Permis
d'assassiner
La plupart des
chefs d'États détiennent le privilège exorbitant de pouvoir
décider de tuer en toute impunité au prétexte de lutte contre le
terrorisme. Les Américains admettent la pratique de « meurtres
ciblés », les Israéliens
parlent de « prévention
ciblée »,
les Français « d'opérations
homo » (pour homicide).
Hollande en aurait ordonné 40, Obama plus de 300, le record
serait détenu par Netanyahou. Quel est le « score »
des Russes, des Chinois, des Pakistanais et des autres ?
Il n'existe aucune estimation à l'échelle mondiale.
Ces
meurtres dans l'ombre pour des mauvaises raisons d'état soulèvent
des questions de droit dont les limites de tolérance par l'opinion
des réseaux sociaux mondialisés ont sans doute été atteintes avec
le martyr de Jamal Khashoggi.
La
politique de la terreur
La
longue préméditation, le lieu et le mode opératoire attestent que
le crime avait pour objectif de terroriser. Le banal accident de
voiture ou la rupture d'anévrisme provoqué n'ont sans doute jamais
été envisagés car ce sont des
procédés de « civilisés ». MBS ne recherchait pas
seulement la neutralisation d'un opposant mais l'exemplarité d'un
supplicié. « Rapportez moi la tête de ce chien »
aurait-il ordonné. Pour que chacun comprenne que nul en aucun lieu
n'est à l'abri de mes foudres a t-il peut-être ajouté. Le
message a été entendu au delà de ses espérances. De ce point de
vue ce meurtre est un succès qui consacre MBS comme l'homme le plus redouté,
donc le plus puissant de la terre. Cette stratégie du coup de folie
imprévisible est sa marque. Il l'a employé en toute impunité pour
envahir le Yémen, isoler le Qatar, kidnapper le Premier ministre
libanais, enfermer, fouetter, torturer, étêter ses sujets...
Il
y a 600 ans, Tamerlan massacra 5% de la population mondiale. Il
sabrait pour édifier des pyramides de crânes. Au Yémen, ben Salman
marche sur les pas de l'illustre sanguinaire Timouride. Kamel Daoud a
raison, l'Arabie Saoudite est un Daech qui a réussi.
La
France vénale
Le
quasi génocide du Yémen par les armes et par la faim est couvert
par la lâcheté internationale qui encaisse le prix de sa
complicité : 110 milliards d'armements pour les États-Unis, 5 pour la Grande Bretagne, et des grosses miettes pour Israel,
l'Afrique du Sud, la Russie, l'Ukraine, l'Italie... En France, 100
000 ouvriers et techniciens bien payés travaillent pour l'industrie
de guerre de l'Arabie et des Emirats Arabes Unis. Les professionnels
de l'armement argumentent : si ce n'est pas nous, d'autres
profiteront de ces marchés aux marges fabuleuses. Le constat est
déprimant. La nation de la proclamation des principes vertueux est
avant tout vénale.
Contrairement
à ses partenaires européens il est vrai plus prospères - Suède,
Pays Bas, Wallonie, Finlande, Autriche, Allemagne -, et même
l'infortunée Grèce, qui appliquent l'esprit et la lettre des
traités sur les armes qu'ils ont ratifié, la France transgresse ses
engagements et cherche à profiter de l'aubaine. Avec constance, les
conseillers de Matignon et de l'Élysée murmurent à l'oreille du
Prince « nous on ne vous laissera pas tomber, nous, on est
des vrais alliés ».
L'axe
Paris Riyad
La
ministre de la guerre Florence Parly feint d'ignorer le carnage
pendant qu'au Quai d'Orsay, Jean-Yves Le Drian a oublié d'entendre
ce que rapportent les services de renseignement. La ligne
diplomatique du gouvernement est celle des trois singes : pas
voir, pas entendre, pas parler. Et par dessus le marché, discrètement elle censure. L'axe Paris
Riyad est inébranlable au point d'avoir provoqué quelques frictions
avec Berlin et Washington.
