Je n'ai pas de nom. Je suis chien.
Comme tous ceux de ma race, je coule en Grèce une vie de patachon. En ce pays béni des canidés, je suis libre. J'erre à ma guise. Ni Dieu ni maître.
Dans
leur sagesse mémorielle, les humains ont retenu que nous étions les
lanceurs d'alerte infaillibles. C'est pourquoi dans un sursaut de
raison, ils n'ont jamais tenté de nous domestiquer car ils savent
d'expérience que dès que la terre s'apprête à trembler, nous nous
mettons à hurler. Prévenus, les bipèdes se ruent hors de leurs
maisons menacées d'éffondrement Depuis la nuit des temps, nous en
avons sauvé tant et tant, qu'en reconnaissance ils nous ont à
jamais affranchis de la laisse et du collier, ils nous nourissent
copieusement et nous permettent d'errer à notre guise paisiblement.


Je
suis Ulysse, mon prénom se transmet de grand-père en petit-fils
depuis un beau voyage. Mon village est sans doute un joyau de la
création car dès
le printemps, tous les Crésus de la terre affluent dans des grands
bateaux blancs. Ce matin, à l'aube, j'ai cueilli
quelques figues au jardin et pris à la boulangerie un feuilleté au
fromage que j'ai été manger sur le port.


Sur
les dix pièges que j'ai immergés
hier, six ont fonctionné : quarante huit tentacules branches
iront ce soir régaler les clients des restaurants chics du bord de
mer.
Pécher le poulpe n'est pas une mince affaire car l'animal est malin. Il évite les hameçons et les filets, il se camoufle derrière un rideau d'encre, il se cache dans les rochers s'enfouit dans le sable ou les algues. Il faut ruser pour l'attraper. De Tyr à Carthage et de Bonnifacio à Corfou, la meilleure façon de capturer la pieuvre errante est de lui proposer le gîte d'une poterie. Mais pas n'importe laquelle ! Il faut qu'elle soit ronde et polie, que son goulot ne soit ni trop large ni trop étroit, et surtout que sa contenance soit en parfaite harmonie avec des proportions magiques que nul n'a jamais réussi à découvrir. C'est un secret que j'ai percé après avoir abandonné mes études d’architecture à Athènes. Je fabrique depuis, à l’abri des curieux, des pièges en argile infaillibles. Aucun poulpe n'y résiste.
A Sivota, je suis une gloire. « Octo Ulysse »,
c'est mon surnom car jamais je ne suis rentré bredouille. Pourtant,
je n'ai
jamais songé déposer un brevet pour négocier avec les Japonais ;
la fortune m'indiffère.
« Z »,
je vis ma vie, ça me suffit.
En
cette chaude soirée d'été, Ulysse et chien contemplent d'un air
blasé
les bateaux des plaisanciers.
320
milliards à rembourser soupire Ulysse. Tous les Grecs cherchent une
idée.
Taxer
l'entrée des vingt millions de touristes ?
Désarmer
l'armée ? (6 000 blindés, 600 avions, 14 frégates, 11
sous-marins...)
Séparer
l'église de l'Etat, réquisitionner les domaines, cesser de financer
les 9 000 prêtres ?
Et
pourquoi pas révéler le secret des poulpes ?
Ulysse
et chien savent que de tout cela il ne saurait en être question.
L'Europe
a son plan. Elle veut codifier et cadastrer la propriété,
judiciariser la terre et
les
toits, imposer la laisse aux chiens et la niche aux hommes.
La
finance internationale a sciemment laissé filer la dette, convoitant
de s'approprier les inestimables richesses de l'Olympe : des
mers transparentes, une terre généreuse, un ciel clément et
lumineux sous lequel tous les humanidés et les canidés rèvent de
mener comme Ulysse et chien une vie de délices.

La
Grèce est à l'Europe ce que la Corse est à la France : beauté
sauvage insoumise et sage qui veut continuer de vivre comme
ses ancêtres et refuse le modèle décadent
parigot-berlinois.
C'est
une guerre de civilisation, c'est Diogène contre Descartes !