lundi 1 juin 2009

L’épicier

Salam aleykoum ! L’épicier me reconnait, il achève de servir la cliente et se faufile sous le comptoir pour venir m’embrasser. Nos joues se pressent trois fois. « Mon frère » me dit-il, ta visite est signe de chance. Suivent des salamalecs interminables à la mesure de notre affection réciproque. « Comment va ton père… ta mère ? Que Dieu les bénisse ! Comment vont les petits, le grand ? Comment va ma « sœur » (mon épouse) ? J’espère que ta santé va mieux ? Al hamdou lillah ! » A mon tour je m’enquière « Comment va mon (ton) fils Omar ? Comment va la maman d’Omar ? Ta santé ? Tes affaires ? Et toute ta famille (sous entendu tes deux filles) ? Que Dieu leur apporte la joie (sous entendu le mariage). Qu’Allah vous garde tous et que nous soyons toujours réunis…»

Hadj l’épicier m’invite à m’assoir dans un coin à l’entrée du magasin. N’allez pas croire que son établissement ressemble à une superette ! C’est une authentique épicerie arabe. Elle est unique à Paris, c’est la copie conforme des succursales d’Alger, de Tunis, Fez ou Damas. Elle figure dans le guide des touristes japonais. Parole !
Derrière l’imposant comptoir en bois s’entasse un amoncellement de denrées diverses d’où trois vendeurs affairés émergent telles des marionnettes. « Thon à l’huile ou naturel ? Le Sidi Daoud est meilleur que le Manar, trois boites ?...Mloukhia j’en mets combien ? Et quatre poulpes séchés, 50 grammes de boutons de roses, 150 grammes de cumin, un chapelet de piments secs, un kilo de boulgour, un savon de Marseille, un gant de crin, un kilo d’argile, une bouteille d’orgeat…» Ici, le client est roi, il sait ce qu’il veut. Il ordonne, on le sert. C’est pesé, emballé, ficelé, ensaché. Et si c’est lourd on vous porte le tout jusqu’au coffre de votre voiture garée en double file. Avec le sourire, un mot gentil et une botte de menthe en cadeau.

Saïd est « Hadj » car à 50 ans il a fini par accepter d’accompagner son épouse au pèlerinage. C’est un fra-rabe de la banlieue de chez moi, le 78. Français par le sol et le sang : un grand père tombé à Dunkerque, l’autre à Monte-Cassino. Orphelin depuis Charonne. Il a beaucoup fréquenté les universités du temps où il militait dans les rangs baasistes. Après la mort de Michel, Salah et Saddam, le nationalisme l’a abandonné, mais Saïd est resté un rocker de cœur. Par la suite, il est devenu très riche : deux hôtels et une brasserie à Paris, trois immeubles à Canne, une boulangerie industrielle à Lille, une affaire d’import export dirigée par son centralien de fils à Dubaï plus quelques autres babioles à Zurich et Téhéran qui lui rapportent gros.
Cette aisance aurait dû l’incliner à passer son temps à jouer au golf, à fréquenter les casinos, à cajoler les filles au bar du Fouquet’s à prêchi- prêcher à la Closerie des Lilas avec les conseillers de l’Agha Khan. Que non, Saïd s’est payé il y a six ans le rêve de son enfance : une épicerie. Et deux fois par semaine, comme vous et moi pour le tennis ou la galipette, Hadj Saïd joue à l’épicier ! C’est son vice. Il est accroc des odeurs de cannelles et de girofles, des parfums de corète, de coriandre, de henné, des vapeurs d’eau de fleurs d’orangers. Il est maso de pois chiches dans la balance. Son plaisir c’est de rendre la monnaie. Quelques rares amis partagent son secret et viennent de temps en temps boire un verre de thé sur le pas de sa boutique.

On parle du passé, on dénigre, on déchire, on brocarde, on se moque, on ricane, on rit, bref on commente l’actualité des arabes comme si nous n’en étions pas.
« Tiens, il y en a un qui a fait condamner Orange télécom qui lui avait attribué le mot de passe « salarab » ; le juge lui a accordé 8 000 euros de dommages et intérêts » Silence…. « Par rapport à « saljuif » c’est plus ou c’est moins ? » Je lève les yeux en secouant la tête. « Ils ont nommé un aumônier musulman à la gendarmerie, Bouharb (fils de guerre en arabe), je te jure que c’est vrai ! » Silence… « Tu sais comment on s’adresse à un aumônier dans la marine ? Monseigneur ! » Silence… « Alors dans la gendarmerie on l’appellera Ya Sidi (mon Seigneur en arabe)» Je tente une diversion dans le sérieux « A propos tu as vu que le couturier Lacroix a déposé son bilan, tu envisages de reprendre l’affaire ? » Silence… « Je suis en contact avec un fonds de pensions iranien mais les négociations butent sur des détails de bannière et de genoux » ....« Et le club Med ? » Le visage de Hadj s’illumine d’un sourire malicieux « j’ai vendu fissa mes 5% du capital car avec l’arrivée de Bernard Tapie, ça sent la faillite à plein nez! »
On passe aux affaires internationales, on parle des malins petits somalis qui lancent des OPA agressives sur le commerce maritime. On évoque BHO qui doit se rendre cette semaine en Arabie, ira-t-il à la Mecque ? Deviendra t-il Hadj Barak Hussein Obama avant d’aller dire des Takbirat au cimetière de Colleville sous les cameras de Jean-Claude Narcy ?
Retour aux choses sérieuses : l’Europe et les élections de dimanche. Comment voter sans être assuré de perdre ! Notre candidat n’a jamais été élu Saïd en convient ; on marque la pause Mouna, un ange passe…Un réveil sonne…A propos du remaniement inévitable. « Qui gardera les Sceaux? » On tombe d’accord pour écarter les prétendants arabes mâles ou femelles car la justice ce n’est pas un domaine où l’on excelle par atavisme. Alors un juif. « Tu penses à Klarsfeld le patineur ? » Un maçon . « Bauer ? » Finalement on se met d’accord sur Eva Joly, Norvégienne du cercle Eddie Barclay, moins belle que Rachida mais qui porte un si joli nom. A la défense l’idéal serait de remplacer l’actuel ministre par un autre propriétaire de France Galop, Bayrou possède le profil idéal. On cite un outsider Olivier Darrason qui a le mérite d’écouter et de se taire, ou Pierre Lellouche un cousin du pays. A l’intérieur Hadj pense qu’un ministre issu de la diversité est indispensable. « Un hybride comme toi HYB ! » Je refuse tout net. Hadj n’insiste pas. Aux affaires étrangères, poste qui revient selon la tradition à un docteur en médecine, n’importe quel circonciseur fera l’affaire pourvu qu’il s’adjoigne un secrétaire d’Etat dont la première mission sera de faire admettre la France à la Conférence Islamique. Car après tout, il y a davantage de musulmans en France que dans les Emirats Unis ou en Libye. Je développe mes arguments, j’insiste, Hadj l’épicier fini par accepter. Ça fera plaisir à son épouse. Ce sera bon pour le commerce extérieur et la vente du Rafale. BHO sera content, les turques et les Perses aussi. Au plan intérieur c’est le ralliement de 9 000 épiciers bavards et de leurs 15 millions de clients, bref c’est du tout gagnant-gagnant. Long silence……………………….........
On sursaute ! L’e-phone de Hadj Saïd entonne la Marseillaise. Il s’éloigne pour parler, se fige au garde-à-vous.

« Félicitations Hadj Ministre ! »

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Mais c'est qu'il est fichu de me donner le mal du pays, le HYB!
Nabila