mercredi 8 mai 2024

Gaza, le bout du tunnel ?



L’attaque d’octobre, la plus meurtrière depuis sa création, marquera Israel comme la fin de son invulnérabilité. Tous les acteurs de sa défense ont été pris de court. La sidération face à un évènement non anticipé a provoqué une vengeance aveugle, massive, disproportionnée et barbare obérant les perspectives de paix. L’émotion suscitée d’abord par le massacre de civils israéliens, puis par l’indicible carnage de milliers d’enfants palestiniens restera inscrite à jamais dans les mémoires. Pour autant il convient de relever quelques évidences factuelles pour tenter de lire l’avenir. 


Défaite du renseignement israélien

Le 7 octobre, la branche armée du Hamas a mené simultanément ses assauts sur plusieurs fronts: terre, airs, mer avec des engins de travaux publics, des camions, des motos, des embarcations de pêche et de plage, des drones, des ULM et parapentes bricolés. L’opération qui aurait mobilisé plus de 1 000 hommes a réussi à ouvrir 30 brèches. Elle avait nécessairement été préparée et coordonnée minutieusement de longue date. 

La formidable bulle électronique supposée capable de déceler le vol d’une libellule ou le passage d’un lézard n’a pas empêché des commandos de franchir les triples barrières d’acier et de béton truffées de capteurs, de caméras et de systèmes d’alerte. Les milliers d’informateurs, agents doubles et dormants recrutés depuis des années par les israéliens n’ont rien mouchardé. La cartographie numérisée des lieux, la banque de données personnelles nourrie par les logiciels de reconnaissance faciale et de mouvement, d’interceptions téléphoniques,…tous ces dispositifs ultra sophistiqués n'ont pas décelé d’anomalie.  Pour la première fois, la détermination humaine a eu raison de l'intelligence artificielle.

Aucun allié d’Israël n’a eu vent de l’opération, à l’exception des Égyptiens qui se sont vantés d’avoir su et prévenu grâce sans doute à l’interception d'échanges en langues arabes dont les subtilités d’une trentaine de dialectes échappent aux Israéliens.

Les historiens diront  les raisons de cet incroyable défaite. Ils révéleront aussi peut-être l’éventuel double jeu des «  alliés arabes  » du Pacte Abraham dont on peut supposer a minima la mauvaise volonté de collaborer avec l’ennemi historique, voire pour certains d’avoir tu, saboté ou aidé activement leurs frères palestiniens en douce, sans se faire remarquer. 


Les services spéciaux israéliens jadis confiants dans la supériorité technologique et leur certitude d’être parmi les meilleurs du monde vont reconsidérer leur politique. Leur chef le général Haliva, reconnaissant son échec, vient de démissionner.

La doctrine de l’état hébreu repose sur l'élimination physique de ses ennemis. Ronen Bergman a décrit les milliers d’assassinats ciblés exécutés en parfaite impunité partout dans le monde. Les Israéliens pensaient avoir trouvé la méthode infaillible pour mâter leurs ennemis : éliminer les uns, encager les autres, soudoyer ceux qui restent. La riposte de l’Iran au bombardement de son consulat de Damas marque les limites de la méthode. Le 13 avril, après avoir déposé un « préavis d'attaque » qui a permis la mobilisation de tous les moyens de défense aérienne, y compris celles des porte-avions et des bases occidentales de la région, l'Iran est parvenu avec un essaim de drones masquant des missiles, à frapper les sites militaires de Nevatim et Ramon depuis à 1 500km. Cet exercice militaro-diplomatique spectaculaire qui n’a pas fait de victime a été revendiqué comme une victoire aussi bien par les attaquants que par les défenseurs. Pour autant, il relativise l’efficacité des dispositifs anti-missiles déployés dans la région et notamment du « dôme de fer » qui a laissé filtrer des projectiles. À Tel Aviv on se demande quelles auraient été les conséquences d’une attaque surprise.


Guerre de retranchés

Le salon mondial de l’armement Eurosatory qui se tiendra à Paris dans quelques semaines est le lieu de rencontre et d'échange où se côtoient les officiers généraux venus de 100 pays pour faire leurs achats auprès de 2 000 exposants. À cette occasion, de nombreuses conférences sont prévues sur les retours d’expérience des conflits de l’année et les perspectives inquiétantes d’emploi de l’arme nucléaire tactique par Vladimir Poutine.

