Un siècle avant que le roi de France ne soit guillotiné, Monsieur de La Fontaine fabulait : Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.
Fort heureusement, depuis l’avènement de la République, la justice est rendue au nom du peuple français. Le fléau de la balance est au centre, l’iniquité est rare.
Le verdict du procès Sarkozy est minutieusement motivé sur 380 pages. C’est une broderie juridique exemplaire en droit. Tous les juristes vous le diront. J’y ai passé ma journée en imaginant la sueur perler au front des étudiants qui un jour ou l’autre plancheront sur ce texte à l’examen du Barreau.
Les magistrats sont tenaces et persévérants. Pendant dix-sept années ils ont enquêté, entendu, auditionné, commissionné, perquisitionné. Ils se sont transportés aux quatre coins du monde, bravant la mousson en Malaisie, la canicule à Djibouti, l’ennui à Jeddah, le crachin d’Angleterre, la neige en Suisse… Ils ont transcrit, traduit, interprété; ils ont déjoué les pièges, démasqué les mensonges. Car de leur coté, les mis en cause ont cherché à gruger les magistrats et les policiers par la négation de l’évidence, les faux semblants, les faux témoignages, les fausses preuves, les dérobades, les manipulations, les recours plus ou moins abusifs… Bref, les kyrielles d’avocats chèrement payés ont tenté de brouiller les pistes et d’égarer les juges. Cette bataille juridique au long cours fut une joute judiciaire entre deux équipes d’experts. Finalement les magistrats du siège ont tenu bon, ils ont terrassé leurs adversaires. Succédant au Maréchal, le Président entrera en prison.
Selon que vous serez puissant ou misérable, la justice pareillement sera équitable corrigerait aujourd’hui La Fontaine. C’est cette leçon de morale qui sera perçue par le justiciable lambda et c’est là le plus important pour le moment.
L’incarcération de l’ancien chef d’État pour association de malfaiteurs marquera l’Histoire. Son prédécesseur Pétain le fut pour haute trahison. Comparaison n’est pas raison. Il n’y a ici ni mort d’homme ni préjudice sauf à considérer celui de l’État libyen qui carrément s’en contrefiche.
L’association de malfaiteurs était surtout celle d’une bande de voyous. Elle n’a pas trompé les électeurs qui n’ont pas réélu Sarkozy.
Que l’ex-Président Sarkozy ait prisé la compagnie des forts en gueule, que son arrogance l’ait rendu méfiant au point de tourner le dos aux serviteurs de la République leur préférant des baratineurs, c’est établi. Le petit homme courageux mais paranoïaque flottait dans son costume, il voyait des comploteurs partout, il n’écoutait que les coquins.
Boulimique et tempétueux il se mêlait de tout. La haute fonction publique résista non sans mal à ses caprices en multipliant les obstacles administratifs. Alors, il décida de mettre ses talents à la tête du Commerce extérieur pour le succès de gigantesques contrats. Il avait commencé lorsqu’il était ministre des Finances, puis avait récidivé comme ministre de l’Intérieur en tentant de ressusciter un projet faramineux vieux de trente ans pour vendre à l’Arabie la protection de ses frontières. Personne, pas même les Saoudiens qui s’en amusaient n’avait osé lui dire que c’était peine perdue car l’affaire avait été attribuée discrètement à des Anglo-Saxons et des Asiatiques depuis belle lurette.
À l’Élysée, l’ancien avocat d’affaires se rendit vite compte que dans les secteurs de l’armement et du nucléaire, il suffisait de parler pour que l’ordre soit exécuté. Alors réunissant ses copains rencontrés dans les boîtes de nuit de sa jeunesse, il les imposa auprès des industriels et des ministères. La bande se réunissait dans un palace entre l’Élysée et la place Beauvais. Les grands crus coulaient à flots. Les parvenus éructaient des instructions « y’a qu’à faut qu’on ». Vendre des avions au Brésil, des chars aux Saoudiens, des centrales nucléaires aux Libyens, des sous-marins aux Malaisiens, et pourquoi pas des chasse-neige aux Guinéens… Munis de leurs accréditations, les intermédiaires comme une volée de moineaux, s’envolaient vers les éventuels clients. Évidemment dans la profession, ni les exportateurs, ni les acheteurs, ni les diplomates, ne prenaient cette bande de parvenus très au sérieux mais ils ne pouvaient les éconduire sans s’attirer les foudres de ces hommes puissants qui se sont finalement retrouvés dans le prétoire le 25 septembre dernier.
Le Président a été condamné à cinq ans de prison dans les conditions abondamment commentées par la presse. Trois des membres de l’association de malfaiteurs, sans doute alertés par un pressentiment, ne se sont pas déplacés. Ils sont restés chez eux en Malaisie, en Arabie Saoudite, en Libye ou ailleurs. Parmi les quatre autres comparses, le flamboyant Jouhri qui fait penser à Belmondo dans le Guignolo, les anciens ministres Hortefeux et Guéant et un orphelin de notoriété sur lequel il convient par équité de s’attarder.
Ceux qui l’on croisé décrive Wahib Nacer comme un beau gosse élancé, peau cuivrée, sourire charmant, posture nonchalante. Avare de mots, prolixe en assentiments. Les princes saoudiens appréciaient l’affabilité et le savoir-vivre de cet homme qui s’adressait à eux dans des termes respectueux seulement après y avoir été invité. Il avait retenu l’étiquette et les usages que lui avait transmis son père, estimé directeur d’une banque française au Yémen et à Djibouti au siècle dernier. Wahib était devenu l’un des hommes de confiance des Bugshan une famille classée au top 10 des fortunes d’Arabie. À Jeddah, Riyad, puis à Genève il avait au sein d’un établissement financier français de premier plan, contribué à faire fructifier les millions de ses clients. Son destin naturel était de prendre sa retraite sur les bords du lac Léman. Qu’est-il venu faire dans cette galère? De qui était-il devenu le commanditaire ?
Au terme de ce mauvais choix, il s’est retrouvé abandonné à la fois par les Saoudiens nourris d’ingratitude et par les Français qui hier encore le courtisaient. Au procès Sarkozy, le « banquier suisse » éduqué au mutisme n’a pas desserré les dents.
Wahib Nacer, 81 ans, a été condamné à quatre ans de prison. Il a été menotté au prononcé du jugement.
Son « associé en malfaisance » l’ancien ministre Claude Guéant, 80 ans, a été condamné à six ans de prison mais dispensé d’incarcération en raison notamment de son grand âge.
« Et c’est ainsi qu’Allah est grand » aurait conclu Alexandre Vialatte (1901-1971)