Benalla, espionnage ou contre-espionnage
Le
remarquable rapport d'information du Sénat sur l'extravagante
affaire Benalla met en évidence des faits d'une gravité
extrême qui révèlent la fragilité et la vulnérabilité du
pouvoir exécutif.
Les
frasques de l'ex sous-chef de cabinet arrogant et menteur ont
monopolisé la une des médias occultant les dérives assumées
de son comportement et les possibles atteintes aux intérêts
fondamentaux de la nation. « Il ne fait en effet nul doute
que les relations entretenues avec un oligarque russe par un
collaborateur de l’Élysée directement impliqué dans la sécurité
de la présidence de la République et d’un réserviste du
commandement militaire du palais de l’Élysée exerçant une
responsabilité d’encadrement étaient de nature, en raison de la
dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la
sécurité du chef de l’État et, au-delà, les intérêts de notre
pays » » écrit le sénateur Philippe Bas, ancien
magistrat au Conseil d'État, ex-secrétaire général de l'Élysée,
plusieurs fois ministre, aujourd'hui président de la commission des
lois de la Haute-Assemblée . Il ajoute : « Toutes les
hypothèses sont aujourd’hui permises, y compris celle d’une
approche délibérée des intéressés, destinée à les placer dans
une situation de dépendance vis-à-vis d’intérêts étrangers
puissants » Le parlementaire ne prononce jamais le mot espionnage, mais nul besoin de lire entre les lignes
pour comprendre que la suspicion qui pèse sur Benalla et ses
comparses est bien celle de la trahison.
Le
Cabinet
Les
collaborateurs personnels que le chef de l'État se choisit font
l'objet d'une surveillance attentive car ils détiennent une
multitude de secrets et de confidences que des malveillants de
toutes nationalités aimeraient percer. Leurs faits et gestes sont
régulièrement rapportés au Président soit directement, soit par
le truchement de son directeur de cabinet. Il va sans dire que ces
chargés de mission qui l'assistent et le conseillent avec dévouement
sont des passes-murailles qui se font rarement remarquer pour leurs
exubérances. Il y a des années, un jeune attaché au lendemain
d'une soirée passée dans une boite de nuit avait été congédié
en pleine réunion de cabinet par cette simple phrase « je
ne vous ai pas chargé d'explorer les bas fonds de Pigalle que je
saches ! » Autres temps autres mœurs !
Contrairement
au Président, ses proches serviteurs ne bénéficient d'aucune
immunité, toutefois la mise en cause de l'un d'entres eux pour
atteinte aux intérêts de la nation reste improbable aux dires de
savants juristes. C'est sans doute pourquoi, les sénateurs
rapporteurs Muriel Jourda et Jean-Pierre
Sueur, ont mis l'accent sur les dysfonctionnements institutionnels
sans pour autant exonérer les hommes de leurs fautes.
Electron
libre ou service commandé ?
Le
comportement d'Alexandre Benalla pose une série de questions restées
sans réponses :
Était-il
en service commandé à la manif du premier mai ? Était-il
chargé de missions présidentielles en Afrique et au Moyen-Orient
? A t-il rendu compte de ses échanges hors de l'Élysée avec des
hommes d'affaires, des agents des services secrets, les ministres et
chefs d'états étrangers ? A t-il fait rapport de ses réunions
en des lieux privés avec des officiers supérieurs de police, de
gendarmerie, des forces armées, ainsi que de ses déjeuners dans les
restaurants étoilés avec des anciens ministres, des journalistes,
et des PDG du CAC 40 ? A t-il confessé les dividendes qu'il
espérait de ses activités d'affaires privées avec des Israéliens,
des Russes, des Algériens, des Tunisiens,
des Marocains, des Saoudiens, des Turcs,
des Tchadiens... ?
Sauf
à imaginer l'impensable laxisme des principaux services de
renseignement, DGSE et DGSI, ou l'improbable dysfonctionnement de la
chaine de commandement de l'Élysée, le Président était informé.
A t-il couvert son collaborateur ? A t-il ignoré ces alertes en
les attribuant à la jalousie et aux intrigues de cour ?
L'équipe
de nettoyage
En
partage de l'intimité d'Emmanuel Macron, Alexandre Benalla était
intouchable.
Alors,
il est probable que quelques hauts fonctionnaires, effarés par la
menace que faisait peser le vibrionnant favori du Président sur
quelques secrets l'État ont décidé de le dégommer. Dans un
premier temps, le gendarme cinq ficelles de
la réserve « citoyenne » a été poussé à la faute
sous les caméras de vidéo-surveillance. Oubliant qu'il était le
serviteur personnel du Président le nigaud a matraqué de bon cœur
des manifestants le 1er mai. Probablement rendu furieux par la
manœuvre qui ridiculisait son protégé, Macron s'est entêté, il
l'a soutenu, peut-être même encouragé et félicité pour son
insolence « tu es plus fort qu'eux (les petits Marquis)
tu vas les bouffer ». L'enchainement des révélations, la violation du contrôle judiciaire,
mais surtout la preuve rapportée par enregistrement clandestin que
Benalla galvaudait les confidences du Président lui ont valu d'aller
pendant huit jours tester les installations rénovées du quartier
VIP de la prison de la santé. On peut espérer qu'il aura compris
l'avertissement et qu'il ira se faire oublier sous les tropiques.
Qu'importe
son sort. On retiendra de cette affaire qu'il est finalement
rassurant d'imaginer qu'à l'insu de l'Élysée des hommes
responsables ont dans l'ombre comploté qu'ils ont agi
pour protéger les intérêts supérieurs de l'État et pour
défendre le Président de la République à son corps défendant. On se
félicitera aussi que leur action ait été relayée par les
médias et le Sénat.
Le
salvateur Sénat
Nous
sommes loin de la Troisième République, Mediapart n'est pas Le
Bonnet Rouge, Benalla n'est pas Bolo Pacha et le Sénat ne peut
plus se réunir en Haute Cour de justice.
Pourtant,
dans cet invraisemblable enchainement de révélations, la presse a
joué son rôle d'enquête et de lanceur d'alerte. De son coté,
le Sénat a non seulement exercé pleinement son rôle de
protecteur des institutions, mais il a sans doute également empêché
le dévoiement de la plus haute fonction de l'État. Face à une
Présidence et à un gouvernement de novices, face à une majorité de
députés godillots, la Haute-Assemblée, celle de la France rurale
et provinciale, celle « du seigle et de la châtaigne » a
montré son irremplaçable fonction d'équilibrage des pouvoirs.
Malheur à qui s'avisera de faire disparaître le Sénat !
Entre l'absolution ou la saisine du Parquet pour a minima dénoncer les
menteries sous serments de Benalla, le choix du Président Gérard Larcher, et du Bureau du Sénat qui se réunira dans quelques jours sera dicté par la nécessité de trouver une issue républicaine à
cette déshonorante affaire.
http://www.senat.fr/rap/r18-324-1/r18-324-11.pdf
https://www.senat.fr/evenement/archives/D40/bon.html
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