samedi 8 novembre 2025

L'Histoire contemporaine de Sébastien Lecornu

Comment évaluer la performance du nouveau Premier ministre autrement que par la comparaison avec un de ses illustres prédécesseurs ?


Prophétisant la gloire de son lointain descendant, Luis Mendès ajouta « de Franca » à son patronyme. Et c’est ainsi que 400 ans plus tard,  le plus estimé Président du Conseil des ministres de l’histoire des républiques sera Mendès France.

Comparaison n’est pas raison. D’ailleurs, Sébastien Lecornu ne porte pas un patronyme prestigieux et personne ne l’a encore moqué.


Avec Pierre Mendès France décédé quatre ans avant sa naissance, il partage des affinités de terroir. Vernon n’est pas loin de Louviers. En ce pays de bocage, les Normands, à l’inverse des Béarnais bavards, ne sont pas causeurs. Un mot est un mot, pas la peine d’en faire des kilos. 

Pour autant, jamais on ne tourne le dos. On est tolérant. Au bistrot, on se fiche de savoir si le cidre est de gauche, le calva de droite et inversement. P’têt ben qu’oui, p’têt ben qu’non. 

Entre Seine et Eure, chacun évite de se mêler des affaires du voisin. Celui qui a des terres est respecté à la mesure de ses hectares pourvu qu’il ne la ramène pas. 

L’habit n’est pas le marqueur social. Vous avez vu celui de Lecornu ? Godasses fatiguées, futal en tire-bouchon, veste étriquée sur une chemise en nylon ? À la fashion week du Palais Bourbon entre Cazeneuve et Ciotti, y’a pas photo ! 

Son regard en dit long. Furtif et de biais, le blanc masque la couleur des pupilles. Le salut est neutre, l’écoute attentive mais réduite à l’essentiel de la politesse. Pas du genre Chirac à traîner au comptoir, échanger sur la météo et taper dans le dos. Il passe sans s’attarder. On comprend qu’il a du boulot.


Le contraste est flagrant. Le casting est clivant. Dans l’hémicycle où il passe plus de temps qu’à Matignon, le machiniste occupe la place du petit baron. Ça détonne. Sobre, clair, économe de tout. Le 14 octobre  dernier le message est passé (sans 49.3), la classe politique unanime s’est rangée derrière ce chef du gouvernement qui joue habilement les second couteau. Après une fausse sortie, il a marginalisé le Président réduit à faire du tourisme aux États-Unis, en Égypte ou au Brésil. 

Vive la 4 ème République du passé, elle est porteuse d’avenir ! 

Les députés socialistes comme les macronistes, font semblant de s’opposer car ils craignent la dissolution. Tous savent que leur mandat dépend des désistements du second tour en leur faveur, de LFI pour les uns, du RN pour les autres. Quelques indécis hésitent encore à flirter ouvertement, mais tous cherchent à gagner du temps. Habile dans l’exercice de la répartition des concessions, le Premier ministre joue aussi la montre. Il n’a rien à perdre, il a tout à gagner. 


Comme si, fidèle à son image de passe-muraille, il en était complètement dépourvu, il se garde bien de laisser percer ses ambitions. C’est un habile louvoyant godilleur qui avance discrètement. Ses adversaires habitués à tonitruer sont décontenancés par ses chuchotements. 


Sébastien mise sur le temps long. C’est un adepte de la politique des petits pas. À 16 ans, il milite aux JDV (Jeune Droite de Vernon) de l’UMP avant de gravir les échelons de sa région et des cabinets ministériels dans l’ombre de Bruno Le Maire (Goncourt de l’économie). En moins de trois ans (2014-2017) il se propulse au gouvernement qu’il n’a depuis jamais quitté, sauf le temps d’une heure ou deux pour se faire nommer de nouveau. Il a successivement dirigé les ministères de l’Écologie, des Collectivités, des Outre-mer, avant celui des Armées. Il a servi six Premiers ministres. Sa carrière a-t-elle atteint le sommet de ses ambitions ? 


