Elle se prénomme Khadija comme l'épouse du prophète et porte par son mariage avec Sidi Aloulou le nom de la sainte lignée. Cette identité a marqué son destin sous le signe du dévouement à son prochain.
Pourtant,
elle n'a jamais porté le voile ni revendiqué l'islam pour conduire
sa mission. Elle est démocrate, républicaine et laïque jusqu'au
bout des ongles. Elle est le coeur de la société civile
Tunisienne qui se bat depuis quarante ans pour que le pays change.
C'est une militante opiniâtre de la liberté et des droits
de l'Homme.
Tous
ceux qui ont été maltraités sous la dictature de Ben Ali lui sont
redevables. Toutes les familles des victimes se souviennent que
durant la terreur, sa porte était une des rares à demeurer ouverte.
Elle compatissait sincèrement, partageait les souffrances, se
portait volontaire pour aller protester auprès des autorités
indifférentes ou écrire des suppliques qui finissaient à la
corbeille. Alors, elle relayait auprès des bonnes consciences
internationales, des médias et des chancelleries, les abominations
qui lui étaient rapportées. Ben Ali, le dictateur furieux lui
dépêchait ses sbires. L'intimidation était permanente, la traque,
l'espionnage et les violences se succédaient. Sa famille et ses amis
tremblaient, d'aucun l'a supplia un jour de tout laisser tomber.
Peine perdue.
« C'est
injuste ! En vérité il faut faire quelque chose ! »
Et elle repartait de plus belle.
Puis
la révolution vint et Khadija put
enfin respirer librement et militer sereinement.
Lorsque
le premier Chef du gouvernement de la première République
honnêtement élue de l'histoire de la Tunisie annonça le 23 janvier
dernier la composition de son équipe, personne n'osa y croire :
Khadija ministre de la Femme, de la Famille et de l'Enfance !
Inouï, énorme ! Le Président Essebsi et son Premier ministre
Essid, - tous deux anciens ministres de l'intérieur et de la
répression – faisaient-ils amende honorable ?Avant
de se précipiter pour aller les embrasser, on chercha à vérifier.
On crut
d'abord
à l'homonymie. Mais c'était bien elle : l'enseignante en
sociologie, l'infatigable
Secrétaire Générale de la Fédération Internationale des Droits
de l'Homme, la militante des Femmes Démocrates. Vive la Tunisie !
La
surprise était énorme car Khadija n'est l'élue d'aucun parti, elle
n'a d'autres cercles de fidèles
que celui de ses amis, elle n'est pas du genre à se pousser du col,
à priser les ors et les honneurs, les limousines et les gardes du
corps... Le souffle coupé, on mit des heures à mesurer la portée
de la nouvelle. On se dit que la page sombre était définitivement
tournée et que l'heure de la réconciliation avait enfin sonné.
Désormais au Conseil des ministres il y aurait une gardienne de la
ligne rouge qui oserait proclamer : « C'est
injuste ! En vérité, il faut faire quelque chose »
Parce
que madame Cherif ne choisit pas son langage en fonction de ses
interlocuteurs, elle parle à tous avec des mots simples et des
expressions de conviction qui emportent l'adhésion.
A
l'annonce de sa désignation, de toutes parts,
les amis ont afflué. Le téléphone n'arrêtait pas de sonner. La
joie était partagée, les souvenirs anciens remontaient à la
surface : la visite de Marie Claire Mendes France, celle de
Danielle Mitterrand...oui, ici même, dans ce canapé devant « la
middah »
la petite table basse. D'autres
se souvenaient de
la rencontre à Tunis entre Khadija et Nelson Mandela; le grand
homme était aussitôt intervenu auprès de Ben Ali pour extraire du
cachot un militant persécuté (lequel connaitra par la suite un
destin national).
Les
écoutes, les filatures, les convocations à répétition, les
passeports confisqués, c'était le quotidien du passé.
Heureusement,
la révolution de 2011 a donné la parole aux citoyens, puis le
peuple a voté. La constitution est désormais gravée dans le marbre
et le gouvernement ne sortira plus des clous.
Khadija
Cherif y veillera.
Le
chantier est énorme. La ministre de la Femme, de la Famille et de
l'Enfance, est une fonction de quasi souveraineté, responsable du
devenir des trois quarts
de la population. Ce ministère est éminemment politique car si la
Tunisie est singulière dans le monde, c'est avant tout grâce au
combat de la femme tunisienne. Les Khadija sont six millions. Elle se
battent depuis trois générations contre les obscurantistes qui
veulent les ramener à la condition de servantes.
Hélas,
les ingrats n'ont pas tardé à se mobiliser. Au lendemain de
l'annonce de la composition du gouvernement, le parti Ennahdha
faisait savoir qu'il ne voterait pas l'investiture. Les autres
formations politiques en profitèrent pour faire monter les enchères.
Acculé, le chef du gouvernement fut contraint de désavouer son
équipe pour en former une autre, concédant d'offrir quatre
portefeuilles aux islamistes et d'écarter Khadija Cherif.
A
qui faisait-elle peur ? Assurément aux machistes, aux
esclavagistes, aux fascistes, aux salafistes, aux politicards, aux
trafiquants, aux nostalgiques... Ça en fait du monde !
Ce
revirement désolant a été ressenti avec tristesse par tous les
démocrates Tunisiens.
Dans quelques années, il est probable que nul ne
se
souviendra du nom du Chef de ce gouvernement inconséquent alors que
celui de la ministre éphémère de la Femme restera marqué pour
longtemps dans l'histoire de la Tunisie.
Car
ce qui est arrivé à Kadija Cherif « en
vérité c'est injuste !.. »
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