Le Moyen-Orient a
basculé le 31 juillet dernier, jour où le Prince Bandar Ben Sultan Al Saoud
chef des services secrets d’Arabie Saoudite s’est enfermé avec Vladimir Poutine
dans une datcha de la banlieue de Moscou. Cette rencontre inédite dans les
usages internationaux
a fait couler
des fleuves d’encre chiffrés dans toutes
les chancelleries. Curieusement elle a suscité peu d’échos dans la presse
française sans doute accaparée par les universités d’été.
Il est vrai qu’un
tête-à-tête entre un homme d’état et le patron des renseignements d’une nation
alliée est chose courante ; mais elle est rarissime entre responsables de
pays dont les armes s’affrontent sur plusieurs théâtres. De surcroît,
il est inédit que ce type de rendez-vous n’ait pas été tenu secret. Mieux,
c’est un communiqué laconique de la présidence russe qui a révélé l’entretien sur « les relations bilatérales, la
situation au Moyen-Orient et (étonnamment) en Afrique du Nord ».
Nul ne sait ce que
se sont dit les deux hommes, mais la presse internationale colporte des
révélations de propagande savamment distillées par les deux maîtres espions
devenus –originalité de l’histoire contemporaine- les
maîtres du monde
arabe.
Etrange rencontre de ces deux hommes que tout oppose. Chacun connaît le
cursus de Vladimir Poutine, brillant Colonel de réserve du KGB.
Peu connaissent celui de Bandar Ben Sultan qui est tout
l’envers de la médaille du maître du Kremlin : trapu, ventru, barbu,
jovial, fils de Prince, cousin du Roi, chef de la puissante tribu des Sudeiri,
impétrant incertain au trône.
L’ancien pilote de chasse commence sa carrière en négociant dés l’âge de
trente ans deux des plus fabuleux
contrats jamais signés entre l’Arabie et les Etats Unis. Son mérite est relatif
car à l’époque, son papa est ministre de la défense et de
l’aviation. En 1982, il est nommé à Washington. Il y supervisera la livraison
des F16, AWACS et autres multiples bricoles qui suivront. Pendant vingt deux
ans, le Prince- ambassadeur Ben Sultan Bin Abdulaziz Al Saud tissera
avec l’élite républicaine américaine des liens si forts que l’attentat du 11
septembre ébranlera à peine les relations diplomatiques entre les Etats Unis et
la terre de naissance des terroristes. Riche à milliards, le premier acheteur
d’armes du monde est courtisé par tous. Il aime le Bourbon, les Cohiba, les
jeans, les femmes et les barbecues. Les Bush l’adorent. KSA one ou
BBS est le plus américain des arabes.
En 2005 il revient en Arabie Saoudite après avoir mis de l’ordre dans
ses affaires personnelles. « So what ? » Lance t-il à un
journaliste naïf qui l’accuse d’avoir perçu un bakchich mensuel de dix millions
de dollars pendant dix ans ! L’affaire Yamamah (pigeon en arabe) sera
pudiquement enterrée par les Britanniques qui ont lucidement évalué le danger
de chatouiller l’homme capable de sanctionner d’un « no fly » tout
avionneur insolent.
A Riyad, l’Emir Bandar devient le coordonnateur en chef des puissants
services secrets. A peine nommé y a un an, la rumeur le disait rescapé d’un
attentat commandité par Damas en représailles d’un coup sanglant:
« no comment ».
Contrairement à l’un de ses prédécesseurs qui aimait se promener
incognito sur la croisette ou les Champs Elysées, le nouveau patron du General
Intelligence Presidency est un passe muraille taiseux qui ne goûte guère les
futilités européennes.
Depuis un an,
Bandar n’a pas chômé. En catimini, il est parvenu à saper le processus des
révolutions printanières et à verser un baril d’huile sur le brasier des
arabes. Il a ramené la capacité d’influence du Qatar à celle d’une
sous-préfecture, balayé les Frères musulmans, multiplié les explosions
d’horreurs en Syrie, Liban, Irak, Yémen, Libye…et sans doute bien au-delà. Fort
de ce palmarès, il a suggéré à son roi le très vieux Abdallah (sans abuser de
sa faiblesse) de le mandater chez Vladimir Poutine, le seul prédateur à la
hauteur de ses ambitions.
Quatre heures de tête à tête. Les deux frères d’armes ennemis en avaient
des choses à dire ! En le faisant savoir, ils signifient qu’ils sont
désormais les négociateurs agréés exclusifs pour les affaires du Moyen-Orient.
La partie sera serrée, les enchères élevées.
En parlant d’égal à égal avec
celui que les
Américains appellent Bandar-Bush Poutine marque le
point contre Obama. Bandar de son coté exhibe avec fracas à la face des arabes
et des européens la formidable puissance retrouvée des Saoud. On peut aussi imaginer
qu’il jubile de la légère inquiétude qu’a suscité son initiative
à Tel Aviv et Washington.
Car la chose est désormais entendue, la fin du carnage en Syrie et
accessoirement par effet domino, la paix au Liban, en Irak, en
Egypte, en Tchétchénie et au Maghreb dépendent du marchandage
Bandar-Poutine.
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