vendredi 8 mars 2019

Benalla, espionnage ou contre-espionnage

Le remarquable rapport d'information du Sénat sur l'extravagante affaire Benalla met en évidence des faits d'une gravité extrême qui révèlent la fragilité et la vulnérabilité du pouvoir exécutif.
Les frasques de l'ex sous-chef de cabinet arrogant et menteur ont monopolisé la une des médias occultant les dérives assumées de son comportement et les possibles atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation. « Il ne fait en effet nul doute que les relations entretenues avec un oligarque russe par un collaborateur de l’Élysée directement impliqué dans la sécurité de la présidence de la République et d’un réserviste du commandement militaire du palais de l’Élysée exerçant une responsabilité d’encadrement étaient de nature, en raison de la dépendance financière qu’elles impliquent, à affecter la sécurité du chef de l’État et, au-delà, les intérêts de notre pays » » écrit le sénateur Philippe Bas, ancien magistrat au Conseil d'État, ex-secrétaire général de l'Élysée, plusieurs fois ministre, aujourd'hui président de la commission des lois de la Haute-Assemblée . Il ajoute : « Toutes les hypothèses sont aujourd’hui permises, y compris celle d’une approche délibérée des intéressés, destinée à les placer dans une situation de dépendance vis-à-vis d’intérêts étrangers puissants » Le parlementaire ne prononce jamais le mot  espionnage, mais nul besoin de lire entre les lignes pour comprendre que la suspicion qui pèse sur Benalla et ses comparses est bien celle de la trahison.
Le Cabinet 
Les collaborateurs personnels que le chef de l'État se choisit font l'objet d'une surveillance attentive car ils détiennent une multitude de secrets et de confidences que des malveillants de toutes nationalités aimeraient percer. Leurs faits et gestes sont régulièrement rapportés au Président soit directement, soit par le truchement de son directeur de cabinet. Il va sans dire que ces chargés de mission qui l'assistent et le conseillent avec dévouement sont des passes-murailles qui se font rarement remarquer pour leurs exubérances. Il y a des années, un jeune attaché au lendemain d'une soirée passée dans une boite de nuit avait été congédié en pleine réunion de cabinet par cette simple phrase « je ne vous ai pas chargé d'explorer les bas fonds de Pigalle que je saches ! » Autres temps autres mœurs ! 
Contrairement au Président, ses proches serviteurs ne bénéficient d'aucune immunité, toutefois la mise en cause de l'un d'entres eux pour atteinte aux intérêts de la nation reste improbable aux dires de savants juristes. C'est sans doute pourquoi, les sénateurs rapporteurs Muriel Jourda et Jean-Pierre Sueur, ont mis l'accent sur les dysfonctionnements institutionnels sans pour autant exonérer les hommes de leurs fautes.
Electron libre ou service commandé ?
Le comportement d'Alexandre Benalla pose une série de questions restées sans réponses : 
Était-il en service commandé à la manif du premier mai ? Était-il chargé de missions présidentielles en Afrique et au Moyen-Orient ? A t-il rendu compte de ses échanges hors de l'Élysée avec des hommes d'affaires, des agents des services secrets, les ministres et chefs d'états étrangers ? A t-il fait rapport de ses réunions en des lieux privés avec des officiers supérieurs de police, de gendarmerie, des forces armées, ainsi que de ses déjeuners dans les restaurants étoilés avec des anciens ministres, des journalistes, et des PDG du CAC 40 ? A t-il confessé les dividendes qu'il espérait de ses activités d'affaires privées avec des Israéliens, des Russes, des Algériens, des Tunisiens, des Marocains, des Saoudiens, des Turcs, des Tchadiens... ?
Sauf à imaginer l'impensable laxisme des principaux services de renseignement, DGSE et DGSI, ou l'improbable dysfonctionnement de la chaine de commandement de l'Élysée, le Président était informé. A t-il couvert son collaborateur ? A t-il ignoré ces alertes en les attribuant à la jalousie et aux intrigues de cour ?
L'équipe de nettoyage
En partage de l'intimité d'Emmanuel Macron, Alexandre Benalla était intouchable.
Alors, il est probable que quelques hauts fonctionnaires, effarés par la menace que faisait peser le vibrionnant favori du Président sur quelques secrets l'État ont décidé de le dégommer. Dans un premier temps, le gendarme cinq ficelles de la réserve « citoyenne » a été poussé à la faute sous les caméras de vidéo-surveillance. Oubliant qu'il était le serviteur personnel du Président le nigaud a matraqué de bon cœur des manifestants le 1er mai. Probablement rendu furieux par la manœuvre qui ridiculisait son protégé, Macron s'est entêté, il l'a soutenu, peut-être même encouragé et félicité pour son insolence « tu es plus fort qu'eux (les petits Marquis) tu vas les bouffer ». L'enchainement des révélations, la violation du contrôle judiciaire, mais surtout la preuve rapportée par enregistrement clandestin que Benalla galvaudait les confidences du Président lui ont valu d'aller pendant huit jours tester les installations rénovées du quartier VIP de la prison de la santé. On peut espérer qu'il aura compris l'avertissement et qu'il ira se faire oublier sous les tropiques.
Qu'importe son sort. On retiendra de cette affaire qu'il est finalement rassurant d'imaginer qu'à l'insu de l'Élysée des hommes responsables ont dans l'ombre comploté qu'ils ont agi pour protéger les intérêts supérieurs de l'État et pour défendre le Président de la République à son corps défendant. On se félicitera aussi que leur action ait été relayée par les médias et le Sénat.
Le salvateur Sénat
Nous sommes loin de la Troisième République, Mediapart n'est pas Le Bonnet Rouge, Benalla n'est pas Bolo Pacha et le Sénat ne peut plus se réunir en Haute Cour de justice.
Pourtant, dans cet invraisemblable enchainement de révélations, la presse a joué son rôle d'enquête et de lanceur d'alerte. De son coté, le Sénat a non seulement exercé pleinement son rôle de protecteur des institutions, mais il a sans doute également empêché le dévoiement de la plus haute fonction de l'État. Face à une Présidence et à un gouvernement de novices, face à une majorité de députés godillots, la Haute-Assemblée, celle de la France rurale et provinciale, celle « du seigle et de la châtaigne » a montré son irremplaçable fonction d'équilibrage des pouvoirs. Malheur à qui s'avisera de faire disparaître le Sénat !
Entre l'absolution ou la saisine du Parquet pour a minima dénoncer les menteries sous serments de Benalla, le choix du Président Gérard Larcher, et du Bureau du Sénat qui se réunira dans quelques jours sera dicté par la nécessité de trouver une issue républicaine à cette déshonorante affaire.

http://www.senat.fr/rap/r18-324-1/r18-324-11.pdf
https://www.senat.fr/evenement/archives/D40/bon.html






















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