Les
tonitruants cocoricos ne doivent pas couvrir les murmures et les
chuchotements que suscite l'exploit de la vente de 24 Rafale et de la
frégate Normandie à l'Égypte.
Une
vente flash
Cinq
mois se sont écoulés entre la proposition et la signature du
contrat. C'est du jamais vu dans le secteur de l'armement où les
délais habituels se comptent en années.
En
tout état de cause, la livraison, la mise en place des équipes de
maintenance, la formation des premiers techniciens et pilotes ne
pourront se
faire avant plusieurs mois. Le soutien d'une frégate réclame
plusieurs équipages de 150 marins entrainés et des centaines de
techniciens à quai. Le Rafale impose la mobilisation de plusieurs
dizaines
« d'orfèvres » par appareil. Il faudra beaucoup de temps
pour les former. Quelles que
soient les
qualités opérationnelles de la première armée d'Afrique, ce n'est
pas demain la veille qu'elle maîtrisera en solitaire ces systèmes
de très haute technologie.
Cette
opération commerciale à marche forcée traduit une fébrilité de
temps de guerre. Elle s'inscrit d'évidence dans la perspective d'une
offensive de l'Égypte en Libye dont il reste à deviner l'agenda.
Elle marque enfin un engagement politique, prélude possible à une
extension des opérations extérieures de la France sous couvert du
pavillon Égyptien.
Des
intérêts franco-égyptiens convergents
Echaudé
par les conséquences désastreuses de l'équipée BHL/Sarkozy en
2011, Paris hésite à s'aventurer au delà des frontières
du Tchad et du Niger. Pourtant,
la Libye est sur le point de tomber entièrement sous la coupe du
Calife du Levant. Le danger par contamination est aux portes de ses
voisins. Six pays africains sont concernés, notamment la Tunisie -
Djerba est à une heure de Toyota de la frontière libyenne - La
petite armée tunisienne assistée de son puissant allié algérien,
repousse les infiltrations armées. Mais pour combien de temps ?
A travers la Tunisie, le chaos libyen menace directement l'espace de
sécurité des avant postes de l'Europe.
La
position géographique de l'Égypte n'est pas meilleure car elle
partage à l'ouest 1000 km de frontière avec la Libye. Mais à
l'inverse de la posture défensive de Tunis et d'Alger,
Le Caire est impatient d'en découdre et
d'aller annexer les fabuleuses richesses pétrolières et gazières
de la Cyrénaïque.
Devenue
par les circonstances de la menace commune un allié objectif de
l'Égypte, la France a mis un mouchoir sur ses valeurs fondamentales
en applaudissant au coup d'Etat militaire d'Al Sissi. Puis, elle
s'est coalisée pour déployer à crédit des avions et des navires
de guerre. C'est une expédition à risque.
La
course à l'armement de l'Egypte
L'Égypte
est exsangue, la misère est partout. Son PIB est équivalent à
celui de la Grèce, mais avec une population 8 fois plus nombreuse.
Le pays vit de la charité.
L'armée
gouverne. C'est la treizième au monde. Entre 600 000 et 1,5 million
d'hommes (avec la réserve). Un arsenal invraisemblable généreusement
financé par les USA, les Saoudiens
et les pétro-monarchies du Golfe. Le shopping du Maréchal Al Sissi
donne le tournis. L'été dernier 3,5 milliards d'artillerie et de
missiles à la Russie, suivis d'un
milliard et demi pour une flottille de 6 corvettes à la France.
Enfin cette semaine 5,2 milliards de Rafale et une frégate. Et ce
n'est pas fini. Entre deux négociations sur l'Ukraine, Poutine a
trouvé le temps d'aller au Caire pour signer d'autres contrats et
consolider un partenariat militaire.
Et
les Etats Unis ?
Ils
boudent le Moyen Orient. Ils ont suspendu leur aide militaire à
l'Egypte et négligent même la maison des Saoud qui est prise en
tenailles entre la guerre du Yémen au sud et Daech au nord. Israël
n'est pas menacé et le gaz de schiste américain a remplacé l'huile
arabe, alors, les urgences sont ailleurs. En Asie surtout où la
tension entre la Chine et le Japon peut dégénérer, c'est pourquoi
Washington cajole les puissances asiatiques environnantes et en
particulier l'Inde où justement, la notification d'une commande de
126 Rafale français se fait attendre depuis trois ans !
Et
l'Europe ?
C'est
l'hiver, elle reste frileuse. L'Europe de la défense est une
illusion, celle de l'armement n'est guère plus visible. Allemands,
Italiens, Espagnols jouent les sous-traitants discrets. Aucun d'entre
eux ne s'est précipité au Caire ou à Riyad. Seuls, les
Britanniques l'air de rien, ont dépêché en Arabie Saoudite une
forte délégation d'industriels dans le sillage du Prince Charles
qui s'est attardé à faire du tourisme.
La
dé-dollarisation des armes
On
retiendra de cette avalanche de méga-contrats
l'amorce de la dé-dollarisation des échanges internationaux
provoquée par la nouvelle doctrine US. Explication: dans le monde
entier, tous les paiements libellés en dollar transitent par la
chambre de compensation des États Unis laquelle peut désormais
vérifier la légalité des transactions au regard de la loi
américaine. C'est ainsi qu'en juin dernier, la BNP a été
contrainte à payer une amende de 6,5 milliards d'euros pour avoir
échangé des dollars avec l'Iran.
Les
banquiers, les industriels, les vendeurs et les intermédiaires ont
retenu la leçon, ils évitent maintenant les transactions
internationales payées en $. C'est un handicap pour l'industrie US.
Les concurrents Européens en profitent.
Le
combat des illusions
Dollars
ou euros, reste à deviner si cette pluie de milliards qui arment les
pays arabes contribuera à vaincre l'idéologie satanique ou à la
renforcer. On se souvient de la prise de Mossoul par deux mille
mercenaires alors que cette ville d'un million d'habitants était
défendue par une armée régulière bien équipée de 35 mille
hommes. On se berce peut-être d'illusions
en espérant que les fellahs enrôlés dans l'armée
égyptienne mettront en joue des
fanatiques casqués du bandeau noir proclamant leur profession de
foi.
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