dimanche 11 mai 2025

Un matin à Ravensbrück

La grandeur de l’Allemagne est d’honorer celles et ceux qu’elle a jadis martyrisés. Dans les centaines de camps de déportations où des millions d’êtres humains avaient été traités comme du bétail par les nazis, des commémorations ont été célébrées pour le 80ème anniversaire de leur délivrance.                       

En ce premier dimanche du mois de mai, à Ravensbrück où 133 000 femmes ont été parquées, humiliées, forcées, torturées, affamées, assassinées, gazées, incinérées… une foule s’est rassemblée pour les pleurer. 

Admirable présence qui invite à méditer. Sommes nous responsables des actes de notre lignée ? Petits-enfants de bourreaux allemands devez-vous porter éternellement le fardeau des crimes de vos ascendants ? Comment ne pas songer aux descendants des 27 millions de soviétiques morts pour libérer l’Europe du joug d’Hitler dont certains sont aujourd’hui mobilisés par Poutine au prétexte fallacieux d’aller libérer l’Ukraine des nazis ?…Et aux six millions de suppliciés dont les héritiers massacrent les femmes et les enfants de Gaza par dizaines de milliers. Victimes d’hier et bourreaux d’aujourd’hui ne sont assurément pas du même sang.

Sur une esplanade immense recouverte de mâchefer noir, une allée de cendres conduit à une estrade où des musiciens adolescents arrachent des soupirs à leurs instruments. Au micro se succèdent les témoignages, les prières, les discours… Des nuages noirs couvrent le ciel, des bourrasques de vent  glacent l’assistance. Chacun est pétrifié d’émotion en lien avec le paysage, le froid qui monte de la terre, la plainte des violoncelles, le récit des souffrances, le Chant des marais, celui des déportés, entonné à capella par mille voix:

Dans ce camp morne et sauvage

Entouré de murs de fer

Il nous semble vivre en cage

Au milieu d’un grand désert


Aucune bannière, aucun drapeau, seulement des femmes, des hommes, des vieillards et des enfants en poussettes avec un bouquet de fleurs ou une rose à la main. Nul hymne national ni sonnerie aux morts, aucun uniforme au garde-à-vous ! Ici, toutes et tous sont égaux. Rien ne distingue la vingtaine d’ambassadeurs parmi lesquels celui de France, digne et affecté. Pareillement discrets, des ministres allemands prennent la parole pour dire sobrement leur effroi face au réveil de la bête immonde du fascisme partout dans le monde.

Très ému, un général français d’un grand âge est aller incliner ses cinq étoiles devant la plaque accrochée au mur des Nations par le neveu d’une héroïne. « En mémoire des sous-lieutenantes Marie-Louise Cloarec, Eugénie Malika Djendi, Pierette Louin, Suzanne Mertsizen Boitte, opératrices radio du corps féminin des transmissions d’Alger » surnommées les « Merlinettes » parachutées en France occupée en avril 1944, exécutées ici en janvier 1945.

Enfin, la foule silencieuse en lente procession vint déposer couronnes, gerbes et poignées de pétales, au pied du monument aux mortes, face au lac de Schwedtsee où entre 1939 et 1945 furent dispersées les cendres de dizaines de milliers de femmes, d’enfants et de nouveaux nés.