, dans la galerie de portraits des arabes sanguinaires,
MBS a rejoint Bagdadi et Binladen. Sa chute vertigineuse est à la
mesure de la formidable propagande qui avait accompagné sa tournée
de trois semaines au printemps dernier. Il avait alors sillonné la
Californie, rencontré les tycoons de la Silicon Valley, multiplié
les risettes et les promesses d'investissements. Dubitatifs, les
yankee avaient finalement été séduits par ce « good guy »
économe de ses mots qui semblait parler la langue du business.
Patatrac ! La révoltante affaire d'Istanbul l'a fait
dégringoler de son piedestal. Plus personne ne veut se faire selfier
avec le Prince saignant. Les milliardaires de la nouvelle économie,
les Google, Uber et autres Amazon qui cultivent des valeurs non
négociables ont rapidement pris le parti unanime de leurs réseaux
sociaux. Richard Branson de Virgin a été le premier à donner le
signal, ses pairs l'on imité dans la foulée, renonçant à
participer au gigantesque forum mondial de l'économie de Riyad du 27
octobre. L'effet domino a entrainé les banquiers et les industriels.
Le secrétaire au Trésor US a annulé son voyage, avant de se raviser. L'Allemagne a gelé ses exportations d'armes. En
France, le Président Macron est resté discret dans l'attente de
l'inauguration cette semaine au Bourget du plus important salon
mondial de la défense en mer. Euronaval : 470 exposants
25 000 visiteurs, 90 délégations officielles dont celle très
courtisée de la Marine royale saoudienne. On y parlera de ses
exploits au Yémen.
L'introuvable
sortie de crise
Il
n'est pas certain que le remplacement programmé de MBS par
son frère Khaled ambassadeur à Washington, suffise à calmer la
fureur générale. Le nouveau pouvoir devra dans cette hypothèse
donner des gages de tempérance en cessant le feu au Yémen, en
ouvrant les cages de milliers de prisonniers politiques, en arrêtant
de harceler le Qatar, en permettant aux 8 000 princes de respirer. Ceci marquerait l'abandon de la politique d'intimidation et
de violence pratiquée cyniquement depuis quatre ans. Autres
éventualités : le roi pourrait subitement abdiquer ou
opportunément cesser de respirer. Un coup de palais pourrait le
chasser...Dans l'un des pays les plus opaques du monde, il n'est pas
facile de lire l'avenir. Mais de tous les scénarios, le pire serait
le statu quo. Au plan diplomatique, il serait extravagant que MBS
aille tranquillement siéger à la réunion du G20 le 30 novembre
prochain à Buenos Aires !
Les
Benala de ben Salman
Pour
gagner du temps et tenter de désamorcer la campagne médiatique, des
boucs émissaires ont été extirpés du chapeau. Les 18 Benala du
Prince ont été arrêtés. Ils seront sabrés. En passant, cette
fable de la bavure à l'insu du plein gré de MBS discrédite
totalement les services secrets saoudiens qui passent pour des Pieds
nickelés. À l'inverse, leurs collègues et rivaux turques font
figure de champions. Pire, elle laisse imaginer que le Prince
héritier en son royaume n'est pas obéi.
À
l'étranger, MBS conserve le soutien inconditionnel des Émirats
Arabes Uni qui au prétexte de lui prêter main forte contre les
Houthis au Yémen, ont discrètement installé des bases militaires à
Aden, à Socotra et sur plusieurs atolls ; l'ambition d'Abu
Dhabi étant de créer en mer d'Oman et en mer Rouge un chapelet de
comptoirs inféodés. Cette vision stratégique impériale régionale
est partagée par Israël, l'Europe et les Etats Unis car elle
permettrait de renforcer la sécurité de la route du pétrole,
d'isoler d'avantage l'Iran et de contenir les ambitions chinoises.
Trump
à la manoeuvre
Enfin,
la menace de mise au ban de MBS inquiète aussi les dictateurs arabes
qui ont tous renouvelé publiquement leur solidarité avec Riyad, se
souvenant que le printemps des soulèvements en 2011 avait été
provoqué par un fait divers. Entre Bouazizi à Sidi Bouzid et
Khashoggi à Istanbul, l'analogie est facile. Tout comme le régime
mafieux de Ben Ali en 2011, la dynastie des Salman apparait
aujourd'hui proche de sa déchéance. Il y a des signes faibles qui
ne trompent pas. À Riyad le secrétaire d'Etat Pompeo a
protocolairement mais très furtivement rencontré (moins de 15
minutes) le Prince saignant. Dans la foulée et pour manifester sa
résistance, MBS a longuement reçu l'envoyé de Poutine. Ce n'est
que de l'esbroufe diplomatique car les Saoudiens savent bien qu'il
n'y a aucune alternative immédiate au protectorat américain sans
lequel leur pays s'effondrerait en moins de deux semaines. C'est ce
qu'a très justement (pour cette fois) rappelé Donald Trump.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire