Depuis le déclenchement du feu sur Tripoli, plus de cinq cent mille exilés ont franchi la frontière tuniso-libyenne : des travailleurs du quart monde au ventre vide et des familles entières, femmes, enfants sur des camionnettes surchargées ou à pieds poussant un troupeau de bêtes. Tous fuient l’horreur.
A l’échelle d’un pays de dix millions d’habitants, le défi est gigantesque. Imaginons l’état de la France si elle devait en quelques semaines accueillir plus de trois millions de pieds noirs.
« Bienvenue en Tunisie » pays du sourire et du jasmin. A Ben Gardane et à Tataouine, les boulangers font les trois huit, les mitrons tartinent les pains chauds de « Vache qui rit » qui sont immédiatement enfournés par une file d'affamés. A l’intérieur du pays, jusqu’à Kairouan, on se serre pour faire de la place aux arrivants ; dans les crèches, les écoles et les hôpitaux. Ni richesse ni travail à partager, mais c’est de bon cœur que l’on met quelques couverts de plus. L’hospitalité est une tradition ancestrale. La honte de s’y soustraire est pire que la mort.
Les Libyens sont des frères. Khadafi rêvait de l’union des deux pays. BHL l’a faite. Car de cette transhumance imposée naîtra l’évidence d’un seul peuple. La guerre a fait tomber la frontière de l’égoïsme des joueurs d’échecs.
« Mektoub », c’est inéluctable, la Tripolitaine avec la Tunisie puis la Cyrénaïque avec l’Egypte feront jonction. Et le domino libyen permettra l’émergence d’un ensemble homogène, cohérent et puissant. Ceci, lorsque les forces politiques, pour l’instant inexprimées, se solidariseront à l’exemple des hôtes tunisiens avec les exilés libyens. A condition aussi qu’elles puissent vaincre l’hostilité des puissants dont la perspective d’un Maghreb Unique est incompatible avec la vision d’un monde figé selon leurs intérêts passés.
Pour une fois, l’Algérie et la France sont au diapason. Le discours du ministre français de l’intérieur est synchrone avec la posture de son collègue d’Alger. L’un refoule avec force humiliation quelques milliers de rescapés d’un naufrage, l’autre claque la porte de la solidarité laissant le peuple algérien muet d’indignation par l’égoïsme de ses dirigeants. Car l’Algérie a purement et simplement fermé ses frontières à l’exode libyen. Elle n’a laissé qu’un passage au compte-gouttes. Les anciens de l’ALN au pouvoir s’en remettent totalement à la Tunisie dont ils ont éprouvé la générosité il y a cinquante ans. Pour dédouaner leur conscience, les Présidents de France et d’Algérie payent la note de l’aubergiste : ainsi, le Premier Ministre tunisien est rentré de Paris et d’Alger avec deux chèques à six zéros et des promesses de rallonges dans ses valises.
Les révoltes arabes forment entre elles un mouvement authentiquement révolutionnaire. Elles expriment le rejet d’un système d’asservissement féodal et la recherche d’un mode de société fondé sur la primauté de valeurs nouvelles, pour l’instant difficilement identifiables dans notre grille de lecture mais assurément revendicative du droit à l’indignation et la résistance. Bien que non pertinente, car l’histoire bégaie rarement, la recherche d’exemples passés permet la mise en évidence d’un facteur singulier : l’unicité. A regarder les mouvements de révolte et d’émancipation des années soixante (ségrégation raciale aux USA, liberté d’expression en France, autodétermination en Tchécoslovaquie…) aucun lien ne permettait la jonction des soulèvements dans un projet de société en commun. A l’inverse, le monde arabe est un. Par la langue, la tradition, l’histoire, les référents, les coutumes, la pratique culturelle.
Ce que démontre la vague de réfugiés libyens en Tunisie, c’est la fraternité et la simplicité du vivre ensemble. L’intégration d’un arabe dans un autre pays arabe est immédiate. Comparaison n’est pas raison mais, les peuples des Etats (non) Unis Arabes ont bien davantage de liens fusionnels que ceux des Etats Unis d’Amérique. C’est sans doute pourquoi la perception américaine des arabes est globale alors que celle des européens –eux même tellement différents les uns des autres- est ségrégationniste.
Notre vision du monde arabe est déformée d’un coté par la perception d’une géographie post-coloniale d’anthropologue qui nous porte à souligner les différences plutôt que les ressemblances, et d’un autre coté, par la transposition d’un regard miroir sur la vieille France. Ainsi, on s’attarde sur les tribus d’Afrique du Nord tout comme avant 1914 on différenciait les Bretons, des Basques, des Normands…Sur les chiites et les sunnites (transposition catholiques/protestants). Bien entendu, chaque population dans le monde arabe a sa personnalité, pas seulement au plan national et régional mais aussi dans les villages ou les villes traversées par un oued qui fractionne des identités artificielles comme à Gafsa ou Gabès. Mais ces différences propres à toutes les sociétés ne sauraient dissimuler la réalité du socle commun. Le devenir des peuples du Maghreb dans l’union est une évidence, celui d’une jonction avec le Moyen-Orient aussi.
Alors que le Soudan et la Syrie descendent encore plus bas dans l’horreur, les Etats du Golfe ont perçu le danger de la contagion des rebellions. Prenant prétexte du terrorisme, et du péril chiite, l’Arabie construit un mur de béton et d’électronique avec ses voisins. Ses troupes portent main forte à celles de Bahreïn et du Yémen pour mater les révoltes. Le Qatar et les Emirats bombardent Tripoli. Le Conseil de Coopération du Golfe dont le volet sécuritaire regroupe les pétromonarchies derrière un « bouclier » de défense à invité les royaumes de Jordanie et du Maroc à les rejoindre. Rabat n’a pas donné suite. Le monarque chérifien est plus jeune, plus instruit, plus proche de l’Espagne et des couronnes européennes dont il est invité à s’inspirer tant qu’il est encore temps.
Les murs des Etats Arabes tiendront-ils sous la pression des foules ?
On est loin de la concertation. Les révolutionnaires de l’an premier voyagent surtout vers l’Occident. Les sociétés civiles arabes n’échangent pas encore leurs expériences. Le champ de la fraternisation reste occupé par les islamistes. Pour l’instant, les « rues arabes » restent parallèles. Le désert les empêche de faire tâche d’huile. Pire, le grain de sable sahraoui menace d’entrainer le Maroc et l’Algérie dans une guerre fratricide.
Reste quelques lueurs d’espoir : celles des touristes qui viendront goûter les douceurs de l’été du printemps arabe.
Les estivants Algériens en Tunisie sont habituellement plus d’un million. Combien seront-ils cette année ?
2 commentaires:
Ou est ce que vous avez vu que Debdeb a été fermé au réfugiés ? Et donc les 100 millions de $ c'est pour soulagé la conscience ? Pourquoi donc? l'Algérie a-t-elle proposé à Ben Ali des renforts policiers pour mater les manifestants tunisiens ? Mauvaise foie quand tu nous tiens.
BHL nous a uni les tunisiens et libyens gros stupide? Mais qu'est ce que tu racontes????
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