Sur le marché hebdomadaire de
Saint-Patelin, quelques touristes égarés prennent le frais en buvant des canons
à la terrasse de chez Lolotte. Nous autres les patelinois, on observe leur
manège mine de rien, on reste taiseux mais prêt à répondre car on est poli.
« Tiens, l’Parigot va donc leur demander d’où qui viennent » me lance
Lucien. « Y sont p’tete ben d’par chez toi ! » ajoute-t-il en se
marrant.
J’avise
le plus chétif du groupe d’étrangers : un grisonnant sous une casquette
avec deux flutes sorties d’un short plantées dans des sandales. Je l’interroge
en contemplant la boule de poils au bout de sa laisse « il est bien
beau, c’est quoi comme race ? » Fier comme Artaban, le maître du
boxer baveux se redresse. Il est vite rejoint par la maîtresse de Kiki, une jolie
courtaude à la mine rigolote. Du chien, on passe à la météo avant d’aborder les
confidences. Ils sont six couples d’outre Quiévrain en camping à Saint-Patelin.
Albert et Fabiola, les géniteurs du prince Kiki, sont des végétariens
d’obédience macrobiotique à la recherche de produits estampillés
« AB ». Ils m’offrent le coup. On s’assoit. Toute la troupe fait
cercle. On sèche les verres en silence car il fait chaud. Puis ils écoutent ma
plaidoirie pro domo de Percheron que je résume en deux mots :
« involontairement bio ». Ici, leur dis-je, les maraîchers sont
tellement fauchés qu’ils sont incapables d’acheter une pincée d’OGM ou de
saloperie d’engrais. Comme le Perche est à l’écart des autoroutes et du rail c’est
un grand panier d’osier plein de produits naturels ! C’est le parangon de
la grande famille de l’écologie française ! D’ailleurs, la population et
ses élus œuvrent inlassablement pour la réduction des émissions à effet de
serre. Tenez, ici même, à Saint-Patelin : depuis la fermeture de la
dernière usine, la ville est citée en exemple pour son bilan carbone :
zéro CO² !
Les
Belges gobent, mes arguments font mouche. En hâte, tous se précipitent sous la
halle…
Derrière
les étals mes copains ont vite compris le plan marketing. « Si y’a pas
d’bestioles dans les racines, c’est qu’cé du trafiqué ! »
Lucien
fait encore plus fort. Sous les yeux de la plantureuse Fabiola qui le dévore
des yeux, il s’est lancé dans une histoire fabuleuse de mangeurs d’herbes.
« Voui ma pt’ite dame, des pâtureurs. J’les ai vus de mes yeux vus, et pas
qu’une fois ! Ils broutaient à quatre pattes comme des
animaux ! A la ferme de la Fricottière tous les deux, le père et
l’fils, l’un à coté de l’autre, comme des moutons ! » Quelques
sourires en coin incitent Lucien à redoubler d’arguments. « Ils bouffaient
du foin en cachette, mais nous on allait les observer… tiens hola Joseph,
viens un peu par ici ! C’est-y pas vrai que le Bernard et Pt’it Louis y
pâturaient ? » Et Joseph après avoir poliment décroché son mégot papier
maïs de confirmer catégoriquement.
Impressionnés
par ce témoignage probant les belges font le plein des cabas.
Après le départ de la troupe
d’estivants, tout en ricanant de la naïveté des Belges je complimentais les copains
pour la performance du récit de leur fable à dormir debout. « Parce que
toi l’Parigot tête de veau tu nous crois pas !!!» Et re-discussion
et re-témoins de passage et ré-affirmations : « pisqu’on t’dit qu’on
les a vus et pas qu’une fois » répète inlassablement Lucien en pliant
les genoux. De lassitude, je temporisai pour éviter le vinaigre « alors
j’vous crois ! » lançai-je en croisant les doigts derrière le dos.
Je
rentrai en hâte pour appeler à mon secours monsieur google et les mégamoteurs
du cœur net. Je finis par dénicher des témoignages savants sur des cas
d’enfants herbivores atteints d’une psychopathologie rarissime disparaissant
avec la puberté. Je trouvai aussi une secte japonaise prônant l’abstinence
sexuelle absolue du nom des « mangeurs d’herbe ».
En
réponse à mon mail tournant autour du Monde, les copains d’Ethiopie et du Yémen
évoquèrent le qat, ceux d’Asie centrale et du Liban me parlèrent des
« fumeurs de moquette ». Tous suggéraient la découverte fortuite
d’une plante stupéfiante par quelques petits malins. Mais une lecture attentive
des cahiers du Perche et la compulsion de vingt années de presse locale se soldèrent par
des choux blancs.
Alors
?
Mes potes de Saint-Patelin
m’auraient-ils menti dans les yeux ? Auraient-ils été victimes d’un tour
de calva-sorcellerie ? Ont-ils voulu se payer la truffe du
Parisien-tête-de-chien pourtant bien intégré dans les confréries
gourmandes locales ?
Des mois de recherches vaines,
d’interrogations obsessionnelles lancinantes. Et puis soudain, la
lumière !
Hier,
en ratissant les feuilles sous les frondaisons de l’allée du jardin, je ramasse
une étrange boule noire granuleuse de la taille d’un œuf de cane que je mets de
coté sur le banc pour l’observer tranquillement.
A
la pause, Elias mon fils trouve que la boulette sent bien bon. On renifle à
plein poumons… Les amis et les voisins appelés en témoins se moquent de nos
suppositions.
On
ouvre au couteau et l’arome libère le mystère : ça embaume la
truffe !
Bon sang, mais c’est bien sûr !
Il y a dans le Perche béni de
la nature, des truffes brunes que les initiés récoltent discrètement à la
Saint-Jean. Mais la pépite des gastronomes n’est pas facile à dénicher. Chacun
possède sa méthode. Certains dressent des chiens ou des gorets, d’autres
guettent la mouche truffière ou grattent le sol à la semelle de leurs chaussures….Mais
les plus rusés vont à quatre pattes en reniflant le sol.
Ce sont des gourmets avides de
bonnes chairs qui se font passer pour des herbivores : ce sont les
pâtureurs du Perche !
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