dimanche 6 juin 2021

Armée, Algérie, Rwanda, Bosnie



La grande muette taiseuse par devoir et principe, s’est échappée du mess pour aller bavasser au café du commerce. Une poignée d’officiers de réserve ont réclamé leur quart d’heure de gloire à la table d'Éric Zemmour. Tempête furtive dans un verre d’eau. Si l’objectif était de provoquer un défilé de troufions façon policiers, c’est raté. L’armée est à l’image de la France qui compte 300 fromages, c’est un patchwork, un assemblage d’idées divergentes  autour d’une seule: celle de la nation. Dans les casernes chacun connait les opinions de chacun. On les respecte plus ou moins, mais on n’en vient jamais aux mains car c’est un débat entre frères d’armes sur la vie des civils, autrement dit sur celle des gens du dehors. Les sujets « maison » terrorisme, patrouilles Sentinelles, Mali… font cohésion. Même l’islam est entré dans le rang. L’imam en chef aux armées est un haut gradé, aucun soldat musulman ne conteste la primauté de la mission sur la religion. On ne mélange pas la charia avec le règlement. 


Le rapport Stora sur la guerre d’Algérie n’a pas d’avantage passionné la troupe; mais elle a excité les souvenirs des grands anciens qui n’y ont d’ailleurs pas trouvé matière à polémique car le texte très habile ne s’y prêtait pas. Seuls quelques irréductibles hystériques ont saisi le prétexte pour cracher des insultes qui n’ont fait que ronds dans l’eau. Pour autant, les historiens qui réclament depuis 60 ans l’accès aux archives ne sont pas près d’obtenir satisfaction. Alger et Paris continuent de couler du plomb sur la mémoire de leur peuple. Les lycéens et les étudiants algériens et français ne connaissent l’histoire de leurs arrières grands pères qu’à travers des récits tronqués, glorifiés, souvent mensongers. Des millions de binationaux franco-algériens sont infantilisés par des pouvoirs politiques qui ne les jugent pas assez matures pour connaitre la vérité des faits.

Le rapport Stora n’est qu’un  premier petit pas, on attend qu’il soit imité à Alger où il faudra attendre l’inéluctable changement générationnel à la tête de l’État. Le jour où un jeune Président décomplexé à l’image d’Emmanuel Macron - dont le papa avait douze ans à la fin de la guerre d’Algérie - sera élu, alors les historiens pourront peut-être fouiller et confronter librement les mémoires des deux rives.


En attendant, il faut applaudir le Président français d'avoir ordonné l’enquête sur le Rwanda.

Le formidable travail de l’équipe d’historiens conduite par le Professeur Vincent Duclert sur le Rwanda est un pavé de 900 pages: denses, impeccablement documentées, minutieusement analysées. C’est une somme ! C’est la première fois en France que des historiens sont dûment habilités à fouiller les archives classifiées. Tous les secrets enfouis dans les bibliothèques fortifiées des services des armées ont été passés au crible. La vérité sur le rôle de la France pendant le génocide du Rwanda a été mis à jour intégralement. Incontestablement.

On y apprend que le Président François Mitterrand a soutenu les Utus qui d’avril à juillet 1994, ont massacré à la machette un million de Tutsis au rythme de 10 000 par jour ! Ce génocide de masse avait été pressenti par les services de renseignements extérieurs, les diplomates, les missions militaires détachées sur place. Mais l’Élysée était occupé par « les singes aveugles, sourds, muets » qui avaient choisi de soutenir le camp des assassins. Quelques lanceurs d’alertes avaient tenté en vain de réveiller la conscience du Président: ainsi Pierre Joxe qui n’était plus ministre depuis mars 1993, ainsi Pierre Conesa à l’époque à la direction des affaires stratégiques ainsi de nombreux autres dont la témérité entacha leur carrière. Les empêcheurs de tourner en rond militaires, diplomates, hommes politiques … seront ignorés ou écartés. À l’Élysée, une petite équipe de Mitterrandolâtres filtraient les messages et s’abstenaient de contrarier le vieux Président malade, figé dans sa vision coloniale héritée des années 50, du temps où il avait été plusieurs fois ministre de la répression. La France-Afrique était -est toujours- sous protectorat personnel du Président.

Le rapport de l’équipe du Professeur Vincent Duclert confirme qu’en situation de crise, la démocratie est court-circuitée, tout remonte à l’Élysée vers le Président qui se complait et se grise de ces moments de dérive monarchique. 


Pendant qu’à 8 000 km de Paris, on massacrait à tout va, dans les Balkans, banlieue de l’Union Européenne, on faisait de même. Des diplomates constataient la barbarie humaine: des nouveaux nés cloués à la porte des granges, des familles alignées écrabouillées par les chenilles des chars…Alors, des soldats français sous casques bleus tentèrent de s’interposer. Plus d’une centaine y laisseront leur vie. Le Président Mitterrand - son hélicoptère essuyant le tir d’un sniper - parvint à forcer le blocus de Sarajevo pour permettre l’ouverture d’un pont aérien humanitaire qui sauva des milliers de vies. Mille jours d’enfer plus tard, son successeur Jacques Chirac par un coup d’audace mit fin au siège de la ville et précipita le processus de paix. Entretemps, combien d’erreurs, d’hésitations, de querelles et de rivalités franco-françaises, de mesquineries mais aussi de vaillance, de générosité, d’abnégation. 

Sur la Bosnie et le Kosovo, Macron ordonnera t-il pareillement de fouiller l’histoire pour dire la grandeur et la lâcheté de ceux qui n’étaient que des hommes ? 



https://www.vie-publique.fr/rapport/278186-rapport-stora-memoire-sur-la-colonisation-et-la-guerre-dalgerie

https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-france-le-rwanda-et-le-genocide-des-tutsi-1990-1994

https://www.liberation.fr/international/afrique/rwanda-la-france-a-rendu-possible-un-genocide-previsible-20210419_IOSAXGL6LVE4RNS2VMU7U2PYHY/

Hugue Dolley Action des commandos de l’air en ex-Yougoslavie https://fr.calameo.com/read/00008198013666add8dfd


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