La tendance est à la simplification des matériels. En Ukraine, la Russie ne s’attendait pas à lutter au sol «  à la baillonnette  » ni affronter des drones légers tueurs de chars. À Gaza, les blindés lourds israéliens ont été piégés et les robots se sont révélé inefficaces. Dans les deux cas les assaillants qui avaient la maitrise des airs, ont déversé sans discernement un déluge de bombes et de missiles sans pour autant parvenir à entamer les capacités des combattants retranchés.

Dans les plaines d’Ukraine, l’armée résiste à l’envahisseur depuis des boyaux creusés dans la glaise. 

À Gaza, les forteresses enfouies à plus de 50m sous terre semblent hors d’atteinte des bombes de 13 tonnes. Les Israéliens qui connaissaient leur localisation croyaient à tort les avoir neutralisés. Les Palestiniens ont tiré les enseignements des meilleures expertises (dont la plus connue est celle de Corée du Nord ). Ils ont creusé des galeries à la pioche et au tunnelier, consolidées par des voussoirs en acier et en béton hydrofuge. Tout ceci avait été documenté par les « révélations » du The Times of Israel en décembre 2023.

Sous terre, la survie: air, eau, énergie, température et surtout repérages, détections, orientation…est tributaire de systèmes complexes. Le combat: pièges, torpilles, bombes éponges ou à gaz…implique des soldats entrainés et accoutumés à ce milieu angoissant. De ce corps à corps inévitable, les furets sortent rarement vainqueurs contre les taupes.

Sous terre, nulle vie durable n’est possible sans relais extérieur, sans prise d’air minimum, sans conduite d’alimentation et d’évacuation, sans boyaux d’attaques, d'esquives ou de fuites. Le retranchement des combattants du Hamas leur permet de surprendre les soldats israéliens derrière leurs lignes mais aussi probablement d'aller se réfugier et s’approvisionner en Égypte voisine.  


L’embarras du Caire

Entre Gaza et l'Égypte la frontière sévèrement contrôlée est large de seulement 12km. Au-delà s'étend la péninsule désertique du Sinaï. Le port d’El Arish (100 000 habitants) est situé à une demi heure de route (plus si on emprunte les tunnels) de Rafah. El Arish conserve la mémoire de la guerre de 1967 et des 400 prisonniers égyptiens et palestiniens  massacrés par les soldats israéliens dans les dunes de sable. C’est une cité sans journaliste étranger où se croisent les diplomates, les humanitaires, les espions et surtout tous les commerçants avisés du moyen-orient. El Arish comme l’ensemble du Sinaï est sous stricte administration militaire. Les officiers égyptiens détiennent tous les secteurs de l’économie depuis l’immense cimenterie franco-égyptienne Vicat jusqu’aux coopératives agricoles du littoral. La circulation des personnes et des biens y est sévèrement contrôlée mais la corruption  institutionnalisée encourage les affaires  juteuses. 

Pour les Israéliens « un droit de suite » est impossible car toute violation de la souveraineté égyptienne réveillerait de mauvais souvenirs, ruinerait le Pacte Abraham et risquerait de faire déferler vers Gaza la colère de 100 millions d’Égyptiens derrière leur armée suréquipée. Le sinistre projet de déportation en masse des gazaouis vers le Sinaï  après la destruction de Rafah serait tout aussi risqué. 

Les Égyptiens, entre soutien aux Palestiniens et aides américaine et européenne,  sauront sûrement monnayer cette situation au mieux de leurs intérêts. Ce n’est pas un hasard si les négociations pour un cessez le feu se sont tenues au Caire sous l’égide du puissant ministre égyptien des renseignements. 

La guerre des ombres n’est pas prête à sortir du tunnel. Nul ne s'aventure à prédire ce que sera l’après. D’autant qu'entre les mystiques sectaires qui ambitionnent de «  talmutiser  » la Terre promise depuis l'Euphrate jusqu’au Nil et ceux qui veulent la «  chariatiser  » du Jourdain à la mer, l'entente est impossible car « Avec Dieu, on ne discute pas ! »

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