mardi 15 décembre 2009

Sarajevo fume

Dans le centre de la vieille ville sur une surface de la taille de trois terrains de football, Dieu est en concurrence avec lui même : une cathédrale, trois églises dont deux orthodoxes, trois mosquées, deux synagogues. L’architecture œcuménique fait plaisir à voir d’autant qu’un commerçant libre penseur a édifié au début du siècle dernier une tour avec une horloge qui se dresse fièrement parmi les clochers et les minarets.

La dernière fois que Sarajevo s’est posé la question de son identité, la réponse a fait deux cent mille morts.

En ce début d’hiver ensoleillé, assis au grand café de l’Europa, je déguste avec une paille une choppe de chocolat brûlant recouvert de crème fraîche fouettée. Le mouvement du chalumeau permet d’ajuster le mélange et la température. C’est exquis. J’allume une Craven.
Les femmes dans la rue sont différentes des passantes des autres villes. Elles ne portent pas l’uniforme noir ou gris de chez Zara, H&M ou Boss, non, chacune est un trait, une silhouette, une posture, une harmonie. Elles portent avec classe du Azzeddine Lacroix ou du Christian Alaïa. La coiffure est soignée, le maquillage savant. Chaque fille qui défile avec superbe sur la rue Marsala Tita est unique. La femme de Sarajevo a vaincu la laideur, elle est la plus belle d’Europe.

Sarajevo, capitale d’un micro pays la BiH, ce n’est pas l’anagramme d’un blog mais la contraction de Bosnie & Herzégovine. Sarajevo, deux cent mille femmes et cent mille hommes. Un peuple, trois religions, deux entités, un protectorat international. Sarajevo, une guerre de trop. C’est le neuf trois de l’Europe. Un confetti de l’histoire qui coince dans la gorge de l’ogre de Bruxelles. Dans moins de dix ans, comme le village d’Astérix, le pays sera ceinturé de frontières Schengen. Les états-uniens, les russes, les wahhabites soufflent doucement sur les dernières braises.

Sarajevo fume toujours, partout, en tous lieux et toutes circonstances. Le paquet de cigarette ne coûte que cinquante centimes. Il semble que rien ni personne n’interdira jamais le goût du tabac. Pendant les bombardements de la ville il y a quinze ans, un Américain qui protestait contre la fumée s’était fait virer de chez Bambu la célèbre cave à pizza. A cette époque, le jeu favori des jeunes était de se camper au milieu d’un carrefour pour défier les snipers le temps d’une cigarette.

Les yeux verts d’Ivanka me sourient. « Tu sais Adi, notre destin c’est d’être l’espace fumeur de l’Europe !»

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Hedy,
J'ai beaucoup apprécié ton blog, je vais transmettre une copie de "Sarajevo fûme" à une amie Bosniaque et ne manquerais pas de te communiquer ses commentaires, le cas èchéant !
Depuis que je t'ai lu, je comprends beaucoup mieux l'amour que portent Claude & Danièle Robin au Perche.
Amitiès depuis la Polynésie.
Henri Valin.