L'origine
de la crise diplomatique qui menace les relations entre la France et
l'Egypte n'est pas la condamnation à mort de 529 frères, c'est une
histoire de cornecul authentiquement abracadabrantesque qui fait
diversion.
Par
une sombre journée de novembre, un honorable citoyen égyptien
en balade à Paris pénétra dans la cour du Collège de France.
Pour
quelle raison ? Nul ne le sait. Mais on suppose que l'érudit
venait entendre une leçon sur Thoutmotsis III par l'éminent
professeur Grimal, titulaire de la chaire de civilisation
pharaonique.
Toujours
est-il que soulagé de son envie pressante, il s'attarda dans le
jardin devant une statue représentant un jeune homme pensif :
menton sur poing, coude sur genoux, pied en appui posé sur une
énorme tête de....pharaon !
On
imagine l'émoi du visiteur.
Qui
a osé représenter Râ le Dieu des dieux sous la semelle d'un
quidam ? Jamais depuis la glorieuse épopée millénaire de
l'Egypte un pharaon n'avait été traité comme un vulgaire gibier !
L'Egyptien en frissonna d'indignation. Il lui vint des envies
furieuses de marteaux piqueurs. Il se rêva en salafiste vengeur
étreignant le marbre outrageur d'une ceinture de TNT.
En
s'approchant d'avantage, il découvrit avec encore plus d'effroi le
nom de l'ignoble chasseur de trophée : Champollion !
Champollion le père de l'Egyptologie le déchiffreur des
hiéroglyphes,
celui qui proclamait : « je suis tout à l'Egypte, elle
est tout pour moi » ; Champollion « l'hypocrite »
statufié pour l'éternité.
Bien
vite, le promeneur arabe se ressaisit. C'est le sculpteur le coupable
de la posture coloniale et raciste du grand homme, et non pas son
modèle.
Dans
un coin, il décrypta le nom de l'ignominieux artiste :
B-a-r-t-h-o-l- d- i.
Quoi ?
Le
grand Frédéric Auguste, Bartholdi ? L'ami de Ferdinand de
Lesseps, celui qui proposa sans succès à Ismaïl Pascha d'édifier
à l'entrée du canal de Suez sa monumentale statue avant d'aller la
vendre aux nouveaux riches de New York ? Le Bartholdi de « la
Liberté éclairant le monde » - tout s'éclaire maintenant –
qui pour se venger du kédive sculpta Champollion en piétineur de
pharaon !
Bartholdi
et Champollion, une association de malfaisants protégés par le
Collège de France, le plus glorieux et le plus savant des
propagateurs de savoir depuis 1530. Quel scandale !
Il
convenait de dénoncer le complot de l'Histoire et de sonner sans
tarder le tocsin du haut des pyramides !
Les
images du portable Facebookées ont immédiatement soulevé
l'indignation du peuple au plus profond de lui même. L'Egyptien est
une victime de naissance. C'est un endurci capable de subir sans
broncher tous les outrages : la faim, le soleil, les
sauterelles, l'ignorance, la maladie,
les coups de bâtons,
l'injustice... Pourtant, dès
qu'on touche à ses icônes : Oum Kalthoum, Nasser, Taha
Hussein, Abdelhalim Hafez, Mohamad
Abdel Wahhab, Cheikh Imam, Ahmad Fouad Najm, Samia
Gamal et j'en passe... il entre en fureur. Pire encore, qu'on souille
la mémoire d'un seul poil de ses Râ ! Alors
là, il est prêt à faire déborder le
Nil !...
C'est
pourquoi, avant que la révolte ne gagne la place Tahrir, le Maréchal
Sissi, soupçonneux de quelques complots fratricides, a ordonné une
enquête approfondie sur la personnalité des sus-
nommés Champollion, Collège et Bartholdi. Quelques jours plus tard,
à la vue du rapport accablant des
moukhabarat, il a téléphoné à l'Elysée et par le truchement d'un
traducteur stagiaire il a déclamé son indignation.
En
tentant d'apaiser le courroux du Généralissime à neuf étoiles, le
Président Hollande se demandait comment il allait intervenir dans
cette histoire sans queue ni tête.
Il
crut comprendre qu'elle concernait un champion de France et une
célèbre cantatrice surpris en plein ébat scabreux dans le
sanctuaire d'un pharaon.
Heureusement,
les services français parvinrent à décrypter le message
involontairement brouillé et l'affaire fut transmise pour action aux
ministères des affaires étrangères de la culture.
Une
commission mixte franco-égyptienne siégea sans désemparer.
Le
Collège de France se montra intraitable. La statue ne sera pas
extradée de la cour du vénérable établissement. Aux coups de
burins salvateurs suggérés, il opposa son véto. A la bâche façon
abaya sous prétexte de rénovation, dito. Nul ne touchera à
l'intégrité du couple Champollion-Bartholdi.
Face
aux intransigeances savantes, l'énarchie s'inclina. Alors on
s'achemina vers une transaction compensatoire assortie de quelques
bakchichs d'usage.
Pour
équilibrer l'offense, l'Egypte commanderait au grand
artiste Abdel Foul une sculpture représentant Ramsès II les
fesses posées sur la tête de Napoléon. L'oeuvre magistrale serait
exposée à l'entrée du nouveau "Collège d'Egypte" au
Caire. Financé par l'Agence Française de Développement, l'ensemble
pourrait être inauguré par son Directeur Général Monsieur Dov
Zerah en compagnie de l'aide de camp du Maréchal.
Et
l'amitié intéressée franco-egyptienne sera préservée !...
Le
lecteur soucieux de vérité appréciera cette diversion à
l'actualité saignante en suivant le lien de TV5 :
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