Qui peut croire qu’après Matignon il se retirera peinardement entre Château-Gaillard et la Roche-Guyon pour tweeter ses recettes de soupes aux poireaux ?

Lecornu, c’est le Mendès France de droite ! 

Allons Pierre sors du corps de Sébastien, tu es démasqué ! Ton virage à la droite de la gauche et à la gauche de la droite ne trompe personne en dehors des « humoristes » de la matinale de France inter. Les vieux de la vieille ont compris que tu attends la chienlit et que tu vises Charléty.


Reste à créer un mouvement politique: le Lecornisme ou Lecornuisme ? 

Pour rassembler, il faut cliver mais dans la simplicité. Mendès avait supprimé le vin en carafe dans les cantines et obligé les mômes à boire un verre de lait avant d’entrer en classe. Pourquoi ne pas s’en inspirer en légalisant la vente de shit bio à la sortie des lycées ? 

Plus spectaculaire serait de sauter dans un avion pour un aller retour en Nouvelle Calédonie comme le fit Mendes France à Tunis en 1954 et déclarer devant la foule rassemblée à Nouméa : « L’autonomie interne de la Tunisie Nouvelle Calédonie est reconnue et proclamée sans arrière-pensée par le gouvernement français...nous sommes prêts à transférer à des personnes et à des institutions  tunisiennes calédoniennes l’exercice interne de la souveraineté » 

Il est vrai que le verre de lait, l’indépendance de la Tunisie et la paix en Indochine n’ont pas assuré la longévité de Mendès à Matignon - seulement 8 mois - mais ils ont marqué pour longtemps la mémoire reconnaissante de ses contemporains. 


L’époque est à l’austérité, Monsieur Lecornu est grêle, pauvre en cheveux et en verbes, tout en lui exprime l’épargne et la sobriété. On ne l’imagine pas au soir du second tour de la présidentielle aller faire le beau dans un bistro super chic, ni parader dans la cour du Louvre. Si son ministre de l’Intérieur intercepte les escadrilles de boules puantes qui ne manqueront pas de le cibler, un boulevard le conduira à l’Élysée.

Face à une classe politique qui passe son temps à détailler la gabegie et à se chamailler à propos des retraités de demain et des riches d’aujourd’hui, il a martelé la formule mémorable du je-nous-vous : « je propose, nous débattons, vous votez » sans ajouter le ils…paieront. C’est en apparence un habile abandon de son pouvoir qui lui permet avec élégance d’occulter la responsabilité de son ami Macron « Mozart de la finance (2015) »


Mais pour se hisser à l’Élysée, il faut être le sauveur des catastrophes annoncées. Les droites ont monté en épingle la dette et l’immigration, deux vieilles ficelles usées ! Pour autant, selon les sondages (qui se trompent régulièrement) les Français s’apprêteraient « à essayer le RN » quitte à faire ensuite la révolution en gilets jaunes et bonnets rouges si ça ne marche pas.

Lecornu est en bonne posture pour créer la surprise de l’élection présidentielle. Par son expérience de ministre des Armées, il détient le joker.


Car en Ukraine, la pression monte. Il n’est plus de jour sans qu’un général ou un savant consultant européen prédise l’imminence de la guerre. Pour l’instant, le gouvernement sous les applaudissements du parlement, s’arme budgétairement, mais à la moindre étincelle à nos frontières, il passera aux mesures concrètes: réquisitions, conscription, provisions, exercices d’alertes de la défense passive…La mobilisation nationale face aux périls balayera les opinions partisanes. « Car les nations armées se laissent conduire avec docilité » 

Cette citation n’est pas de Mendès mais d’Anatole, un autre illustre bien nommé: Anatole France (1844- 1924) Histoires contemporaines éditions Table Ronde dont la lecture est recommandée aux électeurs et à tous les prétendants à l’Élysée.