Le mieux payé des
polytechniciens français se prenait pour Zidane ou Depardieu. Il
prétendait qu'il les valait bien. Son salaire d'une quinzaine de
millions d'euros était pourtant très en deçà des cachets de stars
et n'incluait aucune prime de risque. À tort, il pensait pouvoir se fier à son puissant conseil d'administration et ses fidèles
comités de directions. C'était sans compter sur l'ingratitude et la
perfidie des dirigeants de Nissan, filiale japonaise de Renault qu'il
avait jadis sauvée de la faillite. Le premier des
patrons français risque 15 ans de prison au Japon pour des
peccadilles qui ne lui vaudraient
en France pas même une contravention. Il clame son innocence. Nul ne
l'entend. Les gaulois en gilets jaunes ou costumes gris qui copinent
avec Bernard Tapie l'accablent : « C'est un profiteur,
un saigneur de prolos. Qu'il reste au cachot ! »
Mais à Davos, les
Pdg premium méditent sur les risques nouveaux que la jurisprudence Ghosn
fait désormais peser sur leur sécurité. Le droit pénal des
affaires soudainement globalisé va restreindre leur liberté de
voyager et leur imposer des mesures de protection inédites.
Renault de
malheur
Louis Renault, le
génial fondateur du groupe éponyme aurait pu entrer au Panthéon,
il est mort à Fresnes déshonoré et ruiné. Quelques années plus
tard, Georges Bess tombait sous les balles d'un commando manipulé
qui pensait venger le militant ouvrier Pierre Overney. Carlos Ghosn
subit le sort, pour l'instant moins cruel, de cette lignée de
destins tragiques d'une entreprise qui porte la poisse. Ingrats ou envieux,
les 200 000 salariés en France et leur 300 000 collègues dispersés
dans le monde, paraissent savourer la vengeance d'avoir été
payés moins que lui.
Il faut reconnaître
que l'homme n'a jamais soigné son image de patron ténébreux ni son
look de patriarche levantin au menton levé. Pas du genre à
organiser des fêtes sur un yacht avec des politiciens et des
intermédiaires de haut vol ; il fuyait les médias, déclinait
les projecteurs de Drucker, Ruqier, Ardisson ; il vivait en
famille, entouré d'amis d'enfance, au Brésil, au Liban et en France.
L'establishment parisien n'aimait pas ce patron polyglotte très
diplômé aux résultats éblouissants. L'Élysée et Matignon le
tenaient à distance. Contrairement au fondateur de Renault qui avait
été fait Grand'Croix sous le Front Populaire, le Président du plus
grand groupe mondial d'automobiles n'était en France décoré
qu'à minima. L'Élysée, pour éviter son ombre, le plaçait en bout
de table. Bah ! Finalement, que les nippons aient
donné une leçon d'humilité à l'arabe n'a pas fâché !
Pourtant, les
circonstances de son arrestation, les chefs d'accusation et les
conditions de sa détention après deux mois d'incarcération
commencent à soulever une certaine indignation. Le patronat prend avec
quelques retards la mesure des conséquences du traquenard savamment
tricoté par Nissan. Cette affaire pointe la vulnérabilité des
intérêts économiques supérieurs de la France et la faiblesse de
ses gouvernants. Jamais les Japonais n'auraient osé incarcérer un
tycoon russe, américain, chinois, israélien
ou même turc sans s'attirer des ripostes économiques et politiques
immédiates et cinglantes.
Faillite de
l'intelligence économique française
Le monde de
l'entreprise et particulièrement celui des multinationales n'est
pas celui des bisounours mais des prédateurs sans scrupules. Tous
les moyens légaux et en marge de la légalité sont bons pour
éliminer ou déstabiliser un concurrent. Carlos Ghosn était un
praticien de l'intelligence économique. Il savait que son groupe et
sa personne étaient en permanence menacés. Il avait multiplié les
pares-feux. De nombreux cercles de protections composés d'experts du
renseignement étaient censés assurer sa sécurité. Mais la guerre
économique devient inégale quand un Etat étranger s'en mêle. Elle
change alors de dimension. L'élimination de Ghosn ne révèle pas
une compétition violente entre Nissan et Renault mais entre le Japon
et la France (composante importante de l'industrie automobile
européenne). Dans cette affaire tout comme
dans d'autres du passé comme Alcatel, Alstom, Areva, Lafarge...
l'État français pêche par son absence de vision et
son asthénie qui le rend
incapable de défendre les fleurons de son économie.
On disait jadis
« quand Renault éternue, la France s'enrhume »,
aujourd'hui le symptôme est bien plus inquiétant. Ce n'est pas la
paix sociale qui est menacée mais
l'avenir industriel. Le silence des autorités témoigne d'une sous
évaluation des enjeux à moins qu'elle ne résulte d'une
sidération face à l'incroyable défaillance de ses services.
L'ombre de la
mafia
La face cachée de
l'Empire du Levant c'est sa mafia, la plus puissante au monde. Au
delà des folklores de tatouages et doigt coupé,
les Yakuzas sont des « militants associatifs » ayant
pignon sur rue qui entretiennent des liens politiques fusionnels avec
l'ultra droite nationaliste. En 1999, Carlos Ghosn avait vite
diagnostiqué les causes principales qui menaient Nissan vers la
faillite. Son premier combat avait été de traquer et de chasser les
Yakusas de l'entreprise. Comment aujourd'hui ne pas soupçonner leur
participation active au complot ? Cela expliquerait que les
services de sécurité et de veilles stratégiques
abondamment secondés par des officines de tous bords n'aient rien
soupçonné. Pendant des mois, les cadres de Nissan ont pu accumuler
les pièces d'un dossier à charge visant à faire arrêter leur
patron et son adjoint américain ( très vite libéré sous caution),
et ceci en étroite complicité avec les autorités judiciaires
japonaises sans qu'un seul espion français ne s'en aperçoive. Sauf
à imaginer l'inimaginable que Paris ait abandonné Ghosn à son
sort, cela démontrerait que la mafia Yakuza du Japon est une force
supranationale capable de détrôner les rois de l'industrie
mondiale. Les Yakusas ont-ils pris leur revanche sur le samouraï
français ? Un expert résume leur influence par cette formule :
« Yasuka, c'est Goldman Sach avec des fusils » Cette affaire est une
affaire d'États.
La jurisprudence
du rapt de Pdg
Cette procédure du
chantage est récente, elle a déjà été utilisée avec succès par
le Prince Ben Salman d'Arabie (soutenu par Trump) qui a séquestré
des milliardaires avant de les libérer contre rançon. Dernièrement,
à la demande de la justice américaine, la directrice financière de Huawei
Madame Meng Wanzhou était interpellée à Vancouver. Elle est l'otage de
la guerre commerciale entre la Chine et Trump et du bras de fer entre
le Canada et Donald. La loi trumpienne du hard business est en train de métastaser sur la planète.
Comment se protéger ? Cette préoccupation qui n'a pas été
évoquée à la tribune de Davos
reste au centre des apartés dans les salons dorés. D'aucuns se
demandent pourquoi le Pdg de Renault n'a pas bénéficié de
l'immunité qu'aurait pu lui accorder son principal actionnaire.
Attendons nous à apprendre demain que les dirigeants des 1 600
sociétés françaises à participation d'État réclament la
délivrance d'un passeport diplomatique ou de service. Car après
tout, Benalla homme d'affaires stagiaire, n'a t-il pas fait la
tournée des mafiocraties en toute impunité grâce à ses sésames
de plénipotentiaire ?
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