dimanche 11 juillet 2021

Pinault met l'art à la Bourse



Paris est la plus belle ville du monde. C’est un livre d’histoire à ciel ouvert dont chaque page est ornée d’un monument fabuleux. Jacques Hillairet a consacré sa vie à la décrire en 7 000 lieux, Graham Robb historien exquis d’Outre Manche en est tombé amoureux. Lire le Paris de Victor Hugo, Paul Verlaine, Philippe Soupault, Georges Duhamel; chanter le Paris de Trenet, Dutronc, Aznavour.…et autres cent mille textes et chansons qui donnent des frissons. Parrri ! Le regard de tout étranger croisé au bout de la terre s’illumine au son de ses deux syllabes. 


Paris c’est le paradis de ceux qui rêvent d’amour et de liberté. Parisiens, ne voyagez jamais sans emporter des petites tours Eiffel à quatre sous, elles vous ouvriront partout les portes de l’amitié. Depuis mille ans, la capitale est le refuge du savoir et de la beauté. Ce n’est pas un hasard si les arabes du Golfe persique ont acheté au prix fort une succursale de la Sorbonne et du Louvre, c’est pour tenter d’habiller la nudité des sables avec quelques nippes de la ville flamboyante.

Hélas, Paris d’hier n’est plus: la rue Mouffetard, la Butte-aux-Cailles et Saint-Germain sentent le rupin. Que sont devenus les besogneux: les Savoyard.e.s, les Corses, les Auvergnat.e.s, les Basques, les Breton.ne.s et les Limousin.ne.s ? Des Parisiens d’un mauvais genre pardi ! Comme le deviendront demain les immigrés qui s’agglutinent dans la misère Porte de la Chapelle avec l’espoir de s’abreuver aux riches fontaines qui ruissellent du coté de Passy.


L’ouverture d’un nouveau musée parisien est une fête. L’événement n’est pas fréquent. Les vieux se souviennent de l’inauguration du centre Pompidou, de la gare d’Orsay transformée en musée par la volonté de Giscard d’Estaing, de la pyramide du Louvre par Mitterrand, du musée Jacques Chirac au quai Branly. Puis Paris fut abandonné par sa municipalité sans mémoire obsédée par le vélo; et pareillement délaissé par trois Présidents de la République bavards et sans épaisseurs dont les Parisiens ont déjà oublié les noms. Sans vision ni volonté, l’État a comme dans les autres domaines échoué dans ses entreprises culturelles. Faute d’idée, de projets et d’action le palais de justice et le ministère des armées relogés chez Bouygues sont toujours à l’abandon, et les hôtels particuliers dorés du domaine public sont squattés par des ministres aux allures de petits marquis.


Art et business  La rénovation de la Bourse du commerce par François Pinault est une révolution qui marque le premier pas vers la « privatisation » du patrimoine culturel français. Faut-il se réjouir ou se désoler qu’au club des milliardaires, avoir un musée à son nom à Paris est désormais devenu tendance ? Pourquoi pas ! Bienvenue aux Bezos, Bettencourt, Gate et autres généreux mécènes pas si désintéressés que cela d’ailleurs car les espaces culturels sont - pour peu qu’ils soient gérés -  très rentables. À Paris le marché de la location de lieux prestigieux pour des événements festifs dégage une marge supérieure à celle de l’immobilier locatif. Exposition de jour, cocktail la nuit. La bourse du commerce de Paris c’est aussi  600 m2 d’espaces ouverts à  la location pour célébrer autour d’un verre l’arrivée d’une nouvelle chaussure, d’un parfum de marque ou votre anniversaire si vous en avez les moyens. L’investissement n’est toutefois pas sans risque comme le montre pour d’autres raisons la déconfiture du musée d’art moderne de José Berardo à Lisbonne.

Accordons toutefois à Pinault l’assurance que le lucre n’était pas sa motivation mais seulement celle de se faire plaisir et de tenter de se rapprocher de l’immortelle notoriété  de Guggenheim. 


L’oeil de Monsieur Pinault  Le regard de l’amateur d’art est égoïste. Il veut l’oeuvre pour sa seule contemplation. Quand il est riche, il enferme derrière les grilles de son palais ou les coffres forts d’un port franc les trésors qu’il se croit seul digne d’admirer. François Pinault à l’inverse veut faire partager son émotion. Par vanité ou altruisme ? Qu’importe. Il est comme ces collectionneurs ordinaires qui ont le projet de retaper la cabane en planches du fond de leur jardin pour exposer aux amis et voisins les objets qu’ils ont glanés dans les vide-greniers. Pinault fait pareil, mais à l’échelle de ses moyens. Qui pourrait l’en blâmer.

