L’actualité me donne comme un mauvais goût dans la bouche.
Je partage le sentiment de Didier Lestrade sur: « ...l’étrange flottement qui a entouré cette affaire, la peur de se dévoiler, d’analyser, de partager son propre vécu sur le tourisme sexuel ».
Soyons courageux !
Il y a un temps aujourd’hui prescrit, j’étais à Bangkok pour affaire. Mon intermédiaire local avait été choisi en rapport avec le coût du projet. C’était un colosse rond comme un bouddha, costume de soie, cravate piquée d’un diamant, lunettes fumées, Rolex de poids, havane de prix. Une escouade de serviteurs craintifs et obséquieux guettait ses ordres qu’il donnait du sourcil et du petit doigt. Je m’affalais à ses côtés dans une limousine à l’odeur de cuir et d’encens. La vidéo diffusait un concert de Tina Turner, mon hôte me proposa un verre de bière glacée qu’il extirpa d’un petit bar en acajou. Son anglais était très approximatif, mais qu’importe, cette rencontre était une prise de contact. Les discussions sérieuses étaient programmées pour le lendemain. Son secrétaire m’avait prévenu « Monsieur Bouddha viendra vous chercher à 17h à votre hôtel pour vous emmener dans son club. C’est un grand privilège car l’endroit n’est pas ouvert aux étrangers » avait-il ajouté.
Le plus grand et le plus select bordel de Thailande présente une façade d’hypermarché. Gigantesque parking, portes vitrées automatiques, devant lesquelles on se surprend à chercher un caddy. Le hall est à peine moins vaste que la place de la Bastille, moquette rouge, plafond noir, odeur de tabac, musique pop en sourdine, lumières tamisées, canapés en velours roses et guéridons dorés. Le long des murs, dans des cages de verre, des centaines de gamines et quelques gamins éclairés aux projecteurs patientent sur des estrades. Il y en a qui fument, qui papotent, qui jouent en se tapant sur la paume des mains. Tous vêtus de maillot de bain. Ils arborent à la hanche un disque de la taille d’une soucoupe avec leur numéro. Les clients font du lèche-vitrine. Des messieurs en costume un micro à la main aboient leur commande dans la volière : « 247 ! », la fille sursaute et se dirige vers le tunnel de sortie. Bouddha qui se méprend sur mon embarras me presse d’une œillade complice. Il me croit fine bouche m’explique que tout le cheptel est du premier choix, moins de treize ans d’âge, pas plus d’une semaine d’abattage. Je prétexte une petite forme et propose de l’attendre au bar. Pas question, il va choisir pour moi !
Dans une cellule sans fenêtre en béton ornée de posters il y a des peluches sur un lit et des boissons glacées sur une table. Il y a aussi une baignoire que la gamine s’empresse de remplir d’eau moussante. Je me baigne, elle me masse. Me voici propre, je me rhabille. La petite consciencieuse proteste. Je luis donne une liasse de billets et lui fais des risettes. La pauvrette panique, elle ne comprend pas l’anglais. Je lis dans ses yeux l’épouvante. « Si l’étranger n’est pas satisfait, le gros Bouddha va me pendre à un crochet de boucher ! » Je tente de lui parler avec les mains, je mime la maladie, l’amour fidèle, la gérontophilie, la zoophilie… Trois-quarts d’heure c’est une éternité, enfin une sonnerie retentit, signal de ma délivrance. L’enfant tremble. Je fais un grand sourire à Bouddha, j’agite la main gauche, je lève le pouce droit. L’homme lance un compliment à la gamine et lui glisse un billet. Elle revient à la vie.
Autres temps autre rive. La fillette est longiligne, des cheveux châtains, des yeux noisettes, belle comme une madone. On s’était baigné dans les vagues d’une plage déserte par un tiède après-midi de printemps. On avait joué à s’asperger, on avait couru à perdre haleine. Affalés sur le sable, on avait picoré des fruits sucrés et pour s’amuser on s’était séchés les bras puis les épaules, à coup de petits baisers au goût de sel. Cette gastronomie des corps s’était délicieusement prolongée par le partage d’une cigarette blonde. Avant la nuit nous étions repartis chacun de notre côté, nous avions peur que notre passion se sache. Les jours suivants en présence des adultes, elle faisait semblant de ne pas me connaître. Son père sans doute avait deviné mais faisait semblant d’ignorer.
Ces deux souvenirs sont voisins dans ma mémoire. Les deux gamines avaient le même âge à peu près. N’allez pas en conclure que vous lisez ici les confessions d’un abject pédophile. A Bangkok je n’ai pas touché l’enfant et sur la plage, j’avais un an de moins que ma copine.
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