Chaque année, pour célébrer la naissance d’Issa le fils de Myriam, on coupe un sapin vivant, on le dresse dans le salon, on le couvre de guirlandes, de boules et de clochettes. Puis, on met des souliers devant et on va se coucher. Le lendemain pour fêter le passage miraculeux du père Noël, on s’attable devant une volaille farcie. Certains font l’oie, d’autres aiment la dinde ou la poularde, moi c’est le chapon. Ce volatile à chair succulente n’est autre qu’un coq dont la fierté a été prématurément châtrée. Il s’ensuit de l’opération douloureuse une mutation des cordes vocales rendant l’animal aphone de cocorico. Il sombre en dépression nerveuse, devient boulimique et gras. Un chapon, c’est un coq qui s’est fait couillonner. C’est forcement meilleur car enlevez au mâle ses attributs de reproduction, il devient mou, doux, suave, émouvant.
Depuis l’antiquité on a tenté avec succès l’expérience sur les garçons, non pour les manger mais pour les faire chanter. A partir du XVII siècle la mode du castrat s’est propagée grâce au pape Clément IX, qui était un peu wahhabite sur les bords. Il avait sentencieusement déclaré « Nulle femme sous peine majeure ne doit à dessein apprendre le chant ». Cette incontournable fatwa avait mis les chœurs à mal. Il fallut remplacer au pied levé les sopranos. Les mélomanes en fabriquèrent presto en émasculant des gamins de moins de six ans dont la voix n’avait pas encore mué.
L’Italie se spécialisa dans l’élevage en batterie. Les bonnes années la sélection atteignit quatre mille chapons chantants! Evidemment il y avait beaucoup de déchets. Ils étaient recyclés en pigeons, dindes, faisans, poules et autres volatiles qui constituèrent autant de proies faciles pour les maquereaux. Mais l’histoire de la musique baroque et barbare retiendra que nombre de ces rossignols comme Farinelli devinrent célèbres et adulés. Le dernier d’entre eux mourut en 1922 et avec lui une bien belle page de notre civilisation.
Je sais tout cela car j’ai reçu en cadeau un coffret de la Bartoli qui chante le répertoire des castrats.
Cecilia, c’est ma voix.
Elle me fut révélée il y a longtemps, un soir où j’étais seul à l’opéra de la Bastille, sur un strapontin du deuxième rang. Le spectacle était somptueux. Soudain, une gamine pétillante bondit sur l’immense scène et entonna l’air du chérubin. Ce fut un moment de grâce et d’extase, de longues et délicieuses minutes de chaire de poule. A l’entracte, je restais collé à mon siège, anéanti par la violence de la jouissance. Des années plus tard, je suis encore en amour de Cécilia Bartoli et lorsque je l’entends à la radio, il m’arrive de pleurer. Si demain je la croisais dans la rue et qu’elle me passait un collier au cou, je la suivrais à quatre pattes rien que pour l’entendre me roucouler « couché ! "
Voici pourquoi j’ai passé Noël sous la table à ronger un os de chapon.
1 commentaire:
Il ne faut pas pleurer...Ni pour la Bartoli ni pour les chapons !
Elle s'est bien essayé au baroque (notamment avec le Stabat de Pergolèse...) mais elle ne m'a jamais fait pleurer.
Quant aux chapons ils n'en sont plus depuis longtemps, et nos contre-ténors d'aujourd'hui n'ont rien à leur envier...
Ami, écoute un soir - allongé dans une pénombre apaisée - René Jacobs chanter ce même Stabat Mater... ou mieux encore, Gérard Lesne dans le Miserere d'Allegri et laisse couler tes larmes... d'ailleurs tu ne pourras pas les retenir bien longtemps...
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