jeudi 22 novembre 2018

En attendant l'accolade entre Macron et ben Salman au G20

Le meurtre abject du consulat d'Istanbul a révélé la sinistre face d'une médaille à l'effigie du prince sanglant Mohamed ben Salman dont l'avers est la guerre du Yémen. Il est l'expression d'une politique délibérée d'un État qui gouverne par l'effroi.

Permis d'assassiner
La plupart des chefs d'États détiennent le privilège exorbitant de pouvoir décider de tuer en toute impunité au prétexte de lutte contre le terrorisme. Les Américains admettent la pratique de « meurtres ciblés », les Israéliens parlent de « prévention ciblée », les Français « d'opérations homo » (pour homicide). Hollande en aurait ordonné 40, Obama plus de 300, le record serait détenu par Netanyahou. Quel est le « score » des Russes, des Chinois, des Pakistanais et des autres ? Il n'existe aucune estimation à l'échelle mondiale. 
Ces meurtres dans l'ombre pour des mauvaises raisons d'état soulèvent des questions de droit dont les limites de tolérance par l'opinion des réseaux sociaux mondialisés ont sans doute été atteintes avec le martyr de Jamal Khashoggi.

La politique de la terreur
La longue préméditation, le lieu et le mode opératoire attestent que le crime avait pour objectif de terroriser. Le banal accident de voiture ou la rupture d'anévrisme provoqué n'ont sans doute jamais été envisagés car ce sont des procédés de « civilisés ». MBS ne recherchait pas seulement la neutralisation d'un opposant mais l'exemplarité d'un supplicié. « Rapportez moi la tête de ce chien » aurait-il ordonné. Pour que chacun comprenne que nul en aucun lieu n'est à l'abri de mes foudres a t-il peut-être ajouté. Le message a été entendu au delà de ses espérances. De ce point de vue ce meurtre est un succès qui consacre MBS comme l'homme le plus redouté, donc le plus puissant de la terre. Cette stratégie du coup de folie imprévisible est sa marque. Il l'a employé en toute impunité pour envahir le Yémen, isoler le Qatar, kidnapper le Premier ministre libanais, enfermer, fouetter, torturer, étêter ses sujets...
Il y a 600 ans, Tamerlan massacra 5% de la population mondiale. Il sabrait pour édifier des pyramides de crânes. Au Yémen, ben Salman marche sur les pas de l'illustre sanguinaire Timouride. Kamel Daoud a raison, l'Arabie Saoudite est un Daech qui a réussi.

La France vénale
Le quasi génocide du Yémen par les armes et par la faim est couvert par la lâcheté internationale qui encaisse le prix de sa complicité : 110 milliards d'armements pour les États-Unis, 5 pour la Grande Bretagne, et des grosses miettes pour Israel, l'Afrique du Sud, la Russie, l'Ukraine, l'Italie... En France, 100 000 ouvriers et techniciens bien payés travaillent pour l'industrie de guerre de l'Arabie et des Emirats Arabes Unis. Les professionnels de l'armement argumentent : si ce n'est pas nous, d'autres profiteront de ces marchés aux marges fabuleuses. Le constat est déprimant. La nation de la proclamation des principes vertueux est avant tout vénale.
Contrairement à ses partenaires européens il est vrai plus prospères - Suède, Pays Bas, Wallonie, Finlande, Autriche, Allemagne -, et même l'infortunée Grèce, qui appliquent l'esprit et la lettre des traités sur les armes qu'ils ont ratifié, la France transgresse ses engagements et cherche à profiter de l'aubaine. Avec constance, les conseillers de Matignon et de l'Élysée murmurent à l'oreille du Prince « nous on ne vous laissera pas tomber, nous, on est des vrais alliés ».