À propos du Yémen, Macron
a refusé de suivre l'exemple de Merkel. Pour autant, la décision
allemande de stopper ses livraisons à l'Arabie impacte les
exportations françaises dont la plupart des systèmes sont motorisés
outre Rhin. Et pour compenser la décision des Etats-Unis
de clouer au sol les avions ravitailleurs saoudiens qui permettaient
à l'Arabie et aux Emirats Arabes Unis de bombarder le Yémen, Paris
a aussitôt proposé de renforcer la logistique française pour
augmenter la disponibilité des Airbus MRTT vendus au Royaume.
Il
ne faut pas confondre Yémen et Khassoggi argumente Macron. Sur le
Yémen il a le toupet d'affirmer que l'Arabie agressée est en état
de légitime défense « la
France a une position claire qui d’ailleurs l’a conduite dès le
début du conflit à échanger des informations et se tenir aux côtés
de l’Arabie saoudite pour assurer sa sécurité face aux tirs
balistiques dont elle faisait l’objet » (
Élysée avril 2018). Sur le meurtre du journaliste, il n'est pas
loin d'adopter la dernier version abracadabrantesque
d'une « opération
incontrôlées des services de renseignements » avancée
par les Saoudiens pour écarter la
responsabilité de l'intouchable Prince héritier.
La
descente aux enfers de MBS
Selon
le Washington Post, l'enquête de la CIA démontre que Mohamed ben
Salman, a personnellement ordonné l'assassinat de Jamal Khashoggi.
Pour Trump, ce n'est pas probant.
On
pourrait chercher dans cette affaire l'illustration des dissensions
internes au sein de l'administration US ; entre ceux qui
soutiennent inconditionnellement l'Arabie et ceux qui trouvent que
les bornes ont été dépassées ; entre les démocrates qui ont
profité des largesses saoudiennes et les républicains qui
en réclament... L'important est que la majorité de l'opinion a pris conscience qu'elle ne pouvait plus flirter avec le diable
quelque soient ses prodigalités
et que pour conjurer le risque d'un nouveau 11 septembre, il fallait
pouvoir compter sur des alliés fiables. La justice y pourvoira
peut-être car si la famille Kashoggi dépose plainte aux États-Unis,
l'avenir des ben Salman pourrait devenir très compliqué.
Pour
l'Amérique et le reste du monde des croyants, MBS s'est comporté en
mécréant. Consternés, les musulmans observent que la terre sacrée
du prophète est tombée entre les mains d'une dynastie de moins que
rien. Car à l'ignoble découpage à la scie prémédité s'ajoute la
profanation du corps de la victime par dissolution chimique. Haram !
Enfin, le prince bourreau a eu l'aplomb de convoquer les enfants de
la victime pour feindre la compassion, avant d'ordonner (pour
se racheter ?) qu'on dise à La Mecque
et à Médine des prières pour l'âme du défunt dissous. Hachouma !
Cette cascade d'ignominies l'exclut définitivement
du monde des croyants.
Le
rabibocheur à la manœuvre !
Bien
téméraire sera celui qui le premier osera donner l'accolade à ben
Salman. Le Prince sanglant n'est plus fréquentable. C'est un paria,
un « Bachar », un « Kim Jong » première
période. Il a réduit l'influence de son pays à celui du Soudan
dont le Président Omar el Béchir, condamné il y a dix ans par la
CPI reste depuis, par prudence, confiné dans son pays. Mais au lieu
d'aller s'isoler sur son île des Maldives le temps de laisser passer
l'orage, Mohamed ben Salman, encouragé par Trump et le clan
des Israéliens de la Maison
Blanche a annoncé qu'il participerait en personne au prochain sommet
du G20 qui aura lieu à Buenos Aires dans une semaine. Fera t-il
escale à Paris ?
Branle-bas
de combat à l'Élysée où tous les diplomates sont sur le
pont.
On
attend avec impatience l'art et la manière que déploiera Macron
pour restaurer l'honorabilité de son précieux client sur la scène
internationale. À la table du G20, le Président français sera
placé à coté du paria.
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https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/01/04/francois-hollande-et-le-permis-de-tuer_5057277_1653578.html
https://ronenbergman.com/
https://www.geostrategia.fr/droit-de-la-guerre-ou-guerre-du-droit-reflexion-francaise-sur-le-lawfare/
https://www.letemps.ch/opinions/larabie-saoudite-un-daech-reussi
http://prochetmoyen-orient.ch/retour-a-la-censure-en-france-ou-letrange-monsieur-araud/
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