Il a racheté à l’État la bourse de commerce, un monument situé au coeur de la capitale à trois cents mètres du Louvre et des jardins du Palais Royal. L’édifice était occupé par des bureaucrates de passage. Jadis j’y ai croisé quelques notables très dignes qui s’occupaient du commerce extérieur de la France. Sous les boiseries crasseuses et la pierre malade se cachait une bonbonnière du 18ème siècle avec un couvercle ciselé d’acier et de verre, dôme superbe que l’on confond de loin avec celui de l’Institut.


La visite d’un badaud.  Je me suis précipité pour réserver au milieu de la journée. Je n’avais qu’une heure:  une demie pour attendre une autre pour visiter. Devant l’entrée, pour distraire les impatients qui font la queue, un large drapeau  couleur ivoire sur un mât qui scintille, oscille doucement au gré du vent apaisé par une astucieuse girouette. À terre, deux clochards dorment pour l’éternité. On s’approche, on a envie de relever les fripes, de toucher, de laisser une pièce; statues de stuc ou figurants vivants ? On contourne les SDF pour entrer chez les riches.

Les milliardaires comme Balthazar Picsou aiment les coffres-forts gigantesques en forme de cube avec une énorme porte carrée. Monsieur Pinault lui, a choisi de rénover une soucoupe en forme de bourse joufflue. Il aurait pu lui réserver le sort d’une pizza: la couper en triangle et la mettre dans une boite carrée. Il aurait pu l’engloutir dans un énorme gouffre et l’affubler d’une casquette aussi laide que celle des halls voisins. Non. Il a seulement nettoyé et remis à neuf l’édifice.


Pinault anticonformiste   On l’imagine fredonnant "Assez...Assez" avec Julien Clerc:


« Faut des ronds, faut des courbes, 

Des marchands d'marrons, rue Lecourbe.

Faut des ballons, des cerceaux 

Et les seins de Sophie Marceau »

dont le parolier est David McNeil le fils de Marc Chagall. 


Chagall à qui l’on pense avec nostalgie en regrettant qu’il n’ait pas peint les fresques conservée au flanc de la coupole. Entre les scènes allégoriques vieillottes et le cirque blanc éclaboussés de lumière filtrée par la gigantesque verrière: deux siècles nous contemplent. L’effet est saisissant, même pour les pigeons factices perchés tout en haut.

Le principal joyau de la collection Pinault est son écrin. L’audace géniale de l’architecte Tadao Ando a été de déposer en retrait de la façade intérieure un monumental anneau de béton lisse et clair. Le vieux bâtiment restauré dans son jus est sublimé. Les perspectives de courbes entrelacées sont multipliées à l’infini. Chaque pas est une découverte, un plaisir des yeux en tous lieux. Le centre du cirque est comme l’iris de l’oeil. On ne se lasse pas de regarder ce que Pinault aime voir. 


Sa collection très personnelle. C’est sa collection à lui. Elle n’est pas destinée à plaire aux critiques ou au public elle fait son bonheur. Ça lui suffit. Il daigne l’ exposer. La visite n’est pas gratuite: elle est plus chère qu’une heure de SMIG mais moins qu’une mauvaise pizza aux Champs-Elysées. Alors !…

Dans une galerie près de l’entrée, sous une vitrine, Bertrand Lavier a déposé sur un socle un taille-haie électrique: un Bosch, le même dont je me sers pour rabattre le chèvrefeuille de mon jardin. Plus loin, une simple scie… Oncle Picsou conservait bien son premier sou alors pourquoi François Pinault ancien marchand de bois, n’aurait-il pas sa scie ? Ironie de l’artiste, clin d’oeil du collectionneur au visiteur ? Plus loin, le fauteuil blanc qui donne l’impression d’avoir été saccagé par un lion ne soulève aucune émotion. La statue magnifique des Sabines enlevées qui s’élèvent au coeur de la rotonde n’est pas de marbre mais de bougie. Elle se consume. Beauté éphémère, invitation à revenir avant qu’elle ne se réduise à une flaque de cire. À l’étage une impressionnante collection de photographies au touche-touche. Les amateurs se bousculent pour approcher, nez masqué, mesure sanitaire oblige. Alignement de sourires en bec de canard. Plus haut Pinault expose la peau: Mélanine, Noire, Afro-américaine, Black. Vision intrusive…le choc. Vite une banquette pour s’attarder. L’heure a tourné et il y a encore mille choses à caresser mais ce sera pour la prochaine fois. 

Au dernier étage: un salon de thé et un restaurant pour fortunés. Décidément, chez Pinault, il y a à voir, à boire et à manger. 





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