L'axe Paris Riyad
La ministre de la guerre Florence Parly feint d'ignorer le carnage pendant qu'au Quai d'Orsay, Jean-Yves Le Drian a oublié d'entendre ce que rapportent les services de renseignement. La ligne diplomatique du gouvernement est celle des trois singes : pas voir, pas entendre, pas parler. Et par dessus le marché, discrètement elle censure. L'axe Paris Riyad est inébranlable au point d'avoir provoqué quelques frictions avec Berlin et Washington.
À propos du Yémen, Macron a refusé de suivre l'exemple de Merkel. Pour autant, la décision allemande de stopper ses livraisons à l'Arabie impacte les exportations françaises dont la plupart des systèmes sont motorisés outre Rhin. Et pour compenser la décision des Etats-Unis de clouer au sol les avions ravitailleurs saoudiens qui permettaient à l'Arabie et aux Emirats Arabes Unis de bombarder le Yémen, Paris a aussitôt proposé de renforcer la logistique française pour augmenter la disponibilité des Airbus MRTT vendus au Royaume.
Il ne faut pas confondre Yémen et Khassoggi argumente Macron. Sur le Yémen il a le toupet d'affirmer que l'Arabie agressée est en état de légitime défense « la France a une position claire qui d’ailleurs l’a conduite dès le début du conflit à échanger des informations et se tenir aux côtés de l’Arabie saoudite pour assurer sa sécurité face aux tirs balistiques dont elle faisait l’objet » ( Élysée avril 2018). Sur le meurtre du journaliste, il n'est pas loin d'adopter la dernier version abracadabrantesque d'une « opération incontrôlées des services de renseignements » avancée par les Saoudiens pour écarter la responsabilité de l'intouchable Prince héritier.

La descente aux enfers de MBS
Selon le Washington Post, l'enquête de la CIA démontre que Mohamed ben Salman, a personnellement ordonné l'assassinat de Jamal Khashoggi. Pour Trump, ce n'est pas probant.
On pourrait chercher dans cette affaire l'illustration des dissensions internes au sein de l'administration US ; entre ceux qui soutiennent inconditionnellement l'Arabie et ceux qui trouvent que les bornes ont été dépassées ; entre les démocrates qui ont profité des largesses saoudiennes et les républicains qui en réclament... L'important est que la majorité de l'opinion a pris conscience qu'elle ne pouvait plus flirter avec le diable quelque soient ses prodigalités et que pour conjurer le risque d'un nouveau 11 septembre, il fallait pouvoir compter sur des alliés fiables. La justice y pourvoira peut-être car si la famille Kashoggi dépose plainte aux États-Unis, l'avenir des ben Salman pourrait devenir très compliqué. 

Pour l'Amérique et le reste du monde des croyants, MBS s'est comporté en mécréant. Consternés, les musulmans observent que la terre sacrée du prophète est tombée entre les mains d'une dynastie de moins que rien. Car à l'ignoble découpage à la scie prémédité s'ajoute la profanation du corps de la victime par dissolution chimique. Haram ! Enfin, le prince bourreau a eu l'aplomb de convoquer les enfants de la victime  pour feindre la compassion, avant d'ordonner (pour se racheter ?) qu'on dise à La Mecque et à Médine des prières pour l'âme du défunt dissous. Hachouma ! Cette cascade d'ignominies l'exclut définitivement du monde des croyants.

Le rabibocheur à la manœuvre !
Bien téméraire sera celui qui le premier osera donner l'accolade à ben Salman. Le Prince sanglant n'est plus fréquentable. C'est un paria, un « Bachar », un « Kim Jong » première période. Il a réduit l'influence de son pays à celui du Soudan dont le Président Omar el Béchir, condamné il y a dix ans par la CPI reste depuis, par prudence, confiné dans son pays. Mais au lieu d'aller s'isoler sur son île des Maldives le temps de laisser passer l'orage, Mohamed ben Salman, encouragé par Trump et le clan des Israéliens de la Maison Blanche a annoncé qu'il participerait en personne au prochain sommet du G20 qui aura lieu à Buenos Aires dans une semaine. Fera t-il escale à Paris ?
Branle-bas de combat à l'Élysée où tous les diplomates sont sur le pont.
On attend avec impatience l'art et la manière que déploiera Macron pour restaurer l'honorabilité de son précieux client sur la scène internationale. À la table du G20, le Président français sera placé à coté du paria.


    https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/01/04/francois-hollande-et-le-permis-de-tuer_5057277_1653578.html
    https://ronenbergman.com/
    https://www.geostrategia.fr/droit-de-la-guerre-ou-guerre-du-droit-reflexion-francaise-sur-le-lawfare/
    https://www.letemps.ch/opinions/larabie-saoudite-un-daech-reussi
    http://prochetmoyen-orient.ch/retour-a-la-censure-en-france-ou-letrange-monsieur-araud/

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